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LA SOCIÉTÉ FRANCAISE SERAIT COUPABLE

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Certes, le temps aidant et quitte à la minorer, l'influence des facteurs socio-économiques et sécuritaires a été de moins en moins occultée par les propos officiels. Certes, aujourd'hui , le ministre délégué au logement et au cadre de vie , lui-même, reconnaît que l'urbanisme n'est pas responsable de tous les maux dont on a voulu le charger ( ' ). C'est un progrès indéniable 1 Quel dommage , simplement,

qu'une telle attitude n'ait pas été plus fréquente et plus générale, plus

tôt. Il ne suffit pas de détruire quelques tours pour chasser la peur et

l'échec !

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1 . De la violence urbaine comme expiation des péchés de la société française

Dès lors que les habitants des zones urbaines difficiles sont considérés comme des victimes de l'injustice sociale , n'est-il pas cohérent de juger que leur révolte est le fruit d'une erreur de la société ? Dès lors qu'ils sont perçus comme de nouveaux « damnés de la terre * , n'est-il pas conséquent de voir dans leur révolte une réponse à la violence silencieuse de l'oppression et de l'exploitation qu'ils sont réputés subir ?

N'estce pas le Président de la République luimême qui -à propos des sites urbains en dérive- parlait récemment encore de

« ces immenses zones abandonnées, où se réfugient tous ceux que la société laisse de côté, les condamnant au désespoir, donc à la

révolte » ( I ).

Tout est dit : ce n'est pas l'émeutier qui est le plus coupable , c'est la société qui l'a engendré . « Ce dont on devrait s'étonner, ce n'est pas de la révolte mais des conditions qui mènent

à la révolte.» (2).

De fait, quand on a beaucoup disserté sur la méchanceté, voire l'inhumanité du capitalisme et des règles de l'économie libérale, il est difficile de blâmer sans réserve ceux qui s'insurgent contre les vitrines commerciales, là où on a déclaré que ce système honni avait le plus démontré sa perversité intrinsèque .

Bien entendu , jamais ces théories n'ont nié la nécessité de réprimer la violence des « quartiers misérables » (3). Cependant, elles tendent à lui témoigner de la compassion . Elles relèvent que le casseur détruit ce dont il a été privé en raison de l'allocation inégale

des richesses . Elles inclinent ainsi à reconnaître en lui un

imprécateur -certes infréquentable- qui , lui aussi , dénonce l'injustice sociale. A défaut de le défendre ou de le justifier, elles donnent

( 1 ) Allocution devant les Assises nationales des petites villes de France, Chinon ( Indre -et - Loire), le 12 septembre 1991 .

(2 ) Discours de Chinon précité .

(3 ) L'expression est de M. François MITTERRAND. Discours de Chinon précité.

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l'impression de le comprendre et cherchent insidieusement à expliquer son geste par une faute collective préalable.

Il s'est, de cette manière, installé dans l'opinion l'idée que la société , dans son ensemble, est coupable de la crise des sites urbains à problème. Coupable d'avoir favorisé le développement de lieux à

« architecture criminogène • (0 ! Coupable d'y avoir relégué les plus faibles, les plus pauvres ! Coupable d'être dure, peu accueillante, voire

hostile , aux immigrés étrangers qui y sont exilés après avoir été attirés dans nos usines (2) ! Coupable, en bref, d'avoir acculé tous ces malheureux à la révolte , réponse naturelle au désespoir où l'indifférence des nantis les a plongés !

Ainsi , la société française serait tellement coupable que la violence qui secoue certaines zones urbaines ne serait que la juste expiation de ses fautes, de son pêché originel contre l'égalité sociale.

2. Une théorie paralysante qui contribue à la persistance des problèmes

La répétition de cette thèse insidieuse est multiforme , mais insistante . Est-il une émission de télévision qui , après un reportage sur de graves scènes de violence en banlieues, ne finisse pas par montrer qu'il était difficile de vivre dans le quartier où ces scènes

ont eu lieu ?

Les dommages causés par un tel discours sont profonds.

En effet, selon nombre de travailleurs sociaux , beaucoup de jeunes des banlieues tendent à expliquer leur errance , voire certains actes délictueux , en reproduisant des fragments du discours dominant. Ils justifient leur irrespect des règles par l'injustice de leur

sort .

(!) L expression est de M. Michel ROCARD

(2 ) Voir à ce propos l'étrange absolution donnée au pays par le Président de la République, dans le discours qu'il u prononcé aux assises de Banlieues 89 le 4 décembre 1990, à liron : « Combien de ces immigrés sont venus parce qu''on est allé les chercher ? ... Ils sont venus . Ils sont restés . Alors qui est coupable f Eux t Qui est coupable ? Nous ( Ne cherchons pas . Nul n 'est coupable...».

. MO .

Bien sûr, on assiste, ces derniers temps, à une évolution de la pensée du pouvoir sur le sujet. Le rapport de M. Julien DRAY sur la violence des jeunes dans les banlieues en est une excellente illustration . Le Plan d'action immédiate pour la sécurité urbaine , présenté par M. Paul QUILÈS en mai dernier en est une autre . Ces changements d'attitude marquent un pas important dans la bonne

direction .

Les dégâts commis n'en sont pas moins difficilement réparables. Il n'est pas facile , aujourd'hui , à la société française d'offrir un modèle d'intégration mobilisateur à des populations marginalisées auxquelles elle a , longtemps, projette l'image officielle de la honte de soi . Surtout, comment décourager maintenant certains excès quand, pendant des années, on a ancré dans l'esprit de ceux qui les commettent que c'est la société à laquelle ces excès portent préjudice , qui , au fond , en est responsable ?

Comment responsabiliser les individus , comment les arracher au confort désespérant de l'assistanat et de la dépendance s'ils ont été convaincus d'être enchaînés à leur condition par une logique sociale implacable et aveugle ?

Tout un chacun reconnaîtra qu'il est extrêmement ardu de répondre . Aussi nul ne peut en douter, autant que les contradictions entre la parole et l'action , l'incohérence profonde du discours officiel a été un facteur de paralysie de la politique de la Ville.

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il . LA CONTRADICTION ENTRE LK DISCOURS ET L'ACTION

A. UNE POLITIQUE DONT LA GLOBALITE EST DÉMENTI K PAR

LES FAITS

Le dispositif administratif français n'a pas été conçu pour traiter globalement les difficultés de certaines parties du territoire et de leurs habitants. Les insuffisances dénoncées dans l'appréhension des problèmes de l'espace rural (0 se retrouvent à l'identique dans la

gestion des villes.

Chaque ministère, chaque administration dispose de

moyens d'intervention autonomes, de financements jalousement préservés, de fonctionnaires spécifiquement rattachés et parfois même de théories particulières sur la cause de la crise et les solutions à y apporter.

Face à cette sclérose bureaucratique, les administrations

dites de mission - qu'elles s'appellent DATA R ou Délégation interministérielle à la Ville- ont toutes les peines à s'imposer.

Or les problèmes de la Ville, comme ceux de l'espace rural,

ne peuvent être traités que dans leur globalité . Rien ne sert de

réhabiliter des logements si dans le même temps le suivi social des

habitants n'est pas assuré et la sécurité rétablie.

L'ensemble de ceux qui luttent contre le déséquilibre

urbain et toutes les doctrines formulées en cette matière affirment la

même évidence. Celle-ci est pourtant démentie par les faits. Malgré

l'apparence trompeuse du vocabulaire, la politique de la Ville n'existe pas, elle n'est que l'accumulation d'actions dispersées (2).

( 1 ) Rapport de la mission d'information sur l''avenir de l'espace rural français • Sénat

n' 249 (1990 1991 )

(2) Cf. Le Monde ■jeudi 12 mars 1992 • Dix années d'efforts dispersés.

82-Cet éparpillement s'exprime à la fois dans les formes prises par l'action de l'État et dans la multiplication des structures

administratives.

La politique dite de la Ville a adopté très largement la procédure des contrats territoriaux. Pour des motifs divers (simple changement de terminologie , modification d'objectif, lancement d'opérations expérimentales) ceux-ci se sont, au fil des ans, accumulés en strates successives qui se superposent et s'articulent avec les plus grandes difficultés.

On dénombre aujourd'hui :

- 300 conventions de développement social des quartiers ; - 100 conventions de quartiers ;

- 13 contrats de ville ;

- une centaine de conventions ville-habitat ;

- une vingtaine de PACT urbains ;

- 370 contrats d'action prévention et 700 conseils communaux ou intercommunaux de prévention de la délinquance ;

- 68 sites pilotes à l'intégration.

A ces contrats territoriaux de base, s'ajoutent encore des

programmes complémentaires et des programmes nationaux, qui , tous, répondent à des objectifs différents et obéissent à des procédures

particulières.

En septembre 1989 ( 0, l'union nationale des fédérations d'organismes d'H.L.M . avait établi une liste exhaustive des contrats existant, dont la complexité se passe .• commentaires :

( I ) Actualités H.L.M. • numéro spécial : La Ville, mode d'emploi - 30 septembre 1989.

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