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CHAPITRE VI — Vieillir sans descendance au tournant du 21 e siècle

1. Aspects de la vieillesse sans enfant

1.3. Les soins et le soutien

Au fil de leur vie adulte, les participantes se sont parfois fait demander qui prendrait soin d'elles lorsqu'elles seraient vieilles. Selon leurs témoignages, elles n'étaient à l'époque pas très préoccupées par cette question. Quelques-unes considéraient qu'avoir des enfants pour prendre soin de soi en fin de vie ne constituait pas une bonne raison pour fonder une famille. Plusieurs participantes soutenaient par ailleurs que la maternité n'était pas une garantie à cet effet, un constat également fait par Louise Aubert dans le cadre de sa recherche :

La grande majorité des femmes rencontrées ont pris conscience que de nos jours, les gens âgés sont bien souvent seuls, dans des hospices ou chez eux, et qu'ils ne voient pas leurs enfants bien souvent. Ainsi, la vieillesse solitaire ne fait pas peur à la majeure partie des femmes rencontrées4.

L'atteinte de la vieillesse ne modifie en rien cette perception, et est même susceptible de la confirmer. Nicole, qui tentait de rédiger son mandat en cas d'inaptitude quelque temps avant l'entrevue, explique par exemple que c'est très difficile de choisir quelqu'un pour devenir responsable de soi quand on n'a pas d'enfant, parce que la fratrie et les amis sont généralement âgés eux aussi. Elle dit toutefois constater que plusieurs de ses amies n'avaient pas nommé un de leurs enfants comme responsable, parce que ces derniers habitent parfois très loin, et que leurs parents ne peuvent pas compter sur eux au quotidien. Selon France, ce sont parfois les parents qui ne veulent pas demander d'aide à

leurs enfants : « J'ai beaucoup d'amis mariés qui ont des enfants, pis qui veulent pas demander à leurs enfants. Ils vont demander à leurs amis plutôt que l'enfant ». D'autres constatent dans leur entourage ou leurs activités bénévoles que les enfants ne sont pas toujours présents auprès de leurs parents âgés :

C'est pas vrai que parce que tu as des enfants tu vas pas vieillir toute seule! C'est pas vrai! Je le vois tellement à l'hôpital. (Renée)

C'est sûr que quand tu y penses tu dis « Ben qui c'est qui va pousser ma chaise roulante? » Après ça tu fais bon, ya des petits moteurs sur les chaises roulantes. Parce que de toute façon, c'est pas parce que tu as eu des enfants qu'ils vont nécessairement prendre soin de toi. Ce que je constate, c'est que y'en a pas de garantie là-dessus. (Olivia)

Cependant, bien que les participantes soient conscientes de cette absence de « garantie », elles n'en demeurent pas moins inquiètes face à ce que l'avenir leur réserve. Absentes jusqu'à tout récemment, ces inquiétudes ne semblent se manifester qu'une fois que les femmes prennent conscience de leur vieillesse et de l'imminence de leurs besoins de soins et de soutien.

Je me vois vieillir. J'ai pas d'enfants. Qui va prendre soin quand je vais avoir 80, 90? Ça, je commence à y penser à ça. Mais tout le monde me dit « T'as pas besoin d'être inquiète. Tu les aimes assez les enfants, tout le monde va prendre soin de toi. Tes neveux, tes nièces, t'es toute proche d'eux autres, ils vont tous vouloir prendre soin de toi ». Mais c'est pas toujours comme ça que ça se passe. Y'ont une famille, y'ont des enfants. Quand ils vont être grands- parents, la matante là, regarde la matante, on s'en fout de la matante là… Tsé, je le sais pas. Ça ça m'inquiète. Ça ça m'inquiète vraiment. (Micheline) Bon je vieillis, et c'est sur que j'envisage la vraie vieillesse, avec tout ce que ça veut dire : maladie, soutien, se défaire de tout, être accompagnée. Ça, ça va incomber probablement à ma sœur plus jeune, et je ne voudrais pas que ça arrive, et dans ce sens-là je me dis : « Si j'avais une fille ou un fils, je vivrais sans doute ça plus sereinement ». Quoi qu’aujourd'hui les parents veulent pas non plus, que leurs enfants s'occupent d'eux. (Claire)

Hélène n'a quant à elle jamais regretté de ne pas avoir d'enfants, mais l'atteinte de la vieillesse l'a néanmoins fait réfléchir à ses choix de vie et à leurs conséquences. Elle qui n'avait pas envisagé d'intégrer une communauté religieuse lorsqu'elle était jeune a

pris conscience il y a une dizaine d'années des avantages à long terme de ce mode de vie :

J'ai dit peut-être que je devrais faire une sœur. J'aurais dû faire une sœur. Quand on est malade, ya quelqu'un pour prendre soin de nous autres tout le temps, tandis que quand t'es toute seule, pis que t'es malade, ben t'es toute seule pour prendre soin de toi.

Pourtant, les femmes rencontrées ont pour la plupart un réseau social étendu : elles sont en bons termes avec leur famille et/ou ont plusieurs amis proches avec qui elles ont des contacts réguliers. Elles n'ont pas mentionné souffrir de solitude, et les entrevues ont d'ailleurs été en quelques occasions interrompues par l'appel ou la visite improvisée d'un proche. Les participantes se considéraient donc généralement bien entourées, mais malgré leur vaste réseau de contacts, il semblait difficile pour elles se savoir vers qui se tourner pour demander de l'assistance.

Plusieurs témoignages tendent à montrer que la peur d'embarrasser les autres pourrait en effet être la source des regrets de certaines femmes sans enfant. Si nous avons vu plus haut que Claire aurait préféré que le rôle d'aidant n'incombe pas à sa sœur plus jeune, et que Renée ne veut pas devenir un poids pour ses frères et sœurs, il semble également difficile de demander de l’aide à ses amis. France, dont la plupart des amies sont sans enfant, dit qu'elles s'échangent des services à l'occasion : « Si je suis malade, j'ai quelques amies qui vont venir faire un tour. Mais c'est difficile. Tu peux pas demander à tes amies d'être tous les jours avec toi ». Elle précise : « On essaie de pas demander autant que possible », et mentionne avoir aussi recours aux services du CLSC, parce que « Tsé, tu veux pas demander à une de tes amies de venir à tous les jours, te servir à dîner pis faire la vaisselle ». Selon les démographes Laurent Martel et Jacques Légaré, le recours à un réseau de soutien formel serait en effet plus fréquent

chez les femmes âgées non mariées, en particulier celles qui n'ont pas d'enfant5. Par

ailleurs, par souci de ne pas déranger leurs proches, certaines femmes ont intégré une résidence ou planifient le faire, comme Marguerite :

Comme là faut que je pense à pas embarrasser mes neveux. Là je pense à la mort pis à… Tsé je suis allée visiter une résidence… C'est sûr qu'on finit toujours par aller rester dans un endroit comme ça, pis je veux pas embarrasser. Tsé quelqu'un qui a des enfants, ils peuvent voir aux besoins des parents, pis aux derniers moments pis tout ça. Moi faut que je prévois tout ça. Ça c'est, c'est comme une inquiétude qui aurait pas eu lieu si j'avais été mariée.

Pour reprendre les mots de Morell : « They coped with their worries by careful

planning6 ». Martel et Légaré indiquent d'ailleurs que si les femmes sans conjoint ni

enfants survivants reçoivent le plus souvent de l'aide du réseau formel, elles sont moins exposées à la précarité financière, ce qui leur permet de se procurer l'assistance dont elles ont besoin7. Certaines femmes ont trouvé d'autres moyens de s'entourer au

quotidien : Irène vit avec sa sœur divorcée, et Claire s'est installée dans le même immeuble qu'une de ses sœurs, ce qui lui procure un sentiment de sécurité.

La déception de ne pas vivre l’expérience de la grand-parentalité et la question des soins, des préoccupations qui ne se font sentir qu'à un âge avancé, sont ainsi très souvent à l'origine du premier sentiment de regret des participantes face à leur non- maternité.

5 Laurent Martel et Jacques Légaré, « Avec ou sans famille proche à la vieillesse : une description du

réseau de soutien informel des personnes âgées selon la présence du conjoint et des enfants », Cahiers

québécois de démographie, vol. 30, no 1 (2001), p. 91. 6 Morell, Unwomanly Conduct, p. 144.

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