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« Il n’existe pas de textes qui assureraient la transition entre culture orale et culture du livre. »

Ann Banfield219

« Mais à nous, qui ne sommes ni des chevaliers de la foi ni des surhommes, il ne reste, si je puis dire, qu’à tricher avec la langue, qu’à tricher la langue. Cette tricherie salutaire, cette esquive, ce leurre magnifique, qui permet d’entendre la langue hors-pouvoir, dans la splendeur d’une révolution permanente du langage, je l’appelle pour ma part : littérature. »

Roland Barthes220

De même que Loin de Médine, Solibo Magnifique221 confronte à une parole idéale le

silence et le bruit qui la recouvrent et la déforment. Le dispositif des voix en contrepoint dans

Loin deMédine, comme le système narratif d’un écrivain « marqueur de paroles » dans

Solibo, sont déterminés par une semblable complicité du silence et du bruit dans l’effacement

219 Banfield, Phrases sans parole., p.370.

220 Barthes, Leçon : leçon inaugurale de la chaire de sémiologie litteraire du Collège de France prononcée le 7 janvier 1977, 1978, p.16.

de la parole : « Mais un jour Solibo disparut du marché, disparut de partout sans que personne

ne s’inquiète du silence de sa voix : le marché n’était que bruits ! » (44) Comment entendre la

disparition d’une parole dans le brouhaha ? Comment, dans les bruits (aussi bien rumeurs que

sons) du marché, ou dans la prolifération de hadiths instruments du pouvoir chez Djebar,

distinguer une parole originelle et comment faire écho à ce qui a été réduit au silence ? La

rivale de l’écriture n’est pas l’oralité, qui en serait plutôt la partenaire, mais le bruit222.

Comme Djebar, Chamoiseau inscrit son œuvre dans un projet de médiation de la

parole. Le romancier se veut apte à distinguer, parmi les bruits, la parole disparue de Solibo,

et à la traduire en un autre silence, celui de l’écrit, « parole muette »223 du roman où les mots

se succèdent sans s’interrompre, et, errant au gré des lectures, touchent chacun sur leur

chemin imprévisible. Il s’agit donc pour le marqueur de paroles de convertir le bruit et le

silence du monde en discours silencieux du livre. Ainsi, comme le formulait Glissant, « le cri

du monde devient parole »224, ainsi, comme l’écrit Deleuze, l’écrivain peut « donner au cri

une syntaxe. »225

Dans les premiers romans226 de Patrick Chamoiseau, cette mission médiatrice prend le

pas sur la fonction démiurgique du romancier, et, même si la mise en fiction est très présente,

le discours narratif place au premier plan un ethos227 hors catégorie qui mêle à ses velléités

222 Il va sans dire que même si une mise en page tentait de reproduire le recoupement des paroles

simultanées, comme dans une partition symphonique par exemple, la lecture ne pourrait encore que lire chaque mot un à un et restituerait dans le silence de l’esprit ordre et clarté à la cacophonie.

223 Rancière, La Parole muette : essai sur les contradictions de la littérature, 1998. 224 Glissant, Le Discours antillais, p.19.

225 Deleuze et Guattari, Kafka : pour une littérature mineure, 1975, p.48.

226 Chamoiseau et Glissant (préface), Chronique des sept misères, 1988. Chamoiseau, Solibo Magnifique, 1991. Chamoiseau, Texaco.

227 Nous entendons « ethos » dans le sens qu’Aristote développe dans La Rhétorique. Roland Barthes, Oswald Ducrot et Dominique Maingueneau, insistent sur le caractère intrinsèque de l’ethos dans le discours : il est l’image que l’orateur montre de lui-même dans son discours sans l’énoncer. Voir Ducrot, Le Dire et le dit, 1984, et Maingueneau. « Problèmes d’ethos. » Pratiques, 2002.

ethnographiques228 des formules de conteur, une voix de témoin et la sensibilité d’un

justicier. Le statut d’écrivain y est par ailleurs dénié, non suffisamment justifié à ses yeux par ses œuvres qu’il juge inabouties et vaines229.

Pourtant ces romans prennent valeur d’héritage, et dans le cas de Solibo, c’est même

une sorte de « testament » (209) que figure le texte en guise d’épilogue, mais, comme dans

Médine, il faut se contenter d’une reconstitution, d’un « ersatz » (211) dira le narrateur. Cet

héritage incertain, indéfini, reste entaché du bruit qui l’a une fois recouvert et porte avec lui

sa déformation. On ne peut séparer le bon grain de l’ivraie dans le langage. C’est donc de

façon dialogique que le roman de Chamoiseau montre les forces du contrôle social qui

divisent l’usage du langage, assignant à chacun sa place dans les langues et la société, et la

dynamique de l’égalité qui lui résiste. Il s’agit d’une politique de la littérature dont l’atout est

de mettre en marche la « fonction utopique » du langage – au sens où l’entendait Roland

Barthes qui l’opposait à l’assujettissement par la langue230.

C’est pourquoi nous dirons que la parole, qui « ne peut rendre compte d’elle-même »,

a besoin du récit « comme ce qui rend compte temporellement et historiquement de la

parole. » 231 La question de la temporalité est naturellement centrale dans la mise en place du

couple parole et récit. Afin de rendre possible la conscience de soi, il faut un medium qui

permette à la communauté de se penser elle-même, d’interpréter son présent et son histoire,

228 A l’égard des « djobeurs du marché » (207), qui sont les héros de Chronique des sept misères. 229 « je m’étais fait scribouille d’un impossible » (225) dit-il.

230 Barthes, Leçon, p.21.

231 « le narrateur traite cette parole comme un donné et comme un témoignage vif, comme un passé paradoxal, comme ce qui parle et ne parle pas pour soi-même, comme ce qui ne peut réfléchir sa propre temporalité, sa propre historicité. » Bessière. « Patrick Chamoiseau et les récits de l’inédit, poétique explicite et poétique implicite. » Poétiques et imaginaires, Francopolyphonie littéraire des Amériques, 1995, p.287.

ce que la parole est « inadéquate » à faire. Aussi doit-elle « faire droit » au récit écrit qui en

devient la médiation.232

Mais Chamoiseau approche la représentation de la parole d’autrui selon une procédure

qui complique la question du point de vue. La figure du marqueur de paroles, qui prend en

charge la narration, substitue au masque auctorial celui d’un déni d’autorité classique qui

laisse croire à la préexistence du dit sur l’écrit, faisant de la quasi-intégralité du roman un

tissu de paroles rapportées, à l’exclusion des réflexions du narrateur sur son travail d’écriture.

Si la coutume veut que le personnage porte la parole indirecte de l’auteur, Chamoiseau

renverse la feinte en prétendant transmettre la parole de Bouaffesse, Congo, Pipi, Jambette,

Charlot, Doudou-Ménard, etc., comme s’ils préexistaient au récit, et se dit l’héritier d’une

mémoire à lui confiée par le conteur Solibo. En même temps, le récit nous les présente dotés

d’invraisemblables qualités, et certes pas en situation de confession au marqueur de paroles.

L’invraisemblance, le rocambolesque et l’incongru se partagent les derniers doutes du

lecteur, s’il en avait, quant à la nature de ce qu’il lit. Ce qui se donne avec beaucoup de

sérieux comme témoignage des compagnons, chant du cygne du conteur, oraison de

l’écrivain, doute existentiel…, se vautre à part égale dans le burlesque, la bouffonnerie, la

paillardise et autre « farcissure »233.

Le dispositif narratif retors de Solibo Magnifique ouvre des questions : ses jeux de

distance et d’ironie usent des formes indirectes du discours rapporté qui permettent des effets

de satire aussi bien que d’empathie. La voix narrative se déplace constamment dans sa propre

mise en scène comme personnage aussi bien que dans sa gestion des paroles des autres,

232 Ibid. p.285.

233 Le mot est d’Antoine Compagnon : « Propre à la littérature carnavalesque [la farcissure] se définit comme la perte du sens de la mesure et le débordement. » Compagnon, La seconde main, ou : Le travail de la citation, 1979, p.367.

rendant le point de vue indécidable. Oscillant entre humour burlesque et effets élégiaques,

moquerie et tribut, sa mise en scène de la parole crée un point de vue ambivalent qui révèle

les contradictions sociales inhérentes au discours rapporté et à la fonction de « porte-parole »

assumée par le narrateur.

Il y a deux récits dans Solibo Magnifique : le premier relate une enquête de police qui,

sur le mode du « whodunit » 234, entreprend d’éclaircir la mort du conteur Solibo trouvé mort

dans un parc une nuit de carnaval à Fort-de-France. C’est sur ce récit que le roman s’ouvre,

avec le procès-verbal qui décrit le corps du conteur. La deuxième histoire, inséparable de la

première, commence avec le deuxième incipit, qui donne voix à un « marqueur de paroles »

(30) déterminé à rendre hommage à la magnificence de Solibo. Ce narrateur singulier relate

la véritable mort du conteur ainsi que les méfaits d’une enquête policière faite de « terreur et

folie » (27). La transformation consécutive de la scène de conte en scène de crime par la

police donne lieu à l’arrestation des témoins par le brutal sergent Bouaffesse et à une série de

violences burlesques qui s’achèvent par la mort de la farouche Doudou-Ménar. La levée du

corps de Solibo signale l’apogée du clivage qui divise les occupants de cette double scène :

pendant que les forces de l’ordre humilient le cadavre, les compagnons du narrateur

échangent des récits-souvenirs en hommage au vieux conteur dont on apprend qu’il ne

maniait pas seulement la parole en maître, mais aussi la cuisine et l’amour (épisode du

touffé-requin raconté par sa bonne amie Sidonise) et la veillée des morts (épisode de la veillée de

Man Gnam raconté par La Fièvre). Embarqués à l’hôtel de police, les témoins sont confrontés

à une série d’interrogatoires. Bien que les « désormais suspects » dressent le portrait d’un

conteur aimé et admiré de tous, l’inspecteur et son brutal brigadier sont persuadés que Solibo

est mort empoisonné, mais par qui ? « Les aimables auditions étaient terminées, Seigneur… »

(188) annonce un narrateur omniscient. Le récit se charge alors de terreur et de pitié. La

première victime de la torture est Congo, « vieil homme » qui parle un créole ancien,

personnage archaïque que Bouaffesse prend pour un « vieux sorcier » (197) et qui finit par se

défenestrer pour échapper à la violence policière. Les suspects pleurent dans le local de

sûreté. Finalement, l’autopsie du conteur donne raison à Congo : Solibo n’a pas été assassiné,

il est mort d’une « égorgette de la parole ». Confronté à ce verdict qui signe l’échec de son

enquête, l’inspecteur s’interroge sur l’identité symbolique de Solibo et comprend que les

difficultés de sa vie étaient emblématiques de l’histoire antillaise moderne et que sa mort

signale l’agonie générale de la culture créole. Il demande alors à Patrick Chamoiseau

d’exercer son talent de marqueur de paroles et de « transmettre l’essentiel de ce qui, en fait,

avait été son testament » (209). Celui-ci s’exécute humblement : « Je m’étais fait scribouille

d’un impossible » (210). Aidé de ses compagnons d’infortune qui reconstituent les dernières

heures du conteur, il transcrit les « dits de Solibo », sorte de « parole automatique »235

rythmée comme un slam236 franco-créole. Cité intégralement en guise d’épilogue, ce

document représente la dernière parole de Solibo, faite d’évocation d’un esclave marron, de

dérision des « nègres à l’A.B.C.D. » et de devinettes sur la géographie locale.

La position aux marges du récit, au discours direct, de ces textes antithétiques – le

procès-verbal et les « dits de Solibo » – est évidemment significative. Leur opposition même

signale la dynamique interprétative du roman qui dénonce et corrige le récit erroné et injuste

de la police. De même que Loin de Médine, Solibo pose à l’intersection du politique et du

littéraire le problème de l’interprétation. Le roman met en place une confrontation de récits

qui oppose l’interprétation des « écoutants de contes-cricrak » (29) à l’interprétation de

235 Kundera. « Beau comme une rencontre multiple. » L’Infini, 1991.

236. Il n’est pas surprenant que sa mise en scène au théâtre par la compagnie La Nuit Venue en 2015 donne le rôle de Solibo à Marco Codjia, un artiste slameur.

l’autorité légale (la police), et négocie une victoire commune dans l’affrontement des

interprétations. A cet effet, la conduite du récit par un narrateur intra et homodiégétique met au cœur du litige la question de l’usage de la langue, de l’écriture et de la parole. La position narrative se complique néanmoins d’une fausse polyphonie qui place également la question

du point de vue au centre de l’attention.

En effet, le narrateur, alias « marqueur de paroles », transmet les récits des témoins

qui reconstituent à tour de rôle les hauts faits et dits de Solibo, offrant ainsi une quête

alternative à l’enquête policière. La quête ultime vers laquelle convergent ultimement les

personnages devient emblématique du défi de la transmission de la mémoire créole,

préfigurant ainsi le manifeste Eloge de la créolité publié un an plus tard, un manifeste

critiqué pour ses accents essentialistes mais surtout pour son oubli de prédécesseurs littéraires

et politiques aux Antilles237, mais qui doit être replacé dans le projet plus global de

Chamoiseau de créoliser le roman, sa langue et sa scène d’énonciation. La prédominance des

formes du discours rapporté (citations, procès-verbal, récits testimoniaux, dépositions,

hétéroglossie avec notes explicatives, discours direct et indirect, marques d’ironie etc.) joue

un rôle décisif dans cette entreprise. Il est légitime cependant de se demander si l’on peut

prendre les écrivains de la créolité comme des représentants non problématiques de la voix du

peuple et si la langue populaire peut valoir pour la voix du peuple ? Que veulent dire les

ambiguïtés inscrites dans l’économie du style? A la manière d’un skaz russe, Solibo

237 Dominique Chancé reproche aux auteurs de l’Eloge de la créolité d’avoir eu la mémoire courte lorsqu’« ils s’en proclament les inventeurs, oubliant des ancêtres fort intéressants. » Parmi lesquels Rémi Nainsouta, dont Chancé présente l’œuvre posthume Nainsouta et Chancé, Ecrits créoles (1941-1948), 2004, p.11. Maryse Condé mentionne également un prédécesseur injustement oublié, mais haïtien, le poète Anthony Phelps : Condé. « The voyager in, the voyager out. » Guadeloupe : Temps incertains, édité par Abraham et Maragnès,2001, p.256. Theuyap en recense plusieurs autres Tcheuyap. “Creolist Mystification: Oral Writing in the Works of Patrick Chamoiseau and Simone Schwarz-Bart.” Research in African Literatures, 2001. Voir également N’Zengou-Tayo. « Littérature et diglossie : créer une langue métisse ou la ‘chamoisification’ du français dans Texaco de Patrick Chamoiseau. » TTR : traduction, terminologie, rédaction, 1996, et Condé et Cottenet-Hage, Penser la Créolité, 1995.

témoigne en effet d’une relation ambivalente à la parole de l’autre dont il récupère des effets

de voix. Les outils théoriques mis au point par les formalistes russes pour analyser le skaz

paysan nous seront à cet égard d’une grande utilité pour cerner la relation entre le discours

rapporté et l’expression du point du vue dans la narration.

En effet, le nous de ce « roman du nous » que, héritier d’Edouard Glissant238,

Chamoiseau aspire à créer, est loin de se réduire à un je au pluriel ni même à une

juxtaposition de je divers. C’est un sujet collectif qui définit le sujet de la créolité en

s’énonçant. Contre une politique assimilationniste, faite d’aliénation, de violence, de déni et

de fausse conscience, incarnée par l’interrogatoire policier de Solibo, ce roman de la

créolité239 propose un éveil des consciences à soi et à la diversité intérieure, qu’il met en œuvre par la conversion de la police au langage de la créolisation. La police mérite une attention particulière dans la mesure où elle représente une conscience divisée, qui se charge

de refouler la part créole de son identité et se charge d’en assurer le refoulement, cela tout

particulièrement en éclairant la créolité de la police comme une facette refoulée de son

identité. En nous focalisant sur l’initiation de la police à sa propre créolité, nous nous

éloignerons des lectures glissantiennes qui ont dominé la réception des premiers romans de

Chamoiseau240. Plutôt que « la transmission de l’oral à l’écrit » qui a fondé tant de lectures

oppositionnelles (opposition de l’oralité et de l’écriture, redoublée dans l’opposition du

conteur à l’écrivain, et dans celle du créole au français), c’est le passage d’une représentation

238 « On me dit que le roman du nous est impossible à faire, qu’il y faudra toujours l’incarnation des devenirs particuliers. C’est un beau risque à courir. » Glissant, Le Discours antillais, p.267.

239 La créolité n’est pas une vague essence caribéenne, c’est « un mouvement de pensée et de création littéraire aujourd’hui pleinement reconnu dans le monde entier, grâce aux romans de Chamoiseau et de Confiant, en particulier » Combe, Les littératures francophones : questions, débats, polémiques, 2010, p.101.

240 Et pour cause : c’est une citation d’Edouard Glissant qui figure en épigraphe de Solibo : « Je suis d’un pays où se fait le passage d’une littérature orale traditionnelle, contrainte, à une littérature écrite, non traditionnelle, tout aussi contrainte. »

duelle de la communauté à une représentation créolisée qui nous paraît féconde dans ce

roman animé d’un désir d’unité sociale, et qui manœuvre, pour rassembler en une

communauté de conscience, ses éléments hétérogènes.

En effet, il est remarquable que Solibo Magnifique échappe complètement à ce qui

aurait pu n’être qu’une logique binaire et adversative opposant le petit peuple à la police.

D’ailleurs les policiers eux-mêmes, à commencer par le brigadier-chef Bouaffesse, vont et

viennent entre les langues. La division linguistique ne traduit pas nécessairement la division

sociale. Il ne suffit pas de parler la même langue pour être solidaires, ni de parler créole pour

assumer la créolité. Encore faut-il que la créolité refoulée de ceux-là même qui répriment son

expression puisse trouver son chemin d’émergence. Un acte de style peut-il tracer cette voie ?

Le roman est-il à même de défaire la dualité sociale qu’il postule ? Il faut, pour le savoir,

élucider sa logique stylistique et rendre apparente sa politique énonciative.

La question de l’oralité demeure d’un intérêt certain, dans la mesure où l’on ne

l’oppose pas à l’écrit. On sait que dans l’Eloge de la créolité, Bernabé, Chamoiseau et

Confiant se font les hérauts d’une écriture créolisée qui recourt à la tradition orale. Or ce qui

est nouveau dans l’Eloge, ce n’est pas ce recours à l’oral, mais ce statut de manifeste, cette

axiologie de l’oralité : avec les auteurs de la créolité, l’altérité inhérente à l’écriture n’est plus

une « vérité cachée » qui se dévoile malgré elle, elle est assumée et mise en lumière, peut-être

parce que l’on suppose que la vérité de l’être, c’est son autre. La vérité de la littérature serait

cet « enracinement dans l’oralité » dont il s’agirait de « parachever la voix collective (…)

jusqu’à l’inévitable cristallisation d’une conscience commune. »241 Il allait de soi que la

241 Bernabé, Patrick et Raphaël, Eloge de la Créolité : édition bilingue français-anglais: In praise of Creoleness, 1993, p.39.

figure du conteur, transposée dans le roman, porterait cette vérité242. Or, ce faisant, l’Eloge plaçait au cœur du mouvement de la créolité la division dramatique créée par l’idéologie diglossique entre le patrimoine oral de la culture créole et l’expression écrite de l’ordre

français. Si la coexistence et la rivalité de ces deux traditions n’est pas nouvelle, les écrivains

de la créolité ont initié un métadiscours qui faisait de la représentation de la parole orale en

littérature un geste identitaire emphatique. Avec le conteur créole a émergé ainsi un

représentant de la parole commune qui en était aussi le point de transmission en littérature.243

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