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PARTIE I : LES GANGS CRIMINELS TRANSNATIONAUX COMME

1.2 L'État et l'impact du phénomène des gangs

1.2.1 Les quatre niveaux de l'État menacés par le phénomène des OCT

1.2.1.4 La situation sécuritaire nationale et son impact à l'international

Cette section s'intéresse aux relations externes et au concept de souveraineté étatique. La coopération et l'interaction entre les États sont dans certains cas et dans une proportion croissante reliées au combat contre les trafiquants étant donné la nature du crime organisé. Toutefois, le contrôle de la criminalité et les châtiments qui y sont liés forment une problématique assez délicate si l'on considère la souveraineté étatique. En effet, l'autorité de punir les citoyens représente l'ultime outil de coercition à la disposition de l'État. Dans le cas des organisations criminelles, leurs opérations se poursuivent à l'encontre des juridictions et frontières nationales. Les États dont les territoires sont infiltrés par ces pandillas se retrouvent donc dans une situation complexifiée52 avec les autres États. La souveraineté est un élément essentiel des relations internationales et est un préalable pour entrer en relation avec la communauté internationale (Philpott 1999, 149). C'est un aspect de la souveraineté que souligne Jackson dans la définition qu'il en donne : « Sovereignty is a distinctive way of arranging the contacts and relations of political communities, or states, such as their political independence is mutually recognized and they co-exist and interact on a foundation of formal equality and a corresponding right of non intervention. » (Jackson 1999, 10)

Dans la sphère des ententes internationales, la souveraineté est mise à risque en ce qui

51 Des discussions plus poussées sur l'absentéisme étatique seront abordées dans la seconde partie.

52 Par exemple, les criminels étrangers opérant dans plusieurs États sont la responsabilité des pays affectés par les crimes et des pays d'origine des membres de gangs. Dans le cas du trafic humain, la situation s'alourdit, car elle implique également les États d'origine des victimes (Fukumi 2007, 39).

concerne les traités53 sur le crime organisé et les OCT. Même si le droit international ne possède pas la capacité d'imposer l'adhérence à ceux qui ne ratifient pas les traités en question, la pression internationale peut y parvenir. Il est clair que tout État est moins autonome dans un monde interdépendant, mais les pays en voie de développement voient plus souvent leur souveraineté fragilisée (James 1997, 45). Strange propose l'argument que ce phénomène est dû au fait que l'aide internationale et les relations commerciales peuvent être utilisées comme outil d'incitation, mais aussi de manière presque coercitive afin d'encourager les États en voie de développement à se rattacher aux normes internationales (Strange 1996, 198). Sur la base de la primauté de la souveraineté, l'acceptation et l'adoption de ces normes devraient dépendre strictement de la volonté étatique. Néanmoins, la réalité demeure54 que l'influence de la communauté internationale ne peut être sous-estimée, surtout lorsqu'il est question de pays en voie de développement.

Ce que nous cherchons à mettre en exergue est que la façon d'adhérer aux normes internationales en termes de coercition criminelle peut générer ou exacerber des tensions entre les différents États signataires. L'exemple le plus illustratif est celui d'opérations des forces de l'ordre supportées par une présence militaire. L'État hôte qui subit une telle intervention doit gérer le fait qu'une force militaire étrangère opère sur son territoire, sans oublier l'échange d'informations nécessaire entre les gouvernements respectifs (Camilleri et Falk 1992, 154). Même si l'intervention est une opération bilatérale, les relations ambiguës entre les divers niveaux de l'appareil sécuritaire et étatiques sont souvent tendues.

La souveraineté étatique est en effet progressivement limitée dans un monde à l’interdépendance croissante. Le crime organisé est toutefois parvenu à augmenter l'érosion de la souveraineté afin de faire face aux problèmes en lien avec la multiplicité des juridictions en commettant des crimes et traversant les frontières avec impunité. Si

53 Les deux conventions onusiennes les plus pertinentes sont le UN Convention against Transnational

Organized Crime et le UN Conventions and International Standards Concerning Anti-Money Laundering Legislation.

54 Strange considère même que ne pas se plier aux normes internationales est un risque considérable pour un État, car il pourrait se trouver isolé face à la planification corporative et le commerce international. (Strange 1996, 191)

l'État se voit forcé d'accepter les normes internationales et la coopération avec des forces étrangères, dû à la situation insoutenable générée par les activités des gangs, nous pouvons considérer que les gangs nuisent de façon importante à la souveraineté des États dans lesquels ils opèrent. Même si l'impact des gangs sur les États diffère dépendamment de la situation sociopolitique et économique de chacun, la variation des pressions exercées sur une des quatre fonctions présentées parvient à établir le même résultat quoiqu’à des degrés variables : instabilité, insécurité, manque de légitimité et coûts élevés dans les pays dont le territoire est infiltré par ces groupes.

Le directeur de l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime, Antonio Maria Costa, déclarait dans son rapport du 17 juin 2010 que le « Transnational crime has become a threat to peace and development, even to the sovereignty of nations ». (UNODC 2010, 2) D'après Mr. Costa, depuis le début de cette ''globalisation'' du crime dont nous avons fait allusion précédemment, les réponses étatiques ont été inadéquates. « Crime has internationalized faster than law enforcement and world governance ». (UNODC 2010, 5) Pour lui, les tactiques de contre-attaque de la part des nations à l’étude ont plutôt servi à relocaliser le problème plutôt que de l'adresser au cœur de sa genèse. Il tire aussi une conclusion se rapprochant du point de vue des théoriciens qui soulignaient un vide étatique, à savoir que : « When states fail to deliver public services and security, criminals fill the vacuum. » (UNODC 2010, 7)

Afin de mieux examiner l'impact diffus de la menace sécuritaire non traditionnelle que représentent les actions illicites des gangs de rue en Amérique latine, nous nous sommes concentrés sur quatre fonctions étatiques essentielles et l'influence du trafic de drogue sur ces dernières. L'influence des organisations criminelles provient des ressources financières à leur disposition. La violence reliée au trafic de drogue augmente pour sa part avec l'expansion du territoire de vente, devenant un problème sécuritaire pour la communauté entière. Au niveau diplomatique, l'État se trouve à subir la pression de la communauté internationale afin d'adopter les normes « adéquates » de lutte antidrogue, ce qui peut influer sur le statut de cet État et limiter sa souveraineté décisionnelle. Il est certain que l'impact du trafic sur ces quatre fonctions peut varier, mais la combinaison des conséquences sur ces sphères du pouvoir étatique de premier ordre a toujours de sérieuses conséquences. Cette section a offert une explication théorique des menaces non

traditionnelles et la façon dont le problème est conceptualisé par l'État. Nous avons développé l'argument que l'analyse de ces menaces doit aller plus loin que la simple survie de l'État, car les intérêts étatiques ont plusieurs facettes. Ce cadre théorique nous suivra à travers l'analyse comparative des deux États en question.

Afin de mieux cerner les conditions dans lesquelles les gangs de rues peuvent évoluer, il est important de considérer les caractéristiques socio-économiques telles que la violence sociale et l’inégalité. L’objectif n’est pas de brosser exclusivement le portrait des conditions de pauvreté des pays à l’étude, mais plutôt d’arriver à bien identifier tous les éléments qui encouragent directement ou indirectement la participation au sein des gangs de rue et plus concrètement ceux qui contribuent au sentiment de citoyenneté parallèle. En effet, ces derniers nous permettront de comprendre l’ampleur et le renouveau de la composition (membership) et de l’influence des gangs et, plus tard, de comprendre l’inefficacité des réponses proposées par l’appareil étatique.