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Chapitre VI : Hikāyat Zahra de Hanān al-Shaykh

1- Situation de la femme

Dans le roman de Sālih, on relève l‘existence de deux catégories de femmes opposées selon leurs milieux sociaux : les villageoises soudanaises et les Anglaises, toutes citadines sauf Sheila. Les premières – représentées entre autres par Bint Majzūb, par Hasna et par la mère du narrateur – vivent dans une société arabo-africaine (majoritairement) islamique traditionnelle, un clan où la

distinction entre les tribus est toutefois importante en termes de descendance et de coutumes. Elles sont soumises à l‘autorité souvent indiscutable de l‘homme et à la volonté du groupe (du clan ou de la tribu), à ses us et à ses coutumes. De manière générale, on leur confie des tâches ménagères et leur réserve une partie de la maison tandis que les hommes utilisent une autre pièce qui englobe le diwān (voir la description de la maison de Mustafā, p. 15). La décision concernant leur

(re)mariage est prise essentiellement par leurs proches, précisément par des hommes comme le père et/ou le frère. De plus, ces femmes sont excisées

conformément aux coutumes locales malgré les doutes, chez certains, sur l‘islamité de cette pratique.

Quant aux Anglaises du texte, elles vivent dans une société (urbaine) moderne où l‘emprise du groupe, surtout la famille, sur la vie de l‘individu n‘est pas aussi forte et manifeste que dans le milieu social soudanais créé par Sālih. Les faits racontés par Mustafā sur ses ex-petites amies, sur sa femme et sur madame Robinson108; sur leurs rapports avec les hommes et sur leurs professions ou activités marquent un grand contraste avec la situation féminine au village du narrateur. Les unes travaillent (comme Sheila), certaines vont à l‘université (comme Ann), d‘autres participent à des activités sociales (fêtes et réunions, etc.) et se marient même en l‘absence de leurs familles (comme Jean).

Les femmes du village du narrateur qui semblent échapper ou résister aux règles du jeu social sont respectivement Bint Majzūb et Hasna. La première fume, boit de l‘alcool, s‘assoit avec d‘autres hommes dans la même pièce (le diwān) et parle librement de la vie en général, y compris de ses ex-maris et de son

expérience sexuelle. Il lui arrive même de menacer par le serment de la répudiation, tel un homme, pour convaincre tout interlocuteur douteux de la véracité de ses propos. Pourtant, elle a intériorisé les traditions et coutumes ainsi que les valeurs qui les sous-tendent. Selon Evelyne Accad, « Bint Majzūb‘s power and independence [do] not lead her to revolt against the status quo. In fact, she is a strong supporter of custom and tradition because she has gained her position by that very means » (1985, p. 61). Cette femme a hérité de ses nombreux maris

108 Il s‘agit d‘une Anglaise qui, avec son mari, accueillent Mustafā lorsqu‘il quitte son pays pour

défunts une fortune qui lui garantit une certaine autonomie et une marge de manœuvre sociale comme femme qui n‘est pas accordée à ses paires.

Pour ce qui est de la deuxième femme, Hasna, deux éléments nous sont fournis afin de comprendre l‘exceptionnalité de son cas par rapport à la norme sociale dans ce milieu rural soudanais. D‘abord, il y a les détails sur son

enfance qui prédisent une certaine déviation quant au processus de socialisation ‗normal‘ d‘une fille locale : elle aimait faire les choses que les garçons

préféraient comme nager nue avec eux, monter aux arbres et faire de la lutte. De plus, comme femme adulte, elle montre les aspects d‘une citadine, selon les propos de l‘ami du narrateur, Mahjūb : « Nous la regardons aujourd‘hui [après son mariage] et nous la voyons comme une chose nouvelle. Tu sais? Comme les citadines » (p. 104, notre traduction). Son union avec un Soudanais fortement occidentalisé (Mustafā) habitué à vivre avec des femmes beaucoup plus

autonomes a consolidé cette différence par rapport aux autres villageoises109. Ces données expliquent le refus de Hasna de devenir la femme de Wad al-Rayyis (ou de l‘un des hommes qui ont montré de l‘intérêt pour elle) et les décisions

‗bizarres‘ (du point de vue de la famille et des gens du village, à l‘exception du narrateur) qu‘elle a prises afin d‘éviter ce mariage illégitime puisqu‘imposé : prendre l‘initiative et demander à Mahjūb et au père du narrateur de convaincre ce dernier qu‘il se marie avec elle – un mariage ‗blanc‘ sans aucune obligation pour lui – rien que pour s‘occuper de ses enfants. Une chose que le narrateur, déjà marié et éduqué en partie en Angleterre, n‘aurait pu faire sans impact sur ses

109 Pour Waïl S. Hassan, « Mustafa seems to have transformed Hosna into an independent-minded

propres valeurs ainsi que sur celles de sa famille où la polygamie et le divorce sont très souvent évités.

Par ailleurs, les rapports de Mustafā avec les femmes anglaises, comme il a été déjà souligné, ont une charge symbolique très importante. En effet, ces relations constituent une manifestation du contact colonial violent entre l‘Occident et l‘Orient (le monde arabe) surtout dans l‘esprit de Mustafā. Allen écrit à ce propos : « The means by which this meeting or confrontation between East and West (or between North and South, as the novel expresses it) is

[represented is] that of [Mustafā‘s] relationships with a number of English women » (Allen, 1995, p. 160)110. Que les rapports établis entre ce personnage et la femme anglaise finissent souvent en suicide (celui d‘Isabella, d‘Ann et de Sheila) ou en meurtre-suicide (de Jean) montre l‘intensité et la violence de cette rencontre entre le colonisé et le colonisateur dans ce roman. D‘autant plus que Mustafā, en proie aux illusions, se veut un « intrus colonisateur », « un libérateur de l‘Afrique », « un conquérant » (et non pas un général maure au service des Vénitiens contre les Ottomans comme Othello). Il entend inverser les rapports de

110 L‘écrivain lui-même reconnaît que « one of the major themes of Season is the East/West

confrontation, or to be more specific, the confrontation between the Arab Muslim World and the Western European one. I do not have anything original to add to what several distinguished critics have said about it, except that I have re-defined the so-called East/West relationship as essentially one of conflict, while it had previously been treated in romantic terms. We know better now » (Sālih cité dans in Amyuni, 1985, p. 16). « The romantic terms » est probablement une allusion aux récits de Suhayl Idrīs, de Yahyā Haqqī, d‘al-Hakīm et les autres qui décrivent les rapports entre le monde arabe et l‘Occident et des relations d‘amour entre des Arabes et des Européennes. Mais il y aurait d‘autres différences en ce qui a trait à ces diverses « confrontations », selon Issa Boullata (1980, p. 59), certaines étant « spirituelles » (Haqqī), « socio-psychologiques » (Idrīs) ou « politiques » (Sālih). Il est intéressant de voir que l‘auteur précise que cette confrontation est l‘un « des grands thèmes » et non pas le seul et le plus important, contrairement à ce qu‘a essayé en vain de prouver nombre de critiques, surtout arabes. Par ailleurs, l‘anticolonialisme de Mustafā s‘illustre aussi dans ses propres publications sur la réalité coloniale et la domination militaire et économique. Parmi celles-ci, on trouve des titres très signifiants : la Croix et la poudre,

domination et de subordination entre les deux pays (Soudan et Grande-Bretagne) et les deux régions (monde arabo-africain/Europe; Est/Ouest). Une des manières de le faire est à travers les rapports (sexuels) avec les femmes anglaises. Il aurait même explicité ce désir tout en gardant implicite son moyen : « je libérerai l‘Afrique avec mon … » (p. 122, notre traduction)111. Quant à la relation entre Mustafā et madame Robinson, elle est ambivalente : il y cherche la tendresse maternelle qui lui manque, mais il lui arrive aussi de « désirer » cette femme (بٙ١ٙزّأ).

On voit bien que ce deuxième cas présente des différences intéressantes par rapport au premier, d‘abord parce que les traducteurs sont d‘origines diverses, arabe et non arabe, ce qui permet de voir et de comparer comment la

représentation de la femme et des traits culturels du texte se fait chez eux et de complexifier le problème de l‘assimilation et de la non assimilation. Ensuite, il y a la coexistence et parfois la juxtaposition des images de femmes arabes et

anglaises, ce qui rend possible l‘exploration des convergences et des divergences en termes de stratégies de traduction selon l‘identité de la femme décrite. En outre, la Soudanaise, représentée par Bint Majzūb, exprime son point de vue concernant l‘Anglaise (et l‘Européenne réputée chrétienne en général) et révèle la vision du monde locale avec ses préjugés, clichés et partis pris. Enfin, le texte traite de manière plus explicite des différences culturelles entre les deux régions et est ainsi idéal pour une étude traductologique qui explore la transposition des traits culturels dans les traductions littéraires et ses enjeux identitaires.

111 Dans les traductions anglaise et françaises, on explicite le mot (l‘organe sexuel). En revanche,

2- Analyse

2-1 Aspects culturels

Le début de l‘analyse textuelle sera consacré à la traduction des traits culturels du roman de Sālih. L‘exploration de certains aspects évoqués constituera un avant-goût de la représentation culturelle aussi bien dans le texte de Sālih que dans les traductions présentées, surtout qu‘on trouve, parmi les traits évoqués, la femme et ses rapports avec les hommes. Le premier passage que nous étudierons est un extrait de cette scène de retrouvailles entre le narrateur et les membres de sa famille et certains villageois. Il montre comment le narrateur, qui a une bonne connaissance des deux mondes, essaie de remettre en question les stéréotypes et les préjugés des Soudanais à propos des Anglais et de réduire la différence culturelle entre les deux entités en insistant sur leurs similarités :

. "؟ْٛػهايِ ُٕٙ١ث ً٘" . ةٛغؾِ ٌٟٕأٍٚ بٍٕضِ ، ٍُؼٌّاٚ عهايٌّاٚ ت١جطٌاٚ ًِبؼٌا ُِٕٙ .ءّٟ ًو ُٕٙ١ثٚ ْٛػهايِ ُٕٙ١ث ُؼٔ" : ٌٗ ذٍلٚ ٟفٚ ْٛرّٛ٠ٚ ْٚلٌٛ٠ . بِبّر بٍٕضِ" : ٌٟبث ٍٝػ وطف بِ خ١مث يٛلأ لاأ دوصآٚ ."بِبّر ٌٝا لٌّٙا ِٓ خٍؽوٌا ٓػ ْٛضؾج٠ٚ ، تؾٌا ْٚلْٕ٠ٚ ، يٛٙغٌّا ْٛفبق٠ . ت١ق٠ بٙٚؼثٚ قلٖ٠ بٙٚؼث بِلاؽأ ٍّْٛؾ٠ لؾٌٍا . لٌٌٛاٚ طٚيٌا ٟف خٕ١ٔأّطٌا (p.7)

‗Are there any farmers among them?‘ Mahjoub asked me.

‗Yes, there are some farmers among them. They‘ve got everything – workers and doctors and farmers and teachers, just like us.‘ I preferred not to say the rest that had come to my mind: that just like us they are born and die, and in the journey from the cradle to the grave they dream dreams some of which come true and some of which are frustrated; that they fear the unknown, search for love and seek contentment in wife and child; (Johnson-Davies, p. 3)

- Y a-t-il des agriculteurs parmi eux? demanda Mahjoub. - Oui, des agriculteurs et aussi des ouvriers, des médecins, des

professeurs, exactement comme chez nous.

Je choisis de taire la suite telle qu‘elle me vint à l‘esprit : « … Exactement comme nous. Ils naissent, meurent, et durant ce périple qui joint le berceau à l‘Éternité, font des rêves dont certains se réalisent. Ils ont peur de

l‘inconnu, cherchent l‘amour, ou, dans le mariage, aspirent à la sécurité que donnent une femme et des enfants. (Noun, p. 21)

- Y a-t-il des agriculteurs parmi eux? demanda Mahjoub. - Oui, des agriculteurs et aussi des ouvriers, des médecins, des

professeurs, exactement comme chez nous.

Je préférai taire la suite telle qu‘elle me vint à l‘esprit : « … Exactement comme nous. Ils naissent, meurent, et durant ce périple qui joint le berceau à l‘Éternité, font des rêves dont certains se réalisent. Ils ont peur de

l‘inconnu, cherchent l‘amour, ou dans le mariage, aspirent à la sécurité que donnent une femme et des enfants. (Meddeb/Noun, p. 13)

Notons d‘abord l‘usage de l‘expression « لؾٌٍا ٌٝا لٌّٙا ِٓ». Celle-ci est prise d‘un hadith du prophète Muhammad où il exhorte les musulmans et les musulmanes à chercher et à acquérir le savoir depuis la naissance (le jeune âge) jusqu'à la mort. Cette allusion au discours religieux local, utilisée pertinemment par Sālih et attribuée au narrateur qui vient de terminer ses études doctorales en Angleterre, est mieux gardée par Johnson-Davies (« from the cradle to the grave ») tandis que Noun et Meddeb optent pour « ce périple qui joint le berceau à l‘Éternité », une expression qui assimile le sens à la culture chrétienne. Dans cette dernière, l‘Éternité signifie « la vie future »112 tandis que le « لؾٌ » représente la mort (et la fin du processus d‘apprentissage).

On remarque dans la traduction anglaise une certaine littéralité : « cradle » et « grave » restituent en partie la rime de la phrase « لؾٌٍا ٌٝا لٌّٙا ِٓ » (min al-

mahdi ilā al-lahdi) même si les répétitions (de son) ne sont pas aussi parfaites ni

112 Selon le Dictionnaire du nouveau testament (1996), « […] la communion avec le Christ n‘est

pas brisée par la cessation de la vie terrestre, le Seigneur Christ demeurant à jamais le même. Le croyant ne doit pas donc avoir peur de la mort, car il est dans le Christ à jamais vivant » (Léon- Dufour, pp. 386-7). Selon Jean 11 : 25 : « Qui aime sa vie la perdra, mais qui ne l‘aime pas en ce monde-ci la garde pour la vie à venir » (La Bible, nouvelle traduction, 2001, p. 2398). Certes, il existe en islam une idée de « l‘autre vie » (après la mort); on parle ainsi de ءبمجٌا هاك ou « maison de permanence », d‘une vie future éternelle. Toutefois, il n‘y a pas de « communion » avec le prophète, comme condition, analogue à celle du christianisme.

nombreuses que dans le texte initial et malgré le fait que l‘expression anglaise est idiomatique. Le jeu formel des signifiants est cependant quelque peu retenu. En outre, le traducteur garde relativement la structure syntaxique du texte et préserve les répétitions (« dream dreams » [بِلاؽأ ٍّْٛؾ٠], « some of which » [بٙٚؼث] et « and » ] ), et ce même si, à la différence de l‘arabe, on a tendance à les éviter en ٚ[ anglais et à garantir une certaine concision. Enfin, on voit que ce traducteur conserve aussi la structure de la dernière phrase malgré sa longueur. C‘est un travail que Venuti qualifierait de « foreignization » puisqu‘il fait ressortir la nature autre du texte traduit. Selon Jeremy Munday, « [a]mong the elements […] which Venuti considers to be distinctive of foreignization are the close adherence to the ST structure and syntax » (Munday, 2001, p. 147).

De même, les choix de Johnson-Davies reflètent un aspect littéral de sa traduction qui se rapproche parfois du « travail sur la lettre ». Cette littéralité nous permet ainsi d‘étudier cette méthode de traduction préconisée par Berman qu‘on n‘a pas beaucoup vue dans le premier cas. L‘objectif est de problématiser cette

stratégie. D‘autant plus que ces combinaisons linguistiques (arabe-français ou

arabe-anglais) sont très différentes de celles sur lesquelles Berman a travaillé, comme les traductions faites de l‘anglais et du latin vers le français.

Dans les deux versions françaises du passage cité, par contre, on supprime les répétitions (« font des rêves » et « dont certains se réalisent »), paraphrase l‘expression « لٌٌٛاٚ طٚيٌا ٟف خٕ١ٔأّطٌا ٓػ ْٛضؾج٠ » (« dans le mariage, aspirent à la sécurité que donnent une femme et des enfants ») et divise la dernière phrase arabe en deux. Remarquons aussi la recherche – par la réécriture – d‘un style élégant par l‘emploi de l‘expression « aspirer à » (et par la phrase « durant ce

périple qui joint le berceau à

l‘Éternité »). « L‘hypertextualité » des versions de Noun et de Meddeb et leur respect de la transparence de la langue cible semblent se confirmer.

Dans les trois versions, on rend toutefois le terme « طٚى » – pouvant désigner les deux sexes, époux ou épouse – par « wife » ou « femme ». C‘est un choix qui ne reflète pas nécessairement le point de vue général du narrateur sur la question de la femme. Celle-ci « cherche » aussi cette « sécurité dans le mari et l‘enfant ». Il est vrai que les membres du village posent des questions en utilisant souvent le pronom personnel pluriel masculin ‗ils‘ (ُ٘), mais ce même usage n‘est dicté que par le souci de concision et de facilité communicative. D‘autant plus qu‘on peut employer aussi le terme « خعٚى » pour désigner l‘épouse en arabe alors qu‘ici, le narrateur préfère le mot inclusif « طٚى » (employé dans le Coran). Nous verrons plus loin si ces choix révèlent la tendance générale des traductions de l‘image de la femme dans les versions produites. Enfin, remarquons la quasi- identité des versions françaises, la seule différence étant l‘usage des verbes « choisir » et « préférer » respectivement par Noun et Meddeb. Ce dernier rend le sens initial.

En matière de représentation des traits culturels, la version anglaise est la plus susceptible de garder la différence culturelle et ce malgré le fait que Noun et Meddeb ont recours plus souvent que Johnson-Davies aux notes de bas de page. Ainsi, pour traduire le mot ٖكاهٚأ dans la phrase « ٖكاهٚأٚ ٗرلإ ِٓ ٟثأ ؽوفٚ » (p. 6), Johnson-Davies explicite le sens du texte afin de montrer le genre de récitations en question (« My father […] having finished his prayers and recitations from the Koran », p. 2) tandis que Noun et Meddeb optent pour des traductions plus

générales : « Mon père […] ayant parfait sa Prière et ses Récitations » (p. 20) et « ayant fini sa prière et ses récitations » (p. 12). On n‘explique pas le genre de textes « récités ». Même si Noun utilise les lettres majuscules « P » et « R » qui peuvent signifier des devoirs et textes religieux, il ne donne pas nécessairement le sens exact. Meddeb omet cette explicitation, ce qui peut être intéressant quand on verra la traduction d‘autres traits religieux du texte. Lorsque le narrateur décrit la position du soleil au milieu du ciel par le biais d‘une expression métaphorique typiquement arabe : « ةوؼٌا يٛم٠ بّو ،بِبّر ءبٌَّا لجو ٟف ْ٢ا بٙٔإ » (p. 113), Johnson- Davies utilise l‘expression « [n]ow it is exactly in the liver of the sky, as the Arabs say » (p. 111). Il garde le sens littéral (l‘altérité) et plus ou moins la structure générale de la phrase et montre un souci de la ‗lettre‘ du texte, de sa forme et de ses signifiants. Noun, par contre, a recours à la paraphrase : « il est au zénith maintenant » et assimile ainsi le texte à la normativité et à la transparence de la langue cible. Meddeb, quant à lui, fournit une traduction médiane entre une préservation du sens et de la forme du texte et son assimilation à l‘usage de la langue française : « battant au cœur du ciel, comme disent les Arabes » (p. 103). Il garde plus ou moins la structure de la phrase initiale, mais change l‘image en faisant référence au « cœur » et à ses « battements ». Il s‘agit d‘une image beaucoup moins particulière et authentique que celle du texte source.

Par « authentique », il n‘est pas dit que cette expression soit le produit d‘une culture arabe pure, mais il est entendu que son usage est fait selon une tradition linguistique et esthétique qui distingue la culture arabe des autres. Loin de vouloir nier le syncrétisme (les similarités, les emprunts, le in-between ou le

avec d‘autres modes de vie et façons de communiquer par le passé, nous tenons à mettre en valeur cette différence par rapport à la culture occidentale dans une époque donnée, la nôtre. Cette description inscrivant l‘intégrité de chaque culture et sa différence (dans le temps et l‘espace) par rapport aux autres, ne doit pas être écartée, car une telle négation finit par remettre en question la particularité (historique) de chaque culture et la spécificité de toute traduction en refusant de voir l‘originalité, non pas du détail (ou de chaque élément constitutif pris

individuellement) mais du tout – du texte, de la perspective narrative, de la vision du monde, du style de vie, de l‘imaginaire – plus ou moins cohérent à un moment donné de l‘histoire. Cette différenciation est également intéressante car elle trace une ligne entre les cultures postcoloniales, entre les ex-colonisateurs et les ex- colonisés, et permet de voir à l‘œuvre les diverses influences subies et/ou exercées et le jeu de pouvoir qui y est inhérent. Elle peut aussi aider à mettre au jour la superposition d‘aspects de cultures dominantes sur les cultures dominées et de voir le rôle que la traduction peut y jouer. Ce constat est important et pose des problèmes à l‘approche bermanienne, dans la mesure où selon Berman toute

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