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Sixième critère : « Le discours est pris en charge »

Chapitre 1 : « Marqueur discursif » : une dénomination qui permet de cibler le

1.1 Associer le « marquage » au « discours » c’est envisager concomitamment et

1.2.2 Quand discursif se rapporte au discours au sens de l’analyse du discours

1.2.2.6 Sixième critère : « Le discours est pris en charge »

La définition donnée par Charaudeau et Maingueneau de ce critère propre au discours pose deux principes qui sont eux-mêmes très caractéristiques des MD étudiés ici : celui de la subjectivité et celui de la modalisation : « Le discours n’est discours que s’il est rapporté à une instance qui à la fois se pose comme source des repérages personnels, temporels, spatiaux et indique quelle attitude il adopte à l’égard de ce qu’il dit et de son interlocuteur (processus de modalisation). » Outre le fait que cette définition soit à rapprocher des remarques faites supra à propos du hiatus « focalisation sur les mots » et « focalisation sur les interlocuteurs », la notion de prise en charge du discours soulèvera, nous le reverrons, un certain nombre de questions posées par la nature même des éléments qui composent les MD, à savoir :

- tout d’abord la question de la « source » qui est elle-même en lien avec celle des personnes représentées dans les MD qui commencent par « si ». Pour le dire autrement, nous verrons que cette question que nous avons déjà abordée sous 1.2.1 à propos de la discursivité et des « jeux de substitution », est cruciale car les personnes pronominalement représentées dans les MD qui nous concernent ne sont pas obligatoirement les personnes qui prennent ou qui sont invitées à prendre le discours en charge. En ce sens, la prise en charge ou l’invitation à prendre en charge peut être feinte. Le MD si vous voulez, par exemple, peut classiquement et littéralement soumettre la prise en charge d’un propos ou d’un point de vue au bon vouloir de l’interlocuteur.

Dans ce cas, le « vous » représente sincèrement un l’interlocuteur qui est invité à valider ou non la prise en charge, la mise sous condition du « si » étant elle-même réelle. Mais il peut aussi arriver que ce même MD soit le signe d’une réorientation de la prise en charge voire de la destruction4 de la source d’une prise en charge donnée (celle de l’autre) pour

en imposer une nouvelle. Dans ce dernier cas de figure, l’enjeu ne porte plus sur le vous- interlocuteur mais sur le je-locuteur. Sous couvert de ménager la source adverse, c’est en réalité sa propre « source de repérages » qui est installée. Ce mécanisme de jeu sur la « source de repérages » est le même avec « s’il vous plaît » : cette même expression peut tantôt être une invite (à laquelle on peut équipotentiellement répondre par oui ou par

non) tantôt être un rabrouement. Le fait qu’une même forme puisse endosser différentes

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fonctions n’est pas sans rappeler le côté multidimensionnel typique des MD qui commencent par « si ». Les MD qui commencent par « si » renseignent donc sur la nature de la prise en charge, cette dernière étant, pour reprendre l’expression de Laurendeau dans un article de 2009 (2009 : 55) une « polyopération »5.

- en second lieu, puisque la prise en charge a à voir avec le « processus de modalisation », il suppose de facto la prise en compte des modalités. Cette articulation modalisation /

modalité, nous la trouvons clairement résumée chez Laurent Gosselin (Gosselin 2010 : 21) On parle d’opération de modalisation pour désigner le processus qui

consiste à choisir d’employer une modalité particulière à des fins pragmatiques, illocutoires et/ou perlocutoires, dans une situation de discours particulière. L’explication du rôle des modalités dans la détermination, en situation, de la force illocutoire relève donc d’une théorie, sémantico-pragmatique, de la modalisation. La sémantique des modalités que nous proposons dans cet ouvrage ne prétend en aucune façon s’y substituer, mais elle peut en fournir les bases linguistiques.

L’intégration de la « sémantique des modalités » dans le processus de modalisation nous paraît d’autant plus pertinente que, parmi les MDs commençant par « si », une sous-classe existe, qui comporte le modal « vouloir » (si vous voulez en est un représentant) ou le modal « pouvoir » (si je puis dire, par exemple), et qui présente, pour rappel, une fréquence plus élevée que d’autres MD commençant aussi par « si » mais ne contenant pas de modal.

5 Pour aller un peu plus loin dans la comparaison entre si vous voulez et s’il vous plaît, nous remarquerons que Laurendeau,

toujours en 2009, introduit une distinction qui nous paraît pertinente entre la portée logogène et la portée logolytique dans la prise en charge : « La prise en charge et son pendant dialectique inaltérable, la prise en compte, sont analysés ici dans les deux dimensions : une dimension polémique (qu’on sent automatiquement dans : Mais non ! Il pleut prononcé devant l’objecteur) et une dimension constative (qu’on sent automatiquement dans Ah non ! Il pleut, prononcé devant la fenêtre) et ce, en incluant en permanence dans l’analyse leurs portées logogène (susceptible de susciter du discours : Il

pleut. Pas vrai ?) et logolytique (susceptible de faire taire : Il pleut. La paix !) » Le marqueur discursif si vous voulez peut, nous

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Sur ce point, nous formulons l’hypothèse, sur laquelle nous reviendrons largement, selon laquelle c’est précisément la prise en compte de la sémantique des modalités, qui permet d’expliquer les nuances illocutoires, dans le processus de modalisation, nuances illocutoires qui font aussi (en plus de la « polyopération » évoquée précédemment) qu’une seule forme de surface peut représenter plusieurs marqueurs discursifs en même temps. Cette citation de Charaudeau par Gosselin pourrait ainsi venir renforcer cette hypothèse, d’autant que l’extrait en question porte sur la sémantique de « vouloir » (2010 : 19) :

Introduire un niveau modal, proprement sémantique, entre les formes linguistiques et les forces illocutoires des énoncés permet d’éviter d’avoir à traiter l’ensemble des marqueurs linguistiques de ce type comme radicalement polysémiques (leur signification se trouvant « éclatée » en un ensemble de sens distincts) :

« Les marqueurs linguistiques ne sont pas monosémiques. Une même marque peut recouvrir différents sens, selon les particularités du contexte dans lequel elle se trouve (polysémie). Par exemple, le verbe vouloir peut exprimer : -un « désir » dans : « Je veux partir » -un « ordre » dans « Je veux que tu partes » ou dans « Veux-tu te tenir tranquille ! » -un « souhait » dans : « Je voudrais tellement partir » -une « demande » dans : Veux-tu venir avec moi ? » » (Charaudeau 1992 : 573)

Mieux, il semble même parfois indispensable de prendre en compte les modalités de l’énoncé pour pouvoir calculer sa force illocutoire dans une situation donnée.