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Société animale et société humaine

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L’histoire est elle-même une partie réelle de l’histoire naturelle, de la transformation de la nature en homme. Mais les sciences naturelles engloberont par la suite la science de l’homme, tout comme la science de l’homme englobera les sciences naturelles : il n’y aura plus qu’une science.

Karl MARX, Œuvres Philosophiques, t. VI, p. 36.

Chapitre VI.

Les sociétés qui viennent de nulle part

I. La nature prise en défaut.

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Une transformation profonde est en cours. Soudainement et de plusieurs côtés, les notions d’individu, d’instinct, le contenu de ce que nous désignons par société ou nature humaine, subissent l’érosion du temps accéléré, l’assaut de phénomènes récemment mis à jour. Le terme de société s’applique maintenant plus pleinement aux relations entre animaux ; quant à la nature, j’espère l’avoir montré avec suffisamment de clarté, elle inclut les échanges avec les forces de l’environnement déclenchées par nous. Dans un sens comme dans l’autre, le concept vient à inclure ce qui en était exclu auparavant. La trajectoire que retracent les deux parties précédentes souligne une conjoncture générale : la dimension sociale du réel, au lieu de se disjoindre ou de se substituer progressivement à sa dimension naturelle, semble au contraire s’en rapprocher, y jouer un rôle de plus en plus actif. La logique des manifestations évolutives le dégage avec une netteté croissante.

J’ai déjà indiqué les répercussions qu’entraîne cette situation scientifique du point de vue de la nature, de son histoire humaine.

Maintenant — renouant avec le second thème de ce travail — je vais en analyser les implications du point de vue de la société, notamment à propos de la genèse des premières organisations sociales humaines.

A l’arrière-plan se profilent une convention — la société sort de la nature — une question — comment la société surmonte-t-elle le désordre inhérent à la nature ? — une définition — la société est une

réalité seconde. Convention, question, définition qui, selon le poids qu’on leur donne, orientent tous les essais théoriques.

Pour l’homme, l’état de nature est son passé, l’état de société son présent et son futur. La discontinuité est complète : toute tentative de rétablir un lien présumé rompu est qualifiée de retour. Elle prend nécessairement figure de situation exceptionnelle, signifie un danger :

« Et lorsque les idéaux et les institutions de la culture échouent à satisfaire les besoins humains universels, toujours s’élève le cri de retour à la nature 57. » A aucun instant les efforts sociaux ne se diluent à se répercuter sur le domaine proprement organique ou inorganique, à contribuer aux échanges courants des forces matérielles en les façonnant. Ils sont entièrement consacrés aux relations politiques, religieuses, économiques : « On admet, écrit Algirdas-Julien Greimas 58, selon la description de C. Lévi-Strauss, que les sociétés humaines divisent leur univers sémantique en deux dimensions, la culture et la nature, la première définie par les contenus qu’elles assument et où elles s’investissent, la seconde par ceux qu’elles rejettent. » Lapidaire, parce qu’elle délustre une pensée autrement plus subtile, cette formule n’en traduit pas moins un sentiment commun. Les hommes, organisés en collectivité, retranchés pour ainsi dire dans la biosphère, exploitent ses ressources, lui appliquent leurs savoirs par le truchement de leurs artifices. Ils n’ont ni le projet ni la possibilité de la conditionner ou d’interférer avec ses processus essentiels. Grâce à d’autres artifices, ils imposent silence aux passions qui les habitent, réfrènent les tentations de transgresser les limites imposées. Maîtres de la terre comme d’eux-mêmes, leur être est d’exception.

Le passage de la forme de vie animale la plus élevée à la forme la plus élémentaire de vie humaine est investi d’une aura sacrée. Le moment primitif aurait le privilège de la transparence ; sa particularité serait de révéler d’un seul coup l’universel, les matériaux bruts que nous n’avons cessé de travailler depuis. Partant des commencements difficiles, lointains mais authentiques, on cherche à découvrir les fondations permanentes des institutions et à extraire, des alluvions déposées ultérieurement, l’essence de la sociabilité. Les collectivités de primates et celles des premiers hommes en représentent le degré

zéro. Leur reconstitution, que l’on croyait conforme à la réalité, à des fins de comparaison, en tant qu’états culturels dont se sont dégagés les états sociaux, s’est opérée suivant deux modèles complémentaires : l’un ramenait leurs propriétés à celles des organismes individuels qui les composent, l’autre les assimilait à un agrégat instable d’individus.

Dans l’optique du premier modèle, la société animale, à la différence de l’individu biologique, n’a rien de spécifique ; dans l’optique du second, la spécificité de la société animale vis-à-vis de la société humaine est d’être biologique.

Sur ces bases, le sens de l’évolution se laisse décrire aisément.

Initialement, la nature interne se confond avec l’individu, unité psychobiologique constitutive, les instincts ou forces primaires de l’organisme agissant partout où existent des êtres animés ; la nature externe comprend l’ensemble des milieux matériels. L’individu humain, mû par une énergie intrinsèque, sans liens préférentiels, a, dans cette hypothèse, une existence rigoureusement déterminée et indépendante, forgée au cours de l’évolution, lui donnant les moyens de s’adapter partiellement à l’entourage physique qui lui est dévolu.

Étant relativement autonome, rien ne l’empêcherait de rester à l’écart, de satisfaire seul ses besoins, n’étaient les imperfections inhérentes à l’espèce et les exigences de la procréation :

« Il se peut, écrit David Bidney 59, que l’individu satisfasse sa faim, son besoin d’abri et son besoin de repos sans l’aide de la société.

D’autres besoins, tels que la reproduction, de toute évidence exigent des institutions sociales. » Les instincts, montages génétiques, directement liés à l’organisation anatomo-physiologique, transmis héréditairement, de par leur spontanéité, leur uniformité, sont les noyaux irréductibles de tout comportement. Le règne animal les connaît à l’état pur. Soumis aux injonctions des appétits antagonistes, réagissant automatiquement à des stimulations stéréotypées, les animaux offrent le spectacle d’un monde désordonné ne connaissant ni retenue ni délai et manquant des moyens de commander aux pulsions qui les mobilisent. Les enfants — et, pourquoi pas, les sauvages — en sont proches, animés par des impulsions, surtout sexuelles et agressives, sans égard envers autrui ou les intérêts supérieurs de la communauté. L’anarchie et la promiscuité régneraient

parmi les animaux, primates inclus ; elles sont potentielles parmi les hommes, manifestant leur côté naturel.

A l’opposé, la société est un système dérivé, hiérarchiquement supérieur, intégrant la somme des sujets humains dispersés en familles, classes, collectivités régionales, dotées de normes, de religions et de pouvoirs, comme une langue superpose à la multitude des phonèmes une syntaxe les obligeant à s’accorder, à se ranger dans des mots, des phrases et des messages. Elle a aussi la vocation d’imposer des restrictions aux instincts, détournant les énergies organiques vers des objets compatibles avec l’établissement de rapports inter-individuels stables et continus. L’ascèse et la contrainte sont les armes, la parenté le premier barrage, suivi d’autres, que dresse l’humanité devant le déluge impétueux de l’animalité.

Involontairement, sous la tyrannie des pulsions, les hommes seraient pareils à cette race des Barbares, dont les mœurs indécentes suscitent la vertueuse colère d’Hermione : « Le père s’y unit à la fille, le fils à la mère, la sœur au frère ; les amis les plus chers s’entr’égorgent, et la loi n’interdit rien de tout cela 60. » Ces accouplements, engendrant conflits et rivalités, feraient obstacle à la coopération nécessaire, à l’établissement de relations durables. Dans ces conditions, personne ne consentirait à des sacrifices, imposant de surseoir à la satisfaction de ses tendances égoïstes, immédiates, afin d’aider son congénère ou l’enfant, encore impuissant, à devenir adulte. L’équilibre d’ensemble menacé, la continuité du lien entre générations compromise, l’individu lui-même court à sa destruction ou amène la destruction de ses proches. D’où le recours à des mécanismes éliminant les tensions délétères, l’invention de la loi comme instrument propre à domestiquer les hommes et mettre un terme à la violence originelle :

« La fonction fondamentale de la loi, affirme Bronislaw Malinowski 61, est de freiner certaines tendances naturelles, de limiter et de dominer les instincts humains, et d’imposer un comportement obligatoire non spontané ; en d’autres termes, d’assurer un genre de coopération basé sur les sacrifices et les concessions réciproques en vue d’une fin commune. Pour accomplir cette tâche, il faut que soit présente une force nouvelle, différant des dons innés, spontanés. »

La plupart des formations culturelles sont nées au cours de ce travail dépensé à contrecarrer les penchants agressifs ou érotiques, à

écarter la menace qu’ils représentent pour la coexistence d’un grand nombre de sujets dans un espace déterminé. Sous la surface unie des alliances, des valeurs, des rituels pédagogiques, des créations artistiques ou scientifiques, sourd le mouvement incessant des désirs subjectifs illimités, le souvenir ou la réalité de la haine, du tumulte instinctuel, de la guerre de tous contre tous. Que la croûte se craquèle, que la barrière des multiples garde-fous cède, on assistera « à la confusion des âges, au mélange des générations, à la désorganisation des sentiments, à un renversement brutal de tous les rôles » 62. La société s’est formée, dans des temps immémoriaux, afin de prévenir cette catastrophe. Elle est gage du triomphe remporté sur la spontanéité naturelle qui la précède et l’entoure, sur l’individu hanté par des tentations obscures, adhérences résiduelles au monde animal.

La répression est le visage que prend l’adaptation lorsque l’évolution touche l’homme.

Elle est aussi, le second modèle le suggère, le commencement d’un ordre à part, transformant les associations instables à l’intérieur de l’agrégat biologique en liaisons stables du système social exclusif à notre espèce. Avant nous, les congrégations d’individus obéissent aux cycles hormonaux, à la périodicité de l’œstrus, à la distribution des naissances, autant de paramètres indépendants ou presque, dont les effets combinés sont imprévisibles. Les rencontres de mâles et de femelles en vue de la procréation ont lieu au hasard. L’attitude d’un animal envers un autre animal est versatile 63 : il n’y a pas de distinction entre le jeune et l’adulte, le membre du groupe biologique et l’étranger. A l’instar de la main invisible commandant les transactions des échangistes sur le marché, une main invisible dirige dans la nature les mouvements des sujets isolés. Les préférences des partenaires sont antagonistes : seule la force du milieu, des besoins fluctuants, les oblige à converger vers une cohabitation fragile, sans cesse remise en question. L’homme a arrêté ce mouvement brownien en séparant, dans la nuit naturelle, le domaine du permis et celui de l’interdit, discriminant soi et autrui, imposant les règles de leurs déplacements sur l’échiquier collectif dans le mariage, la production et les communications. Véritable démon de Maxwell, guidé par les lois de son esprit, il a institué, dans le grand jour de la culture, des écarts là où il n’y en avait point, redressé le cours d’une histoire qui allait vers un désordre croissant. Le grand physicien anglais, on s’en

souvient, avait imaginé un démon posté au seuil par où devait nécessairement passer un gaz quelconque en provenance de deux enceintes différentes où régnait la même température initiale. Agissant sur une vanne imaginaire, il pouvait autoriser ou empêcher la circulation des molécules sans aucune dépense d’énergie, plus exactement laisser passer dans un sens les molécules lentes à faible énergie et dans le sens inverse les molécules rapides à haute énergie.

Au bout d’un certain temps, l’une des enceintes était réchauffée, l’autre refroidie, et ceci sans perte ni transformation d’énergie.

Les codes matrimoniaux, linguistiques, économiques que les sociétés ont édictés ont eu des conséquences « démoniques » analogues. Le déroulement de chaque existence individuelle suit une direction précise, elles se combinent harmonieusement, les groupes biologiques reçoivent une place définie dans le tableau des alliances perpétuées par le système total qui les comprend. Comme dans les enceintes manœuvrées par le démon de Maxwell, la mesure subroge la démesure et l’altérité, l’identité. Le processus de sélection rend possible ce démarquage qui a pour résultat historique l’opposition de la culture à la nature.

Selon cette vision théorique, la société humaine naît, pour s’y opposer, de son contraire organique, individuel, animal, comme d’un néant ou d’une nébuleuse, après une période d’hésitation chez les peuples sauvages « naturels ». La primitivité, fait et idée, atteste la genèse des différences et de l’antagonisme fondateurs de notre réalité spécifique. Elle indique moins l’instant d’un commencement que celui d’une rupture, moins les attributs d’un état des communautés humaines que la génération, la création de ces communautés à partir de ce qui pourrait être tenu pour un accident ou un rien. Du préhumain à l’humain on suit une progression indistincte sur une échelle de valeurs et de complications. Nos sociétés, surtout les plus récentes, sont décrites comme à la fois les plus accomplies et les plus complexes. A chaque étape du développement, elles contiendraient moins de naturel et plus de culturel, supprimant toujours plus le premier pour favoriser le second. Leur qualité d’exception et d’unicité invite à chercher une cause exceptionnelle, à les lier à un événement unique. La supériorité de la société devient ainsi le principe explicatif et le phénomène à expliquer. C’est pourquoi on cherche toujours à

rendre compte de la formation du lien humain par des raisonnements qui légitiment en même temps sa perdurabilité et justifient ses avantages. Nous l’avons constaté. L’émergence de la société — la causalité s’avère dès lors exceptionnelle — est associée à la nécessité de surmonter un passé animal, d’écarter l’imminence d’une rechute au cas où les « trous » de la nature ne seraient pas bouchés, ses imperfections rabotées, ses manifestations combattues. Elle y parvient en imposant sa discipline aux individus, en se rendant indépendante d’eux. La turbulence des instances organiques, la promiscuité des rapports, mais aussi la rareté des ressources dans le monde, la fertilité envahissante des populations, ou l’immensité des puissances matérielles, sont citées parmi les manques ou les menaces qui ont appelé et continuent à appeler de notre part une réponse collective vigoureuse afin de combler les vides ou de réduire les excès. Les coutumes, les institutions, les prohibitions que les hommes se dictent mutuellement sont dirigées contre le fonds biologique qui demeure en eux, contre l’incertitude de leurs comportements individuels. Si tout dans l’univers et en nous-mêmes avait fonctionné harmonieusement, le phénomène social n’aurait aucune raison de se singulariser. Il est là, nous l’avons produit, péniblement, dans l’intention de corriger, quand le besoin s’en fait sentir, l’économie défectueuse de l’univers ou de l’organisme, bricolage hâtif d’une espèce aux prises avec les rigueurs d’un environnement inclément et d’une force psychobiologique débordante. L’imposition d’un contrôle, d’une régulation contractuelle des interactions, est à la fois la solution apportée à un problème général qui n’avait pas été résolu à l’échelle animale, et le moyen prothétique imaginé pour faire face à nos adversaires. Contrôle et régulation définissent la société qui s’appuie sur eux comme une négation de tout ce qui est inclination psychique spontanée, différence des sujets agissants, donnée naturelle en nous et hors de nous. Ils la situent aussi comme une réalité secondaire quant à sa genèse, son importance dans la vie de tous les êtres, l’homme excepté. Aux yeux de celui-ci, elle assure, devant les tendances contradictoires, chaotiques, devant la tyrannie des besoins et des congénères, l’équilibre et l’harmonie ; elle incarne la loi morale au-dedans de soi, la solidarité avec les proches hors de soi. Mais, même dans ces cas, elle demeure une réalité d’emprunt.

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II. Du désordre biologique et animal.

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Ensemble ou seuls, cela ne fait aucune différence, les animaux demeurent dans la même condition, abandonnés aux vicissitudes de leur biologie. Ensemble les hommes sont dans la société, seuls ils sont soumis aux impératifs de la nature : environnement contraignant, hérédité inflexible. A mi-chemin, l’homme policé intériorise le réel dans l’individuel, ramène la diversité des pulsions à l’uniformité des règles, subsume la variété naturelle sous l’identité culturelle. La route qui nous a éloignés de la plupart des espèces a été longue. La vigilance constante face à ce qui nous reste de cette évolution est la condition primordiale de notre originalité et de notre survie. Ceci explique pourquoi notre vie commune, afin de rester humaine, est, doit être une combinaison d’oppressions et de renoncements, de déguisements et de satisfactions continuellement remises. De cette manière, nous évitons le désordre qui rôde autour de nous dans le règne animal, en nous-mêmes, anciens animaux. Une dualité intrinsèque caractérise notre espèce et nous subsistons dans les deux cadres irrémédiablement hétérogènes de l’inné et de l’acquis, de l’individuel et du social. « Il y a donc là deux grands ordres de faits, déclarait Claude Lévi-Strauss 64, l’un grâce auquel nous tenons à l’animalité par tout ce que nous sommes, du fait même de notre naissance et des caractéristiques que nous ont léguées nos parents et nos ancêtres, lesquelles relèvent de la biologie, de la psychologie quelquefois ; et d’autre part tout cet univers artificiel qui est celui dans lequel nous vivons en tant que membres d’une société. » Toute instance jugée supérieure, spécifique à cet « univers artificiel » — la raison, la science, l’art, la civilisation, la communication symbolique

— vise la suppression d’un besoin impérieux, d’un processus organique autonome, universel ; nous sommes implicitement invités à la conserver si nous ne voulons pas retomber dans la confusion de nos prédécesseurs non humains, ni rester sous la tyrannie de l’héritage ancestral, privés de la solidarité collectivement organisée. Le choix nous est d’autre part refusé. Le départ de l’état naturel a eu lieu à une époque très reculée, et que cela plaise ou non, la société contient, encastrées dans sa structure, les conditions — la prohibition de

l’inceste, la langue, les techniques — qui ont rendu ce départ définitif.

Réduite à sa plus simple expression, voilà la trame de la conception qui justifie bon nombre de nos institutions, sous-tend nos théories biologiques et sociales, et, à l’occasion, inspire l’interprétation de notre expérience quotidienne.

On est cependant amené à soupçonner de plus en plus que la fascination exercée par un ordre humain opposé au désordre animal, la phobie éprouvée devant ce qui est spontané, organique, instinctuel, le génie dépensé à dresser des barrières sur notre pourtour ont conduit à une vue inexacte de nous-mêmes, de l’univers animé et inanimé en général. Les récits portant sur les communautés animales (ou primitives), sur les pulsions « bestiales », s’exerçant sans frein et sans mesure, si entremêlés de terreurs affectives, de lieux communs, doivent leur consistance à la complicité du récitant et du public. La lutte pour la vie confondue avec la lutte pour la nourriture, pour la possession d’un mâle ou d’une femelle, totalement aveugles à leur identité réciproque et à leurs positions sociales respectives, participait sans doute possible de ces fictions qu’il est licite d’inventer lorsqu’on sait ne pas trop presser l’expérience. Ce qui a été fait en considérant la tempérance, cultivée, des désirs agressifs ou sexuels, la redistribution des énergies biologiques innées, la fin de la promiscuité animale, comme des événements motivés objectivement, ayant effectivement eu lieu dans l’histoire. Je ne nie pas l’existence de ces conflits, de ces

On est cependant amené à soupçonner de plus en plus que la fascination exercée par un ordre humain opposé au désordre animal, la phobie éprouvée devant ce qui est spontané, organique, instinctuel, le génie dépensé à dresser des barrières sur notre pourtour ont conduit à une vue inexacte de nous-mêmes, de l’univers animé et inanimé en général. Les récits portant sur les communautés animales (ou primitives), sur les pulsions « bestiales », s’exerçant sans frein et sans mesure, si entremêlés de terreurs affectives, de lieux communs, doivent leur consistance à la complicité du récitant et du public. La lutte pour la vie confondue avec la lutte pour la nourriture, pour la possession d’un mâle ou d’une femelle, totalement aveugles à leur identité réciproque et à leurs positions sociales respectives, participait sans doute possible de ces fictions qu’il est licite d’inventer lorsqu’on sait ne pas trop presser l’expérience. Ce qui a été fait en considérant la tempérance, cultivée, des désirs agressifs ou sexuels, la redistribution des énergies biologiques innées, la fin de la promiscuité animale, comme des événements motivés objectivement, ayant effectivement eu lieu dans l’histoire. Je ne nie pas l’existence de ces conflits, de ces

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