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CHAPITRE VI — Vieillir sans descendance au tournant du 21 e siècle

1. Aspects de la vieillesse sans enfant

1.2. La grand-parentalité

Plusieurs femmes rencontrées ont mentionné que les choix faits plus jeunes, qui les ont éloignées de la maternité, ont tendance à les rattraper avec l'âge, et ce même si elles vivaient en paix avec leur situation. Jocelyne par exemple ne voulait pas d'enfants, et pendant sa vie adulte elle se satisfaisait amplement de passer du temps avec ses neveux et nièces. Elle est dorénavant plus sensible à ce sujet, et au moment de l'entrevue elle mentionne même avoir pour la première fois évité les réunions familiales lors du dernier temps des fêtes :

Je trouve ça très très touchant, peu importe qui, de voir la relation, je sais pas moi, un père qui promène son bébé, une mère qui accompagne sa fille à la piscine. Des grands-parents qui promènent leur… Ça m'émeut à chaque fois, je trouve ça beau. Et c'est pas juste de l'émotion, c'est de l'envie aussi. C'est drôle, c'est un choix qui me rattrape. Que j'ai fait, ben que j'ai fait… ben en fait, je sais même pas si je l'ai fait, mais en tout cas j'en ai pas eu d'enfants, mais cette réalité-là me rattrape des fois.

Pour Renée aussi, le choc s'est produit plus tard. Alors qu'elle n'a pas été particulièrement ébranlée lorsque ses frères et sœurs sont devenus parents, elle dit : « Je pense que c'est quand mes frères et sœurs sont devenus grands-parents, ça j'ai trouvé ça

rough ». Quand ce n'est pas la grand-parentalité des frères et sœurs qui ébranle les

participantes, c'est celle des amis. Denise soutient que les moments les plus difficiles sont ceux où ses amies parlent de leurs petits-enfants :

Mettons que tu vas te promener avec deux trois tsé, pis là elles montrent des portraits. Tsé, qu'est-ce que tu veux? Toi t'en traînes pas de portrait, t'en as pas! […] Asteure m'a traîner les portraits de la petite fille de ma sœur, m'a dire « Ça c'est ma p'tite fille ».

Émilie ressent elle aussi un manque plus grand par rapport aux petits-enfants qu'aux enfants :

Aujourd'hui, ça me manque plus que quand j'étais plus jeune. Je disais ça à une amie hier. D'abord j'ai des amis, et puis j'ai ma sœur qui a ses petits- enfants, et tout, et puis là une autre vient de m'annoncer qu'elle va avoir un petit-enfant, là, hier. Ça, ça m'a… Là j'ai dit, quand on est rendus à mon âge, et que là c'est pas les enfants, c'est les petits-enfants, y'a un rapport à l'enfant différent, et je vois tellement ces amies-là être heureuses de ça, que ça me touche plus là que avant, quand j'étais célibataire sans enfant.

Ce qu'elle mentionne concernant le rapport à l'enfant, qui est différent lorsqu'on est grand-parent et non parent, résonne dans les propos de Jocelyne, qui dit être « passée du non-désir au regret de pas en avoir eu ». Elle explique l'émergence de ses regrets ainsi : « Mes sœurs sont toutes grand-mères maintenant, et c'est maintenant que je trouve ça difficile, de voir la relation qu'il y a entre mes sœurs et leurs enfants, mes sœurs et leurs petits-enfants, Ça c'est quelque chose que j'aurais aimé vivre ». Alors que nous

avons vu que bon nombre des participantes avaient une perception plutôt négative de la maternité, il semble que les représentations qu'elles ont de la grand-parentalité sont beaucoup plus positives. À leurs yeux, la grand-parentalité n'est pas un fardeau, elle est un plaisir. Renée dit par exemple qu'elle aimerait aller aux pommes avec ses petits- enfants, et Jocelyne envie la fierté que ses sœurs retirent maintenant de leurs enfants devenus grands. Une seule des participantes s'est montrée plus critique par rapport au rôle de grand-mère :

Mes amies me parlent beaucoup de leurs enfants et de leurs petits-enfants. Je vois que c'est pas simple non plus pour celles qui ont des enfants et des petits-enfants. C'est gros ce qu'elles s'imposent, ce qu'elles exigent d'elles- mêmes, pour garder les petits enfants, pis quasiment sauver le couple, sauver les enfants de toutes sortes de situations. Parce que les parents bon, y'ont eu des enfants plus responsables, moins responsables. (Nicole)

D'autres femmes trouvent le moyen de combler ce besoin en étant présentes auprès des petits enfants des autres. Micheline garde par exemple régulièrement les petits-enfants de ses sœurs, qui n'ont pas pris leur retraite et sont moins disponibles. Les participantes qui avaient développé des liens privilégiés avec un neveu ou une nièce devenu parent s'efforcent d'ailleurs généralement d'être présentes auprès de ce nouvel enfant, et sont très heureuses lorsque la proximité géographique le leur permet : « Tu vois là j'ai un neveu que je vais aider souvent, pis là sa femme est enceinte, pis j'ai une joie tsé, de voir son bedon grossir. On est en train de meubler la chambre. J'ai autant de fun que si c'était moi » (Renée).

Ainsi, les femmes rencontrées emploient une fois âgées les mêmes stratégies que pendant leur vie adulte pour ne pas ressentir de manque face à leur non-maternité. Après avoir quitté le marché du travail, elles investissent leurs temps libres dans des activités bénévoles, et plusieurs d'entre elles maintiennent une présence auprès des petits enfants

des autres. Tant qu'elles sont en bonne santé, cela les prémunit généralement contre les regrets, qui semblent s'accentuer avec la perte d'autonomie.

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