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La coordination des temporalités organise le care de second ordre

3.2 L A PRATIQUE DES SOINS PALLIATIFS PEDIATRIQUES EN ERRSPP

3.2.2 La redéfinition de la pratique de care de premier ordre

3.2.3.2 La coordination des temporalités organise le care de second ordre

Dans les unités de soins palliatifs, le temps n’est pas seulement organisateur des soins. Il est également adapté à celui du patient, auquel « on entend permettre une réappropriation de son temps »387. En effet, il est admis dans ces unités que chaque patient puisse avoir un rapport

différent au temps : selon les soins qui sont à faire au long de la journée, selon la perception subjective des patients, selon le temps qu’il leur reste à vivre… Cet ajustement constant au patient est fondateur des soins palliatifs, tantôt par une approche « centrée sur » le patient (normes québécoises en matière de soins palliatifs pédiatriques), tantôt par une approche « globale » (définition de l’organisation mondiale de la santé). S’ajuster à la temporalité du patient est identitaire pour les professionnels de soins palliatifs388 qui doivent faire face à

« l’objectivation chronologique », le temps de la maladie, et à la « subjectivation kairologique », le temps du patient. Ainsi, quand la maladie rattrape les patients et devient bruyante sur le plan symptomatique, certains patients vont trouver le temps long, d’autres trop court, selon leur histoire personnelle et le rapport individuel de chacun à la maladie.

385 Castra M. Bien mourir. Sociologie des soins palliatifs. Paris, France : Presses Universitaires de France ; 2013.

365 p.

386 Ibid 387 Ibid

388 Etourneau F. Pourquoi les enfants polyhandicapés auraient-ils besoin de soins palliatifs ? Rencontres de la

137 Le temps comporte deux dimensions : une dimension objective, mesurable et divisable en secondes, minutes, heures, appelée chronos, et une dimension subjective, non mesurable, non divisible, mais descriptible, appelée kairos. Ce kairos appréhende « l’expérience de l’activité dans sa dimension morale »389. En effet, « l’approche comptable du chronos ne peut pas complètement appréhender l’expérience ordinaire des femmes »390. Ainsi, certains travaux

montrent que la contrainte des activités domestiques réduit la disponibilité au travail des jeunes femmes391,392: dans le même temps, celles-ci doivent être disponibles pour leur travail

rémunéré, et pour assurer la continuité du foyer et de la vie familiale. Si ces travaux confirment la dimension sexuée de cette particularité, ils mettent l’accent sur l’impossibilité à suspendre une activité de care, notamment sur le plan moral. Dans une unité de temps, se trouvent intriquées différentes unités de lieu, au minimum par la pensée. En d’autres termes, ce kairos permet de « concevoir la complexité du travail, l’intrication des temps publics et privés, la mobilisation de dimensions subjectives et morales dans l’activité professionnelle, la capacité de s’engager professionnellement tout en maintenant une vigilance à demeure et autour de soi, en assurant une présence dans d’autres sphères d’activités, notamment familiale et domestique »393. Il en résulte une disponibilité permanente pour autrui : percevoir,

prendre en charge et répondre aux besoins d’autrui étant constamment présents à l’esprit du pourvoyeur de care.

En unité de soins palliatifs, cette disponibilité permanente peut prendre des aspects clientélistes ou hôteliers394, du fait de la représentation sociale du travail en soins palliatifs :

une adaptation nécessaire aux rythmes du patient. Ainsi, les professionnels peuvent se trouver à répondre à des demandes de massage à toute heure, à apporter des boissons pour un proche tout de suite et maintenant, à être contraints sur le plan horaire par certains patients. Les limites que devraient fixer les professionnels de l’unité de soins palliatifs débordent parfois sur un mode « on n’est pas dans un hôtel ici ! »395, mettant en exergue les écueils de cette

disponibilité permanente. Le care prend alors une forme située (ancrée dans une situation de

389 Bessin M. Présences sociales : une approche phénoménologique des temporalités sexuées du care.

Temporalités 2014. [en ligne]. Disponible : https://journals.openedition.org/temporalites/2944

390 Ibid

391 Bozon M. Le sexe du travail. Structures familiales et système productif. Vers une sociologie des rapports

entre hommes et femmes ? Revue Française de Sociologie. 1985;26(3):550-4. [en ligne]. Disponible : https://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1985_num_26_3_3979

392 Chabaud-Rychter D, Fougeyrollas-Schwebel D, Sonthonnax F. Espace et temps du travail domestique. Paris,

France : Klincksieck ; 1985. 156 p.

393 Bessin M. Présences sociales : une approche phénoménologique des temporalités sexuées du care.

Temporalités 2014. [en ligne]. Disponible : https://journals.openedition.org/temporalites/2944

394 Castra M. Bien mourir. Sociologie des soins palliatifs. Paris, France : Presses Universitaires de France ; 2013.

365 p.

138 lieu et de temps) et exclusive (ancrée dans une situation particulière). Le care qui répond sur une tonalité très commerciale à l’urgence des demandes exprimées par le patient est permis par un lien presque privé avec les patients, mais ces relations dyadiques obligent à des solutions immédiates. Le temps est donc un élément central du care de premier ordre, qui peut tant organiser que désorganiser celui-ci. Si les solutions immédiates peuvent être légitimées dans certaines situations, elles ne doivent pas devenir des solutions régulières ni habituelles. En effet, l’asymétrie relationnelle inhérente au care de premier ordre ne peut s’inverser en faveur du patient. Sur le plan théorique, les besoins d’un patient ne peuvent passer avant les besoins des autres patients, et les besoins d’un patient ne peuvent entrer en conflit avec ceux des professionnels de care de premier ordre. En d’autres termes, le temps organise aussi le care de second ordre, le professionnel de care de second ordre ayant en charge les besoins du professionnel de care de premier ordre.

Les liens entre care et temps ont été étudiés par plusieurs chercheurs dans une approche phénoménologique théorique (Marc Bessin et les temporalités sexuées du care) ou observationnelle (M. Castra et la sociologie des soins palliatifs, Aurélie Dammame et les histoires sans début ni milieu ni fin). Tous s’accordent sur les liens entre temps et care, notamment dans le champ des soins palliatifs. Dans l’activité de care, le temps est central car il rythme les besoins de care, et le rapport au temps y est singulier car il permet d’ajuster le care aux besoins présents là maintenant. « Le travail de care est décrit comme un travail de coordination des temporalités, et aussi de mise en relation de différents protagonistes (professionnels et différents membres de la famille) qui ont généralement des logiques et des points de vue différents »396. A ce titre, l’ajustement à la singularité du patient, donc aux

temporalités en jeu (celle du patient, celle de ses proches), est souvent reçu comme du « bon care » par les patients. Ce sont en ces termes que le reconnaissent les destinataires du care : « les responsables de care domestique manifestent leur gratitude à l’égard des professionnels, notamment dans les institutions médicales ou sociales, qui ont pu assurer une partie de cette coordination et faciliter l’interface »397.

A l’instar des professionnels de care de premier ordre, les professionnels de care de second ordre doivent ajuster les différentes temporalités en jeu : celle du patient et de ses proches et celle du professionnel de care de premier ordre. La coordination des temporalités organise le care de second ordre.

3.2.3.3 Le concept de présences sociales permet au care de second ordre