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3.2 L A PRATIQUE DES SOINS PALLIATIFS PEDIATRIQUES EN ERRSPP

3.2.2 La redéfinition de la pratique de care de premier ordre

3.2.2.1 Du soin parental au soin médical

La pratique de care de second ordre en ERRSPP nécessite de réfléchir à ce que sont les soins palliatifs en tant que care de premier ordre.

Il est entendu que les soins palliatifs sont des soins qui sont à faire lorsque le pronostic vital est engagé, sans certitude sur l’issue fatale de la maladie, et des soins qui restent à faire quand le pronostic vital est engagé de façon certaine. Mais « tout repose ici encore sur l’interprétation de ce reste, sur lequel il y a une erreur à éviter »349. L’erreur « consisterait à

croire que le soin proprement « médical », défini par la possibilité de la guérison, ayant trouvé sa limite, on passerait directement, sous l’horizon de la mort et de l’ « accompagnement », à un genre radicalement différent de soin, ces soins, peut-être que nous appellerons encore « parentaux » »350. En effet, les soins palliatifs ne sont pas des soins

différents des soins réalisés « en période curative », ni des soins qui « par défaut, [relèveraient] « seulement » d’un point de vue technique, du soulagement des souffrances, et moralement ou socialement de la seule « compassion ».351 ».

Penser que les soins palliatifs sont surtout des soins relationnels, et consistent sur le plan « technique » à soulager les symptômes confond les soins palliatifs à des soins parentaux desquels ils ne se distingueraient guère. Il est vrai qu’en pédiatrie, ce phénomène est moindre car la présence des parents au côté de l’enfant malade, a obligé de longue date les professionnels à penser leur place et leur rôle en dehors des soins parentaux.

Les soins palliatifs, parce qu’ils ne sont pas un « reste à faire » ont le pouvoir de reconfigurer le soin médical, soit le care de premier ordre :

- L’objectif du soin médical n’est plus centré sur le mal absolu, la mort. Il est centré sur les maux, « une pluralité de maux déterminés, que l’on devra traiter », l’aspect technique du soin médical « [visant] à éviter au vivant des maux déterminés »352.

Autrement dit, la médecine ne pouvant agir sur la mort, elle doit se concentrer sur la prise en charge de tâches évitant des maux au malade.

- Les soins palliatifs révèlent que s’intéresser au malade en tant que personne, individualité, subjectivité morale n’est plus une préoccupation spécifique des soins palliatifs, mais bien une préoccupation de la médecine. « Les soins palliatifs sont amenés par leur objet à se rapporter […] au malade tout entier, sans pourtant sortir

349 Worms F. Le moment du soin. A quoi tenons-nous ? Paris, France : Presses Universitaires de France ; 2010.

271 p.

350 Ibid 351 Ibid 352 Ibid

129 de la relation médicale, c’est-à-dire sans se substituer pour autant à la relation parentale, amicale ou amoureuse »353.

Les soins palliatifs sont donc des soins médicaux à part entière, et mettent l’accent sur la visée de la médecine au sens large : prendre en charge une personne malade, sans faire croire à cette dernière à son immortalité. Cependant, « il se peut que les soins palliatifs [aient] à pallier […] l’absence ou la limite de soins d’un autre genre, que l’on pourrait dire au sens large du terme « parental ». Plus exactement, tout se passe comme si l’épreuve de la mort annoncée montrait en quoi est nécessaire, non seulement le soin médical, mais une relation qui, pour être d’un autre genre, n’en est pas moins, elle aussi, définie par une forme de soin. »354. Je dois définir cette autre forme de soin pourtant médical et qui semble se substituer, sinon convoquer la figure parentale. De nombreuses publications témoignent de ce lien confus entre le care professionnel de santé et le care d’ordre privé parental ou amical, « le registre de la sensibilité [étant] constitutif de la perspective du care »355, pouvant être réalisé « avec

« tendresse » ou « sympathie. » »356. Si pour certains, une relation de care professionnel, dans le cadre de la santé, ne peut être parentale, l’argument centré sur le caractère professionnel du care n’est pas suffisant.

En effet, Céline Lefève argumente notamment que « la relation de soin peut et doit s’approcher de la relation d’amitié », en raison de la « fécondité de l’empathie » et de la visée éthique du soin comme de l’amitié à savoir « la transformation des sujets et l’accroissement de leur liberté »357. De même, ce type de discours entretient la confusion entre attachement et amour : « Aimer est parfois une modalité de survie pour la pourvoyeuse (à propos d’études sur les infirmières). On tend à considérer que l’amour est premier, qu’il « cause » l’investissement dans le travail de care, alors que maintes situations montrent que l’attachement pour les personnes dont on s’occupe est secondaire au travail, voire que cet attachement constitue une condition psychologique qui rend les contraintes plus supportables »358. En réalité, si la tendresse et la sympathie sont mobilisées par les

professionnelles de care, c’est parce que les activités de care ont besoin d’être enjolivées par rapport à une réalité répétitive, monotone, voire agressante359. Si la relation amicale a des

353 Ibid 354 Ibid

355 Paperman P. Care et sentiments. Paris, France : Presses Universitaires de France ; 2013. 67 p.

356 Molinier P. Le care à l’épreuve du travail. In : Laugier S et Paperman P. Le souci des autres. Ethique et

politique du care. Paris, France : EHESS; 2011. 393 p.

357 Lefève C. La relation de soin doit-elle être une relation d’amitié ? In : Benaroyo L, Lefève C, Mino JC,

Worms F. La philosophie du soin. Paris, France :Presses Universitaires de France ; 2010. 317 p.

358 Molinier P. Le care à l’épreuve du travail. In : Laugier S et Paperman P. Le souci des autres. Ethique et

politique du care. Paris, France : EHESS; 2011. 393 p.

359 Molinier P. La haine et l’amour, la boîte noire du féminisme ? Une critique de l’éthique du dévouement.

130 traits communs avec la relation de care professionnelle (de santé), ces deux types de relations ne partagent pas la gratuité (« l’amitié naît gratuitement »), ni la liberté (« l’amitié naît librement »), ni la rareté (« l’amitié est rare, on ne saurait être l’ami de tout le monde »)360. D’autre part, le care sous-entend la notion d’attachement : « les sentiments ne sont qu’un élément d’un cadre de compréhension des relations dont ils ne peuvent être dissociés, [lesquelles relations sont] faites d’attachement et de détachement. »361. En effet, pour Simone

Korff-Sausse, « la relation de soins a des origines primitives ». Ce qui pourrait laisser supposer un soin naturel, inné, un soin parental. Mais en tant que psychanalyste, ce qu’elle veut dire est que la relation de care n’est pas (ou ne devrait pas) être « intersubjectivité innée et primitive [comme chez le bébé, mais] une rencontre qui s’appuie sur un partage émotionnel, [sachant que] la relation de soins ne joue pas qu’à sens unique mais concerne les deux protagonistes »362. Le lien entre ces deux protagonistes, outre qu’ils ont besoin l’un de

l’autre l’un et l’autre, est bien un lien d’attachement. Les travaux de J. Bowlby ont théorisé l’attachement à partir des interactions entre le nourrisson et sa mère, et souligné le lien entre attachement et proximité. Et ce sont les travaux de Mary Ainsworth dans les années 1960- 1970 qui ont précisé que l’attachement était un processus mis en œuvre par le nourrisson pour obtenir, in fine la satisfaction de ses besoins, et que ce processus était de qualité s’il était sécure. Autrement dit, l’attachement est une relation de sécurité et non d’amour, et la relation de care professionnel (dans le champ de la santé) diffère d’une relation privée, notamment parentale parce qu’elle est recherche d’un lien de sécurité et non d’amour. Ainsi il peut y avoir amour sans sécurité dans une relation parentale, et il peut y avoir sécurité sans amour dans une relation de care professionnel.

Le care de second ordre qui oblige à penser le care en connexion avec la perspective de la justice redéfinit donc les aspects technique et relationnel du care de premier ordre :

- Le care de premier ordre a pour objet les maux qui touchent l’être humain, et non Le mal (la mort) qui touche l’humanité.

- La relation de care, de premier ordre et de second ordre, est sécurité. Celle-ci se décline concrètement en termes de droit-liberté et de droit-protection pour la personne malade : la sécurité est l’assurance d’être considérée comme un « tout » entier, et d’être protégée des maux par le traitement de ceux-ci (les maux induits par la maladie) ou par le refus de l’obstination déraisonnable (les maux induits par la médecine elle- même).

360 Lefève C. La relation de soin doit-elle être une relation d’amitié ? In : Benaroyo L, Lefève C, Mino JC,

Worms F. La philosophie du soin. Paris, France : Presses Universitaires de France ; 2010. 317 p.

361 Paperman P. Care et sentiments. Paris, France : Presses Universitaires de France ; 2013. 67 p.

362 Korff-Kausse S. Aux sources de l’éthique : les enjeux psychiques de la relation de soin. In : Benaroyo L,

Lefève C, Mino JC, Worms F. La philosophie du soin. Paris, France :Presses Universitaires de France ; 2010. 317 p.

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3.2.2.2 De l’autonomie du patient au devoir du professionnel de prendre en