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Aspects et enjeux de la représentation culturelle dans la traduction du roman arabe postcolonial en français et en anglais

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Academic year: 2021

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ASPECTS ET ENJEUX DE LA REPRÉSENTATION CULTURELLE

DANS LA TRADUCTION DU ROMAN ARABE POSTCOLONIAL EN

FRANÇAIS ET EN ANGLAIS

Par

Mustapha Ettobi

Département de langue et littérature françaises Université McGill, Montréal

Thèse soumise à l‘Université McGill en vue de l‘obtention du grade de Ph.D. en langue et littérature françaises

Août 2010

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Remerciements

Je voudrais remercier mes co-directrices Madame Gillian Lane-Mercier et Madame Michelle Hartman de leur aide, soutien et contribution à mon travail. Leurs commentaires et suggestions étaient précieux et m‘ont permis de réaliser cette étude que je dédie aux membres de ma famille, surtout à mes parents, et à mes amis (Dominique, Heather, Mohamed et Randa) qui m‘ont beaucoup encouragé.

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Résumé

La traduction du roman arabe postcolonial en français et en anglais présente un cas intéressant où la question de la représentation culturelle peut être explorée de manière à mettre au jour ses aspects et enjeux divers et à montrer le rôle des traducteurs et des traductrices, entre autres acteurs, dans la négociation de la distance culturelle entre le romancier ou la romancière arabe (ou local-e) et le public cible, notamment occidental. Cette thèse est aussi une réflexion approfondie sur l‘assimilation et la non assimilation. Elle vise à problématiser leur fonction, effet et valeur axiologique ainsi qu‘à remettre en cause certains présupposés sur le fait traductif et sa dimension représentationnelle. Nous adoptons une approche historiciste plus inclusive afin d‘étudier les romans et les (re-)traductions de notre corpus, de faire ressortir la complexité de la traduction littéraire et d‘enrichir la réflexion sur les modalités de la transposition des traits culturels, notamment la situation de la femme, dans les versions produites.

Notre étude offre également un aperçu de la traduction de la littérature arabe entre 1968 et 2004. Elle illustre plusieurs aspects de ce mouvement, y compris ses facteurs économiques, (géo-)politiques, littéraires et culturels. En outre, elle comprend une évaluation d‘études déjà faites sur des aspects de cette traduction. Nous y essayons aussi de promouvoir une autre vision de la traduction et de la réception de cette production littéraire plus favorable à la création de goûts diversifiés chez le lectorat et au

rapprochement des points de vue des cultures arabes et occidentales à un moment où la connaissance mutuelle est cruciale et où le débat sur le Soi et l‘Autre (l‘Arabe, le musulman/la musulmane) ne cesse de susciter de l‘intérêt au début de ce troisième millénaire. L‘éthique de cette traduction est considérée non seulement en termes de préservation ou de gommage de l‘altérité, dont les effets ne sont pas nécessairement prévisibles, mais également selon les enjeux esthétiques incontournables de cette activité.

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Abstract

The translation of the postcolonial Arabic novel into English and French is an interesting case in which cultural representation can be examined in a way to shed light on its diverse aspects and repercussions as well as explore the role of the translators, among other agents, in negotiating the cultural distance between Arab novelists and the target audience, namely the Western one. This thesis looks closely at the notions of assimilation and non assimilation. It aims at reviewing their function, effect and axiological value as well as reconsidering some common assumptions about translation and its

representational dimension. A historicist and more inclusive approach is adopted so as to study the novels and (re)translations selected, to highlight the complexity of literary translation and to further explore the ways in which cultural traits, especially the situation of women, are rendered in the translated versions.

Moreover, this study offers a brief overview of the translation of Arabic literature into French and English from 1968 to 2004. It illustrates several aspects of the latter, including economic, (geo)political, literary and cultural factors. In addition, it presents an evaluation of relevant studies and analyses conducted on the translation of Arabic

literature into these languages. An attempt is made to promote a different vision of this translation, one that is more favourable to the creation of diversified tastes for Arabic literary works and to greater convergence of the worldviews of Arab and Western cultures at a time when mutual understanding is crucial and the debate on the relations between Self and Other (the Arab and/or the Muslim) has proven increasingly relevant since the beginning of the third millennium. The ethics of the translation from Arabic into English and French is discussed not only in terms of the preservation or omission of cultural alterity, the effects of which are not necessarily predictable, but also according to the undeniable aesthetic issues raised by this activity.

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Aspects et enjeux de la représentation culturelle

dans la traduction du roman arabe postcolonial

en français et en anglais

Remerciements i

Résumé ii Abstract iii Table des matières iv

Introduction 01

Chapitre I : Traduction de la littérature arabe : évaluations et évolution 17 1- De l‘intérêt pour la littérature arabe en Occident 17

2- État de la traduction de la littérature arabe en français et en anglais entre 1968 et 2004 34

Chapitre II : Représentation culturelle en traduction littéraire : aspects théoriques 52 1- Représentation culturelle et goût 52

2- La problématique de l‘assimilation et de la non assimilation 68 Chapitre III : Awlād Hāratinā de Najīb Mahfūz 89

1- Allégorie, Prix Nobel et traduction 91 2- La femme dans Awlād hāratinā et ses traductions 97 Chapitre IV : Mawsim al-hijra ilā al-shamāl d’al-Tayyib Sālih 141

1- Situation de la femme dans Mawsim al-hijra ila al-shamāl 150

2- Analyse 155

2-1 Aspects culturels 155

2-2 Femmes d‘Ici, femmes d‘Ailleurs en traduction 169

Chapitre V : Al-Khubz al-hāfī de Muhammad Shukrī 216

1- La femme dans al-Khubz al-hāfī et ses traductions anglaise et française 228

2- Analyse 230

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1- Situation de la femme 289

2- Analyse 292

Conclusion générale 334

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Introduction

La traduction de la littérature arabe postcoloniale, en l‘occurrence le roman, en français et en anglais présente un cas intéressant où le rôle de la traduction, comme échange de produits symboliques, peut être étudié de manière à explorer l‘interaction entre la traduction et la culture, plus précisément la représentation culturelle. Par « représentation culturelle », nous désignons le fait que la

traduction construit et véhicule une certaine image, une vision de la culture d‘où le texte traduit provient ou qu‘il décrit. Elle aide à la ‗connaître‘ – ou du moins à en donner une idée – et à établir des rapports avec l‘Autre. Cette représentation peut être faite de manière explicite dans les paratextes, c‘est-à-dire dans les

introductions, les préfaces, les notes de traducteur ou d‘éditeur, les notes de bas de page, les glossaires, etc. Elle peut aussi s‘effectuer à travers la reproduction, la transformation, l‘omission, voire le changement total des traits culturels du texte original. De même, l‘image de la culture peut être présentée ou promue dans les extratextes tels que les études critiques des œuvres traduites, les entrevues du traducteur ou de l‘éditeur sur la traduction, ou les adaptations du texte

(reproductions audiovisuelles, films, bandes dessinées, interprétations théâtrales, dessins animés, discours politiques, etc.).

Dans le cas évoqué, celui de la traduction de la littérature arabe en général et du roman en particulier, plusieurs facteurs rendent l‘étude de la représentation

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culturelle en traduction une entreprise intéressante. Premièrement, la production littéraire arabe, surtout le roman, a connu une grande évolution au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale et de l‘accession graduelle de pays arabes à

l‘indépendance. Roger Allen (1995), spécialiste de ce genre, parle de « la maturité » du roman arabe. Le fait que le romancier égyptien Najīb Mahfūz obtienne le Prix Nobel en 1988 prouve l‘aboutissement du genre en question et sa reconnaissance du moins symbolique au niveau international. Deuxièmement, la traduction de cette littérature, notamment du roman arabe postcolonial, s‘est beaucoup développée, ce qui rend son étude plus intéressante que jamais. Troisièmement, le roman postcolonial présente plusieurs aspects de la vie arabe dont l‘étude, aussi bien dans les œuvres originales que dans leurs traductions, nous permet d‘explorer la représentation de la culture arabe en Occident

anglophone et francophone et d‘apprécier son interaction avec le(s) discours sur le monde arabe1. Quatrièmement, une telle recherche est d‘autant plus utile

maintenant que le débat sur les rapports entre l‘Occident et le monde arabo-islamique s‘intensifie constamment pour diverses raisons : l‘immigration

importante de gens du monde arabe vers l‘Occident, la mondialisation, le progrès technologique et le contact de plus en plus fréquent entre les Arabes et les autres peuples, y compris les Européens et les Nord-Américains. Il y a aussi la montée de l‘islamisme et la question de la sécurité qui n‘a pas cessé de prendre de

l‘ampleur depuis les événements tragiques du 11 septembre 2001. Récemment, les

1 Parmi les sujets traités par les romans arabes, Allen (1995) cite « conflict and confrontation »

(dont « revolution and independence » et « civil war in Lebanon »), « changing relationship between the Middle East and the West », « societal transformation after independence » (y compris « the impact of oil », « family roles and the status of women » et « the individual and freedom ») (pp. 68-110).

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débats sur la question du voile et du niqāb chez les musulmanes ont été menés, entre autres, en France, en Belgique, en Suisse et au Québec. Ils ont mis beaucoup de lumière sur le statut de la femme dans le monde arabo-islamique, et même sur la situation féminine arabo-musulmane au sein des sociétés occidentales.

Sixièmement, en traductologie, l‘intérêt pour la dimension culturelle de la traduction s‘est accru graduellement après l‘avènement de ce qu‘on appelle le « tournant culturel » (Bassnett et Lefevere, 1990). On s‘est rendu compte que la recherche devait aller au-delà du strictement linguistique et/ou textuel en

traduction pour interroger son aspect culturel. Selon Jeremy Munday, « Bassnett and Lefevere go beyond language and focus on the interaction between translation and culture, on the way in which culture impacts and constrains translation and on the larger issues of context, history and convention » (2001, p. 127). On a

commencé à prendre en considération aussi bien les aspects littéraires que non littéraires de la traduction2. Il s‘ensuit que la conjoncture traductologique est propice à ce genre d‘études.

Tous ces facteurs ont rendu et rendent toujours la réalisation d‘une telle étude importante, puisqu‘elle permet de voir comment la culture arabe est représentée pour son lectorat local par ses littérateurs, en l‘occurrence ses romanciers et romancières, et la manière dont elle est vue et traduite pour un public étranger, surtout occidental. Parmi les questions que soulève cette thèse, on trouve les suivantes : Comment les traducteurs négocient-ils cette distance entre les cultures source et cible? À quels niveaux peuvent-ils agir? Quelles différences

2 Selon Edwin Gentzler, on a réussi à « redéfinir » « the object of study as a verbal text within the

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peut-on trouver entre les traductions françaises et anglaises? Quel rôle jouent les éditeurs et les préfaciers? Quel pourrait être une éthique de la traduction? Quel serait l‘effet de la critique? Quel est le rôle du goût dans la traduction littéraire et la représentation culturelle?

Dans cette étude, le terme « roman arabe » est utilisé dans une acception précise. Certes, les productions romanesques d‘écrivains arabes d‘expression française, anglaise ou autre peuvent être considérées comme des parties

intégrantes de la littérature arabe. Mais nous allons les exclure ici puisque notre objectif est de faire une étude comparative des versions françaises et anglaises de textes écrits en arabe. Nous sommes de l‘avis que la traduction d‘œuvres écrites en d‘autres langues par des auteurs originaires du monde arabe nécessite un traitement différent, c‘est-à-dire une étude qui tient compte de leur dualité culturelle et linguistique voire de leur multilinguisme et multiculturalisme. Cependant, nous évoquons parfois certaines œuvres d‘écrivains qui ont contribué à la traduction de la littérature arabe, comme Meddeb et Ben Jelloun, et ce pour illustrer des aspects de leurs choix.

Corpus

Vu l‘énormité de la production romanesque arabe postcoloniale, nous avons été obligé de faire une sélection de textes qui constitueraient notre corpus. Aussi avons-nous décidé de travailler sur des œuvres qui nous aideraient à mieux réaliser notre étude. Ces textes sont bien reçus en Occident francophone et anglophone, sont connus de la plupart des arabisants et ont été ou sont enseignés dans des universités et/ou des instituts occidentaux. Puisqu‘ils circulent dans des

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institutions critiques et académiques, ces romans sont plus susceptibles d‘influencer la manière ou les manières dont la culture arabe est vue et représentée en Occident. Ils nourrissent et interagissent avec les débats et les discours (orientaliste, féministe, politique, etc.) sur le monde arabe. En outre, ces romans ont été rendus en français et en anglais par différents traducteurs aussi bien locaux qu‘étrangers, vivant dans le monde arabe ou en Occident. Le corpus reflète ainsi divers scénarios de la traduction, sa production ayant eu lieu entre 1969 et 1994. Enfin, le corpus représente des régions différentes du monde arabe. L‘idéal aurait été probablement de prendre un cas de chaque culture arabe; mais il serait pratiquement impossible de faire une étude comparative approfondie d‘une soixantaine de textes ou plus.

Le corpus sur lequel nous avons travaillé se compose de quatorze textes. Il comprend quatre œuvres romanesques : (1) Awlād hāratinā (Enfants de notre quartier) de Najīb Mahfūz (Égypte), (2) Mawsim al-hijra ilā al-shamāl (Saison de la migration vers le Nord) d‘al-Tayyib Sālih (Soudan), (3) al-Khubz al-hāfī (le Pain nu) de Muhammad Shukrī (Maroc) et (4) Hikāyat Zahra (Histoire de Zahra) de Hanān al-Shaykh (Liban). Il inclut aussi leurs traductions (et retraductions) respectives : (1) Children of Gebelawi (1981), les Fils de la médina (1991) et

Children of the Alley (1994); (2) Season of Migration to the North (1969), le Migrateur (1972) et Saison de la migration vers le Nord (1983); (3) For Bread Alone (1973) et le Pain nu (1980); (4) Histoire de Zahra (1985) et The Story of Zahra (1986).

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Peu nombreuses sont les études faites sur la traduction de la littérature arabe en français et en anglais. Il est curieux de constater que ce sujet n‘a pas suscité l‘intérêt de beaucoup de chercheurs malgré une histoire assez longue de traduction de la littérature arabe. C‘est au XVIIIe siècle qu‘Antoine Galland entreprit la première traduction des Mille et une nuits, une initiative suivie par plusieurs autres traductions françaises et anglaises de la même œuvre (cf. Irwin [1994] et Tomiche [1978]). En fait, la seule étude disponible ayant voulu faire une analyse plus ou moins générale du sujet est le livre de Nada Tomiche intitulé la

Littérature arabe traduite (1978). Elle y fait une évaluation de cette traduction,

tout en se basant sur des statistiques ainsi que sur l‘analyse des thèmes d‘œuvres traduites entre 1948 et 1968. D‘où le besoin, entre autres choses, d‘une étude qui se consacre aux traductions faites après cette période et qui donne une idée de leur évolution et de leur nature. C‘est ce que nous proposons de faire, tout en nous en tenant aux langues traduisantes française et anglaise et à la période s‘étendant de 1968 à 2004. Quant aux autres études, elles se limitent généralement soit à une œuvre traduite, soit à une langue traduisante ou à un aspect particulier comme la réception ou l‘édition. Elles ne donnent pas une vue d‘ensemble et n‘adoptent pas une approche comparatiste. En prenant cette initiative, nous espérons produire un travail sur lequel d‘autres recherches seront basées et qu‘elles viendront

compléter.

L‘intérêt de notre étude réside également dans l‘usage d‘une méthode d‘analyse et d‘un cadre conceptuel traductologiques. À notre connaissance, peu d‘analystes s‘étant intéressés à la traduction de la littérature arabe font usage des méthodes offertes par cette discipline. Les travaux de Nada Tomiche (1978),

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Edward Said (1990), Richard Jacquemond (1998) et Peter Clark (2000), entre autres, constituent davantage des études ou des critiques littéraires. D‘autres recherches de nature beaucoup plus scientifique, empruntent à la linguistique leur méthode d‘analyse. Pour notre part, nous comptons, nous référer à ce qui a été réalisé, entre autres, dans le domaine de la traductologie3. Ainsi, les travaux de théoriciens et de théoriciennes de cette discipline seront privilégiés, notamment ceux de Lawrence Venuti (1995 et 1998), d‘Antoine Berman (1985, 1990 et 1999), de Gillian Lane-Mercier (1997 et 1998), de Jean-Marc Gouanvic (1999 et 2007), de Sherry Simon (1995 et 2000), d‘Annie Brisset (1990) et d‘André Lefevere (1992). À ces textes traductologiques s‘ajouteront la réflexion

sociologique de Pierre Bourdieu (1979 et 1998) et de Robert Escarpit (1960) ainsi que la notion « d‘idéologème » de Marc Angenot (1982).

Il convient toutefois de souligner la nouveauté de l‘étude envisagée par rapport à ce qui a été déjà réalisé en traductologie. Notre recherche vise à enrichir l‘étude de la traduction occidentale et ce en portant sur un corpus traduit de l‘arabe par, entre autres agents, des traducteurs occidentaux (nord-américains ou européens) comme Paul Bowles, Denys Johnson-Davies, Yves Gonzalez-Quijano, Jean-Patrick Guillaume et Peter Theroux. L‘objectif est de confirmer ou de

relativiser les évaluations faites de cette traduction (occidentale) surtout par Berman et Venuti. Ces derniers constatent qu‘elle est respectivement

« ethnocentrique », assimilant l‘Autre au Soi, et « domesticating ». Elle est ainsi peu représentative de l‘altérité des autres cultures, en plus d‘être productrice de ce

3 Parmi les écrits qui se sont inspirés de la traductologie, on trouve les articles de Samia Mehrez

(1992), de Mary Layoun (1995), d‘Issa Boulatta (2003) et de Marilyn Booth (2003 et 2008) ainsi que l‘étude de Said Faiq (2007).

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que Venuti appelle « the translator‘s invisibility » (1995). En outre, cette traduction serait « hypertextuelle », plus encline à assimiler les propriétés formelles des textes arabes aux normes de la culture cible et à les réécrire.

Nous nous fixons également l‘objectif d‘approfondir la réflexion sur la représentation culturelle en traduction littéraire, par la discussion de certains idées et concepts clés de ces théoriciens, parmi d‘autres, ainsi que par l‘appréciation de la valeur opérationnelle et axiologique de notions importantes mises de l‘avant par ceux-ci comme la dichotomie entre la « domestication » et la « foreignization » de Venuti, entre « l‘ethnocentrisme » et le « travail sur la lettre » de Berman.

Notre étude part d‘une hypothèse générale pouvant être résumée de la manière suivante : la traduction littéraire ne se fait pas dans un vide idéologique ou une objectivité totale; elle se trouve façonnée par plusieurs facteurs d‘ordre social, culturel (littéraire), politique, économique, historique et personnel. La représentation culturelle peut ainsi être influencée par tous ces éléments. Nous pensons qu‘une étude inclusive, s‘intéressant à l‘analyse (comparative) aussi bien des textes que des contextes des traductions, peut nous montrer les enjeux de chaque projet de traduction. Nous estimons aussi que ces facteurs agissent, de manières différentes, simples ou complexes, sur le résultat de la traduction et sur son usage dans un discours spécifique à propos d‘une culture étrangère. C‘est ce qui fait que chaque cas est relativement unique mais peut aussi ressembler à d‘autres. La variété des combinaisons possibles crée des différences entre les traductions françaises et anglaises mais peut aussi montrer plus de similarités entre deux traductions française et anglaise qu‘entre deux versions (de la même œuvre) en la même langue. Les possibilités innombrables permises par ces

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facteurs rendent la généralisation descriptive possible sur le plan théorique mais impossible au niveau pratique.

Nous pensons que la binarité des termes utilisés pour décrire les diverses opérations permettant de rendre, modifier ou omettre les aspects culturels doit être nuancée de manière à explorer davantage la représentation culturelle et ses

diverses ramifications. Ce qui, à notre avis, donnera un nouvel élan à ce genre d‘étude.

La négociation de la distance culturelle en traduction littéraire arabe comme dans tout cas semblable, se fait à divers niveaux : de la narration, du style, du discours et de la thématique. C‘est ce qui peut compliquer la fonction et la valeur des méthodes assimilatrices et non assimilatrices, puisque l‘usage d‘un procédé à un niveau peut engendrer un effet différent sur un autre. La valeur nominale de ces procédés doit donc être remise en question afin de tenir compte de la multiplicité des cas de figure.

En conséquence, l‘éthique de la traduction ne peut dépendre d‘une valeur unique et sûre associée à l‘un ou à l‘autre de ces procédés. Plutôt, elle n‘est estimée à sa juste valeur que dans sa conjoncture historique et en fonction de l‘apport des choix traductifs assimilateurs ou non assimilateurs à la dialectique représentationnelle entre les cultures source et cible. Elle ne saurait non plus exclure les aspects esthétiques des textes traduits, ni les goûts du lectorat.

De plus, aussi essentiel que paraisse le rôle des traducteurs, il n‘est pas toujours le seul et le plus déterminant. Les éditeurs et les critiques peuvent

également jouer un rôle tout aussi important et décisif. Cette importance peut être appréciée au niveau de la présentation de l‘œuvre et de sa réception. L‘étude des

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traductions choisies aidera à illustrer davantage cette idée en montrant l‘impact de la traduction sur la réception critique du texte ainsi que la différence entre le texte, sa traduction (y compris les paratextes) et l‘étude critique qui en traite.

En outre, la notion du goût, que certains analystes de la littérature arabe traduite évoquent pour expliquer ou justifier des choix ‗suspects‘ de textes arabes à traduire ou certaines tendances traductionnelles, n‘a rien de naturel ou

d‘innocent. Nous pensons qu‘elle est étroitement liée à cette idée de

représentation culturelle en traduction. Une remise en question du goût « naturel » doit être faite pour aboutir à une évaluation adéquate et plus ou moins objective de la traduction de la littérature arabe en langues occidentales ainsi qu‘à un meilleur pronostic de ses problèmes (‗manque d‘intérêt‘, création de stéréotypes, etc.) et à une meilleure réflexion sur les solutions. De plus, une telle étude peut aider à améliorer le dialogue culturel entre le monde arabe et l‘Occident en montrant les points de divergence et de convergence et en suggérant

éventuellement des prémisses nouvelles pour une meilleure communication interculturelle à travers la traduction littéraire.

Enfin, les traductions se font selon des tendances dont les effets diffèrent selon les cas. Ces tendances peuvent être contradictoires, certaines d‘entre elles étant des contre-tendances. Elles représentent des réponses à des facteurs et contraintes différents et peuvent éclairer les choix parfois difficiles des traducteurs ou des traductrices. Nous estimons que le dégagement de ces

tendances nous aide à mieux cerner la perspective traductive et à comprendre des séries de choix apparemment incohérents.

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Méthodologie

Afin d‘atteindre les objectifs fixés pour cette étude, nous avons décidé d‘adopter une méthode d‘analyse comprenant quatre étapes principales. D‘abord, nous faisons une lecture des évaluations qui ont été faites de la traduction de la littérature arabe, de manière à dégager les premiers aspects de cette traduction, à circonscrire certains de ses enjeux et à montrer l‘apport de notre étude à

l‘ensemble de ces textes. Puis, les données recueillies sur la traduction de la littérature arabe en français et en anglais entre 1968 et 2004 sont présentées et examinées, et ce afin de donner une idée plus concrète de son évolution et de vérifier la véracité des idées de certains évaluateurs et analystes. À la deuxième étape, nous explorons deux notions essentielles – la question du goût et celle de la représentation culturelle – de manière à préciser le sens qu‘elles détiennent dans notre étude et l‘originalité qu‘elles peuvent conférer à notre démarche. En guise d‘approfondissement de ces considérations, nous jetons un regard bref et ciblé sur les principales théories ayant abordé la représentation de la culture en traduction. Pour des raisons pratiques relatives à l‘analyse projetée, nous nous concentrons sur les réflexions de Venuti et de Berman. Cette étape aide à mieux situer notre étude traductologique et à éclaircir davantage nos hypothèses et notre

méthodologie.

Quant à la dernière étape, elle consiste en l‘analyse de la représentation culturelle dans les cas choisis. Elle est basée essentiellement sur l‘étude

comparative des originaux et des traductions. Cette analyse est précédée par une présentation relativement détaillée de l‘œuvre en question, des traductions, des traducteurs et, selon le cas, des préfaciers ainsi que des paratextes. Ceci permet de

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replacer les textes et les traductions dans un contexte historique défini et d‘examiner la manière dont le texte est présenté au lectorat et crée des attentes spécifiques. L‘analyse textuelle comparative vise d‘abord à dégager les tendances générales de chaque traduction quant à la reproduction des aspects culturels de l‘original, et à étudier leur nature et leur effet potentiel sur le texte. Ensuite, nous examinons la traduction d‘un thème précis, celui de la situation de la femme, et ce de manière à dévoiler les différentes façons dont les traducteurs et autres acteurs traitent cet aspect spécifique et rendent les voix des textes. Nous estimons que l‘analyse d‘un sujet précis permet de mieux apprécier l‘impact de l‘usage d‘un procédé, que ce soit l‘assimilation ou la non assimilation, « l‘ethnocentrisme » ou « le travail sur la lettre », la « foreignization » ou la « domestication ». C‘est ce qui explique le fait que nous avons donné plus d‘espace aux notions reliées à la femme tout en tenant compte des tendances relevées lors de la comparaison intégrale des textes (œuvres et traductions). L‘analyse d‘un sujet spécifique aide aussi à voir à quel point la traduction reproduit la perspective narrative, reflète des discours majeurs ou mineurs sur ce sujet dans la culture cible et/ou répond aux attentes du lectorat cible. Comme règle générale, nous supposons que ce lectorat est pluriel et que ses attentes sont diverses. Toutefois, la récurrence de certains choix, surtout dans diverses traductions, peut indiquer l‘existence d‘attentes largement partagées voire de goûts populaires.

Sommaire

Notre thèse compte six chapitres. Dans le premier, nous nous posons la question qui s‘est imposée à nous au début, à savoir s‘il y a un intérêt pour la

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littérature arabe (traduite) en Occident. Nous tentons de trouver une réponse d‘abord à travers une lecture des évaluations les plus pertinentes qui existent et la comparaison des idées et des points de vue. Cette lecture portera sur, entre autres choses, les textes de Tomiche, de Johnson-Davies, de Said, de Jacquemond, de Clark et de Salih J. Altoma. Elle est suivie par une exposition de l‘évolution de la traduction de la littérature arabe en anglais et en français, entre 1968 et 2004. Les chiffres et les données fournis servent à revoir certaines suppositions assez répandues à ce sujet – comme l‘effet du Prix Nobel, le rôle de certains éditeurs et l‘importance de l‘initiative arabe ou locale – et à nous aider à mieux entamer notre étude de la traduction de la culture.

Dans le deuxième chapitre, nous essayons de fournir des réponses à des questions comme les suivantes : quel lien peut-on établir entre le goût ou les attentes du lectorat cible et la représentation culturelle? Doit-on remettre en question la notion du « goût naturel »? Qu‘est-ce qu‘une telle problématisation peut nous apporter dans une appréciation de l‘intérêt pour la littérature arabe et de sa traduction? La deuxième partie du chapitre est consacrée à l‘exploration des théories ayant traité de la traduction de la culture, plus précisément la réflexion de Venuti et, à un degré quelque peu moindre, celle de Berman. Nous ouvrons une discussion sur certaines de leurs idées clés qui sont les plus pertinentes à nos yeux, de manière à vérifier leur applicabilité ou non applicabilité aux cas que nous voulons examiner, ainsi que pour nous situer par rapport à ces réflexions.

Les chapitres suivants sont consacrés à chacun des quatre cas étudiés. Le troisième chapitre porte ainsi sur la traduction du roman Awlād hāratinā de Mahfūz. Les différents niveaux auxquels la représentation culturelle s‘effectue

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sont illustrés et les schèmes découverts sont expliqués à travers l‘analyse de passages précis. Les similarités et les différences entre les versions française et anglaises, ainsi qu‘à l‘intérieur de chacune, sont relevées de manière à faire ressortir l‘hétérogénéité des choix. L‘usage des paratextes dans la traduction des traits culturels est examiné comme partie intégrante d‘une approche particulière du traducteur et non à partir des fonctions prédéterminées de ces méthodes. En outre, l‘image donnée de la femme est analysée et l‘effet (positif ou négatif) du discours cible est montré.

Le chapitre suivant porte sur le roman de Sālih traduit par Noun, Meddeb et Johnson-Davies. La lumière est projetée sur le travail de ce dernier qui est considéré comme l‘un des traducteurs pionniers de la littérature arabe contemporaine en anglais. Son approche, en partie littéraliste, permet de

problématiser les concepts clés de Berman et de Venuti à propos de la médiation culturelle en traduction et d‘illustrer la souplesse de l‘usage des procédés

assimilateurs ou non assimilateurs. Les versions françaises des deux autres traducteurs, Noun et Meddeb, sont examinées de manière à dégager leurs

similarités et différences et de mettre au jour le rôle joué par l‘écrivain maghrébin (Meddeb) dans cette opération. Nous comparons aussi leurs choix avec ceux de Johnson-Davies et considérons l‘éthicité de leurs traductions.

Le cinquième chapitre permet de réfléchir davantage sur le travail traductif des auteurs maghrébins d‘expression française, représentés cette fois-ci par Ben Jelloun. Nous plaçons sa traduction du roman de Shukrī dans le cadre des contacts entre ces littérateurs francophones et leurs homologues arabophones, à une

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décolonisation. Un regard est aussi jeté sur les traductions produites par l‘auteur américain Paul Bowles et sur son intérêt pour le texte de Shukrī et les histoires de conteurs marocains illettrés. Son travail est examiné dans le cadre de son grand projet romantique, qui est de découvrir « le mystère » de la culture marocaine. Nous profitons de l‘occasion pour faire une comparaison entre les versions respectivement anglaise et française de Bolwes et de Ben Jelloun. L‘effet du goût des traducteurs sur la traduction est illustré par des exemples soulignant le

contraste de leurs approches. Dans la conclusion, nous faisons une autre

comparaison, cette fois-ci des traductions de Ben Jelloun et de Meddeb en ce qui a trait à la création d‘une image de la femme. Nous tentons d‘esquisser les liens entre l‘individuel et le collectif dans ce genre de traduction interculturelle.

Quant au dernier chapitre, il est consacré à la traduction de Hikāyat Zahra d‘al-Shaykh. Cette dernière est la seule auteure parmi les écrivains choisis dans cette étude. Nous jetons un peu de lumière sur la traduction des œuvres

d‘écrivaines arabes et sur les facteurs qui ont contribué à son évolution, et illustrons les enjeux qu‘elle peut receler. L‘accent est mis sur les divergences d‘attentes entre les lectorats source et cible. Nous comparons les approches des traducteurs, Gonzalez-Quijano et Peter Ford, des différents aspects de l‘œuvre d‘al-Shaykh et examinons les effets potentiels sur le texte et sa réception en français et en anglais. Une attention particulière est donnée aussi à la traduction des aspects formels, surtout par Ford qui effectue une série de changements visant à faciliter la réception du texte. C‘est le cas où « l‘hypertextualité » atteint son plus haut niveau. Nous illustrons également une certaine tendance à transformer le

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roman en « une autobiographie » et à relier « l‘histoire de Zahra » à la situation sociale au Liban.

En guise de conclusion, nous revenons sur les diverses problématisations faites tout au long de notre étude en vue de les approfondir à la lumière des résultats des analyses. Nous discutons des aspects nouveaux de notre réflexion, notamment de l‘existence d‘une dominante traductive, de la dialectique de l‘assimilation et de la non assimilation et de la relativité de l‘éthique de la

traduction littéraire. Nous évoquons aussi les nouveaux genres de « déformation » trouvés et qui pourraient s‘ajouter à ceux dégagés par Berman. Des sujets pour des recherches futures sont également suggérés.

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Chapitre I

Traduction de la littérature arabe :

évaluations et évolution

1- De l’intérêt pour la littérature arabe en Occident

De manière générale, les évaluations qui ont été faites de la traduction de la littérature arabe en anglais et en français sont de deux ordres. D‘un côté, il y a celles qui en donnent une image positive sans nier l‘existence de certains

problèmes, et de l‘autre, il y a celles qui en sont très critiques mais qui n‘excluent pas toutefois les aspects de progrès qu‘elle présente. En outre, ces études révèlent une grande diversité d‘approches, d‘ampleurs et de jugements. Afin d‘en

esquisser les principales idées pertinentes à notre sujet, de les comparer et de relever les aspects du sujet qui restent à explorer ou à approfondir, une discussion de leur contenu s‘impose.

Nada Tomiche, traductrice et critique arabe à qui l‘on doit la première étude sérieuse du sujet intitulée la Littérature arabe traduite. Mythes et réalités (1978) commanditée par l‘UNESCO, essaie, dans ce même livre, d‘analyser l‘image de la culture arabe créée par les traductions faites dans diverses langues occidentales. En fait, elle a abordé, de manière indirecte, le sujet de l‘intérêt de l‘Occident pour la littérature arabe entre 1948 et 1968. Son étude, comme il le sera expliqué par la suite, demeure très optimiste. En aucun cas remet-elle en

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question l‘existence de cet intérêt pendant cette période. Pour elle, la question qui se pose est quel genre de texte a intéressé ou intéresserait le public occidental et non pas si l‘Occident s‘est (vraiment) intéressé à la littérature arabe.

Sur analyse des données relevées par le dépouillement de l‘Index

Translationum publié annuellement par l‘UNESCO, Tomiche conclut pourtant

que ces traductions donnent une représentation peu réjouissante de la culture arabe. Elle voit que « [l]‘image du monde arabe que révèlent les traductions est […] marquée par l‘exotisme somptueux, sensuel et naïf des Mille et une nuits » (p. 2). Sur un total de 401 traductions faites d‘œuvres littéraires arabes en six langues occidentales (l‘allemand, l‘anglais, l‘espagnol, le français, l‘italien et le portugais), 275 portent sur les contes et les Milles et une nuits alors que seulement 74 traductions d‘œuvres modernes et 52 d‘autres textes classiques sont produites. Pourtant, cet « exotisme », cette « sensualité » et cette « naïveté », selon elle toujours, risquent de s‘éroder sous l‘effet de traductions d‘œuvres modernes :

Après 1965, en effet, les œuvres des grands prédécesseurs, Mahmûd Teymûr, Taha Hussein et Tawfîq al-Hakîm, ont eu, progressivement et par accumulation, un effet décapant et ont dépouillé la vision occidentale du monde arabe d‘une partie de son côté spiritualiste et folklorique. L‘Orient arabe commence à présenter une image plus complexe, une identité qui intrigue l‘Occident et en particulier les pays de langues française et anglaise.(p. 29)4

4 En ce qui concerne les différences entre les langues traduisantes qui nous concernent ici – le

français et l‘anglais –, il importe de retenir une distinction pouvant être utile dans la suite de cette étude. Selon Tomiche, l‘anglais constitue la première langue de traduction des œuvres arabes modernes : « C‘est que la France a une tradition de la traduction des Mille et une nuits, depuis celle de Galland au XVIIIe siècle […]. Les Anglophones, par contre, ont le privilège d‘avoir un

auteur arabe qui s‘est exprimé d‘abord dans leur langue, Jubrân Khalîl Jubrân [qui a] connu une certaine notoriété aux Etats-Unis, au début du XXe siècle avec son livre The Prophet, écrit en

anglais, et des poèmes variés » (p. 4). De 1948 à 1968, plus de deux tiers des œuvres arabes traduites en anglais sont de Jubrān (ibid.). Pourtant, cette analyse ne reflète pas la vraie histoire de cette traduction, puisque plusieurs textes arabes modernes ont aussi été traduits en français ou en une autre langue européenne (comme l‘espagnol) avant d‘être rendus disponibles en anglais. C‘est le cas, par exemple, de la Trilogie de Mahfūz, dont deux romans ont été rendus disponibles

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Sans doute, l‘étude de Nada Tomiche constitue une initiative très louable visant à défricher le terrain de la traduction de la littérature arabe et à montrer l‘effet de cette traduction sur l‘image de la culture arabe en Occident. Pourtant, elle présente certaines lacunes non négligeables. D‘abord, Tomiche n‘y donne pas beaucoup d‘importance à l‘étude textuelle comparative des traductions. Ce

manque crée une tendance à spéculer sur leur nature, leur valeur et leur réception. Ensuite, elle semble minimiser le rôle des traducteurs et des traductrices.

L‘évaluation de leurs travaux (choix, stratégies traductives, etc.) est d‘une importance secondaire. Enfin, elle ne tient pas non plus compte de l‘évolution quantitative générale de cette traduction, soit du petit nombre produit. Farouk Mardam-Bey, directeur des Éditions Sinbad, par exemple, parle d‘une

« pauvreté » de traductions d‘écrits littéraires arabes modernes en français entre 1945 et 1960 :

En 1960, il y avait à peine quatre ou cinq auteurs arabes contemporains traduits en français: on pouvait trouver en librairie Le Livre des jours de Taha Hussein, le Journal d’un substitut de campagne de Tawfiq al-Hakim, quelques pièces de théâtre de Tawfiq al-Hakim, deux ou trois recueils de Mahmoud Teymour, et cela dans une maison d‘édition peu connue, Les Nouvelles Editions Latines, et puis c‘est tout. (Mardam-Bey, 2000, p. 81)5

d‘abord en français avant 1988 puis traduits en anglais après la reconnaissance au niveau international de son œuvre.

5 Les deux autres auteurs sont Jubrān Khalīl Jubrān et Gunaym M. Zakariyā. Selon Mardam-Bey

toujours, les raisons sont de deux ordres. Le premier est « politique » : « C‘est le contentieux très sérieux qui opposait la France au monde arabe dans les années quarante, et, surtout, dans les années cinquante. Après Suez, la plupart des pays arabes, sauf le Liban, ont rompu avec la France. Mais déjà la querelle autour des indépendances de la Syrie et du Liban, le soutien français au sionisme conquérant, la lutte en Tunisie et au Maroc, le début de la guerre d‘Algérie, avaient sérieusement affecté les rapports franco-arabes (2000, p. 81). Quant au deuxième, il est technique, « c‘est que l‘orientalisme français lui-même ne s‘intéressait pas – ou très peu – à la littérature arabe contemporaine » (p. 82).

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Contrairement à ce que peut laisser entendre l‘appréciation de Tomiche, trois autres évaluations révèlent le manque d‘attention portée en Occident à la littérature arabe moderne. Denys Johnson-Davies, le traducteur « par excellence » de cette littérature en anglais (Said, 1994, p. 377)6, estime que le nombre de traducteurs anglophones intéressés par ces œuvres littéraires est très limité : « […] I am one of a very small group of people interested in translating modern Arabic literature » (Ghazoul et al., 1983, p. 86). Roger Allen semble être du même avis du moins pour ce qui est de la période d‘avant 1968. D‘après lui, seulement quelques traducteurs comme Aubrey Eban, Johnson-Davies et Trevor Le Gassick se sont tournés vers cette littérature (Allen, 2003, p. 2). Les difficultés relatives à la publication que Johnson-Davies a dû surmonter montrent que les éditeurs eux aussi s‘intéressaient peu à cette production littéraire. D‘ailleurs, après la

publication de sa première traduction intitulée Tales from Egyptian Life (des contes de Mahmūd Taymūr) chez la maison égyptienne Dār al-Ma‗ārif en 1946(7), ce traducteur dut attendre une vingtaine d‘années avant de voir sa deuxième traduction, Modern Arabic Short Stories, sortir chez Oxford University Press en 19677. Ce constat concernant les difficultés de publication d‘œuvres arabes traduites entre 1947 et 1967 est en partie partagé par Salih L. Altoma. Ce dernier, dont les idées seront exposées plus bas, voit en outre que l‘autre raison, selon lui la « plus importante », est « the marginal status assigned to modern

6 Johnson-Davies a traduit une trentaine d‘œuvres arabes. Son expérience de traducteur, comme

en témoigne son autobiographie Memories in Translation (2006), s‘étend sur quelque soixante ans. C‘est à ce titre de traducteur très expérimenté, surnommé parfois le « doyen » des traducteurs de cette littérature en anglais, qu‘il est cité et que ses idées sont discutées dans notre thèse.

7 Clark écrit à propos de Johnson-Davies : « [...] his promotion of Arabic literature in English has

always been an uphill struggle. After years of negotiation, Oxford University Press published a volume of his translations of contemporary Arabic stories in 1967 » (2000, p. 11).

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Arabic literature in general in Oriental or Middle Eastern studies », ce qui n‘aurait pas encouragé la publication d‘autres traductions (2005, p. 55)8. Avant la

deuxième traduction, Johnson-Davies tenta de traduire le roman Zuqāq al-Midaqq de Najīb Mahfūz, mais il se désista. Il en explique ainsi le motif : « I remember I started translating Zuqaq Al Midaq, about a third of it, and then I stopped and had to tell him [Mahfūz] that there was no way that I could get this

published […]. And the fact of the matter is that nobody would have touched it in those days [en 1947] » (Woffenden, 2000, p. 3)9. Cette déclaration révèle le manque d‘intérêt des éditeurs et, par déduction, de leurs lecteurs, puisque les deux catégories sont très interdépendantes. Johnson-Davies a failli même faire des reproches aux éditeurs : « It says a lot about American and British publishers that it took a Nobel Prize for them to take him [Mahfūz] seriously as a writer » (ibid.)10. Les accuse-t-il d‘opportunisme et de manque d‘intérêt réel pour les œuvres arabes? Si Johnson-Davies fait preuve de tact envers les éditeurs, Edward Said n‘y va pas par quatre chemins.

En fait, Said constate lui aussi le manque d‘importance donnée à la littérature arabe traduite en anglais en Occident. Pourtant, son évaluation est beaucoup plus critique. Dans son article « Embargoed Literature » publié dans

The Nation le 17 septembre 1990 et repris dans son livre The Politics of

8 Pierre Cachia lui aussi parle de manque de grand intérêt pour la littérature arabe : « Except for a

spate of publications on Jibrān Khalīl Jibrān, who had acquired a following through his writing in English, my Taha Husayn, which appeared in 1956, was the first book-length study in English on any aspect of the field, and there was not to be another for seven years. And publishers to whom I offered translations answered in unison : There is no market for that » (p. vii).

9 Le traducteur canadien Trevor Le Gassick produisit une version anglaise de ce roman en 1966,

sous le titre Midaq Alley.

10 Johnson-Davies lui même fut le directeur de la collection « Arab Authors » créée chez

Heinemann dans les années 1970. D‘ailleurs, c‘est son travail qui nourrissait souvent la collection avant sa vente dans les années1980.

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Dispossession (1994), il défend une hypothèse qui peut paraître provocatrice : la

littérature arabe fait l‘objet d‘un « embargo » en Occident, surtout en Angleterre et aux États-Unis. Non seulement le manque d‘intérêt à son égard est pris pour acquis, mais il est aussi vu comme délibéré et prémédité : « […] of all major world literatures, Arabic remains relatively unknown and unread in the West, for reasons that are quite unique and, I think, remarkable at a time when tastes here for the non-Western are more developed than before and, even more compelling, contemporary Arabic literature is at a particularly interesting juncture » (Said, 1994, p. 372). D‘un côté, Said semble prouver le manque d‘intérêt chez les éditeurs anglophones, ici américains, pour cette littérature. Paradoxalement, des efforts considérables sont déployés afin de rendre disponibles et intelligibles d‘autres productions littéraires étrangères comme les œuvres tchèques et

argentines (p. 374). De l‘autre, il confirme ce que Johnson-Davies disait au sujet de la traduction de Mahfūz (et de la littérature arabe) avant 1988, puisque la demande de Said à un éditeur new yorkais de publier des livres de Mahfūz parmi une liste d‘auteurs du Tiers-Monde avait été refusée. La conclusion de Said découle en effet de l‘explication du refus donnée par cet éditeur : « The problem is that Arabic is a controversial language » (Said, 1994, p. 372). Même après l‘obtention du Prix Nobel par Mahfūz, estime Said, cet « embargo » est toujours maintenu. La publication des traductions d‘œuvres mahfouziennes, selon lui, n‘était motivée que par les gains commerciaux escomptés (p. 373).

Qui plus est, Said semble établir un lien entre l‘intérêt pour cette littérature en Occident et l‘image que l‘on a ou que l‘on se fait de la culture arabe. Il met l‘accent sur le fait que la réception de cette production dépend de certaines

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représentations stéréotypées du monde arabe (et islamique). Pour lui, c‘est comme si « an iron curtain of indifference and prejudice ruled out any attention to texts that did not reiterate the usual clichés about ‗Islam,‘ violence, sensuality, and so forth. A seemingly deliberate policy maintains a kind of monolithic reductionism where the Arabs and Islam are concerned » (p. 374). Il reproche aux « experts on Islam and the Arabs » (comme Bernard Lewis) d‘avoir créé et maintenu des images négatives du monde arabo-islamique : « the Orientalism that distances and dehumanizes another culture is upheld, elevating and strengthening at the same time the xenophobic fantasy of a pure ‗Western‘ identity » (ibid.). Said replace ainsi la traduction de la littérature arabe moderne en langues occidentales dans son contexte interculturel (surtout le rôle de l‘orientalisme dans la perception du monde arabe) et géopolitique (les rapports de force entre l‘Orient arabe et l‘Occident). Pourtant, il n‘est pas le seul à le faire.

Un autre critique qui ne s‘accorde pas avec Tomiche sur l‘évolution de l‘image du monde arabe véhiculée par la traduction est Richard Jacquemond. L‘analyse faite de la traduction de la littérature arabe en français par ce traducteur et critique français, directeur du programme de traduction à l‘Ambassade de France au Caire, complète à plusieurs égards les idées de Said. Dans un article intitulé « Translation and Cultural Hegemony : The Case of French-Arabic Translation », il considère la traduction de la littérature française en Égypte et celle de la littérature égyptienne en France depuis le XIXe siècle. Il met ces activités dans le cadre général des échanges culturels entre ces deux pays et des rapports de force inégaux qui existent entre eux. Même si son évaluation ne

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couvre pas toute la littérature arabe, elle constitue une bonne illustration de certains aspects et enjeux généraux de sa traduction en langues occidentales.

L‘une des dimensions que Jacquemond évoque et qui permet d‘établir une comparaison entre les tendances et les enjeux des traditions de traduction de la littérature arabe en français et en anglais est ce qu‘il appelle le « paradigme orientaliste ». Il semble confirmer ce que Said pensait du rôle de l‘orientalisme dans la représentation de l‘Orient en langues occidentales. Sa critique des

méthodes utilisées par ces spécialistes vient compléter ce que Said n‘a abordé que de manière très sommaire. D‘après Jacquemond, l‘orientalisme a eu un grand impact sur la conception de la traduction des écrits littéraires arabes. Il

explique : « […] since Orientalism is first and foremost an area of scholarship, it is no wonder that the criterion of good translation in the Orientalist paradigm is one of ‗scientific accuracy‘. The translation is not meant to be read by a

nonprofessional reader. It addresses only the very small and closed milieu of the discipline, using its explicit and implicit codes, jargons, etc. » (1992, p. 149). Les règles et les techniques de cette traduction sont enseignées aux jeunes orientalistes qui les utilisent dans leurs travaux de recherche universitaires : « In France, a remarkably high number of pre-doctoral and doctoral theses consist in the translation of an Arabic text (whether classical or modern) accompanied by footnotes, a glossary, and a commentary » (ibid.). Celui qui utilise cette méthode présume l‘ignorance totale du lecteur général de la culture cible et fait de son expérience de lecture une activité pénible, puisque ce dernier est confronté à une littéralité exagérée, à des notes de bas de page et à des explications qui

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image négative du monde arabe et consolide le rôle de l‘orientalisme comme le médiateur incontournable entre ce monde et l‘Occident :

Not surprisingly, such a conception of translation reinforces the same representations Orientalism has created: it inscribes in the structure of language itself the image of a ‗complicated Orient,‘ as de Gaulle said, irremediably strange and different. At the same time, it allows Orientalism to reassert its status as the indispensable and authorized mediator between Arabo-Islamic and Western cultures (ibid.).

Tout comme Said, il reconnaît toutefois la nécessité de faire une distinction entre les traductions orientalistes11. Elles ne sont pas toutes mal faites ou illisibles; leur qualité diffère selon le « talent littéraire » de chaque orientaliste (ibid.). En outre, il admet que le paradigme orientaliste n‘est pas le seul qui existe; à côté de cette traduction savante destinée aux spécialistes, il y a une production « populaire » qui s‘adresse aux lecteurs non spécialisés (ibid.)12.

À son tour, Jacquemond ne partage pas toutes les idées de Tomiche sur l‘évolution de la traduction d‘œuvres arabes. Cette dernière, comme on l‘a déjà vu, prédit qu‘avec la croissance des traductions faites après 1965, le lecteur occidental commencera à se rendre compte que l‘Orient arabe a une identité « intrigante » et présente une image « complexe ». Jacquemond, par contre, demeure très sceptique quant à la vraie nature de ce changement (p. 151). Pour lui, cette évolution peut être trompeuse, et ce pour deux raisons : d‘abord, ces traductions sont l‘œuvre presque exclusive d‘une nouvelle maison d‘édition en

11 Farouk Mardam-Bey (2000) fait la distinction entre les nouveaux et les anciens arabisants et

loue le travail des derniers.

12 Johnson-Davies (1967) a évoqué lui aussi les techniques de la traduction orientaliste

anglophone. Sa critique n‘est pas aussi détaillée et explicite que celles de Said et de Jacquemond. Elle montre toutefois son désaccord avec certaines méthodes orientalistes utilisées (comme des règles fixes) pour combler le vide culturel entre l‘arabe et l‘anglais (voir aussi Ghazoul et al. [1982]). Nous y reviendrons dans le troisième chapitre où nous examinerons l‘usage de notes explicatives dans la traduction.

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France, à savoir Sinbad13. Les produits de cette maison seraient destinés au marché maghrébin et non pas à celui de la France : « The very limited sales of these translations in the French market shows that they rarely found their way to the ordinary reader, with the notable exception of the work of Naguib Mahfouz, especially after he received the Nobel Prize for Literature in 1988 » (p. 152). Cette confirmation paraît d‘autant plus plausible que Jacquemond évoque les traductions publiées chez Heinemann. D‘après lui, les produits de cette maison d‘édition n‘étaient pas non plus destinés au lectorat anglais, mais plutôt aux marchés d‘Afrique et du Moyen-Orient (p. 158)14. Ainsi, il diminue davantage le peu d‘importance que semble revêtir la littérature arabe traduite dans les

évaluations d‘autres critiques. Pour lui, il n‘y avait pas de vrai intérêt au début du mouvement de traduction de cette littérature : « Translation of Arabic literature into Western languages actually began as a South-South exchange (with the mediation of English and French working as linguae francae in a European publishing structure), rather than as a real North-South exchange » (ibid.). Les rapports inégaux de force, dus essentiellement à l‘hégémonie culturelle et économique, seraient à l‘origine de cette situation générale.

13 C‘est une hypothèse que Mardam-Bey semble confirmer, surtout en ce qui a trait à la période la

plus récente : « Actes Sud [qui a racheté Sinbad en 1995] est l‘éditeur quasi exclusif de la littérature arabe contemporaine » (Mardam-Bey, 2000, p. 86). Nous verrons dans la section suivante que cette idée est très discutable si l‘on prend en considération des données concrètes sur les publications faites par les diverses maisons d‘édition.

14 Cette idée est partagée par Clark qui écrit à propos de cette collection : « Denys Johnson-Davies

was the General Editor and Indeed [sic], produced most of the translations. But the series did not match the commercial success of the African series. Many African authors write in English, so the problems and costs of translation were minimal. And the African Authors series had huge English-reading markets in West and East Africa. Who by contrast was going to read Arabic literature? Arabs read their own literature in the original Arabic » (Clark, 2000, p. 11).

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La deuxième raison donnée par Jacquemond est le manque de réception de cette littérature traduite en France. À la différence de la littérature arabe

d‘expression française, elle est négligée aussi bien par les critiques académiques et journalistiques15 que par le public en général. Jacquemond semble ici donner raison à Said et confirmer l‘existence d‘un « embargo », cette fois-ci en France :

Conversely, modern Arabic literature remains neglected by academia (only

one active university professor in France, Nada Tomiche, is a specialist in

modern Arabic literature). Newspapers and magazines whose literary critics review diverse Latin American, English, or Japanese authors still prefer to turn to the ‗expert‘ on Arab or Oriental affairs when asked to review a novel translated from Arabic. (p. 152)16

Pour lui, la littérature arabe traduite est toujours prisonnière du paradigme orientaliste. Elle doit être émancipée : « […] modern Arabic literature has yet to free itself from the Orientalist ghetto, even if the latter is a little more roomy than it used to be » (1998, p. 152). Sa réception serait toujours influencée par l‘héritage orientaliste et les habitudes de lecture (« scientifique ») qu‘il a entérinées au fil des siècles17.

15 Farouk Mardam-Bey est du même avis : « C‘est la croix et la bannière pour obtenir une note de

lecture d‘un critique littéraire français, qui accepte de lire le livre comme un roman, comme une œuvre littéraire, et non pas comme un témoignage, un document ethnologique ou sociologique » (2000, p. 12).

16Jacquemond reprend la même idée d‘embargo dans son livre Entre scribes et écrivains (2003) où

il écrit de manière plus explicite à propos de la traduction : « Après plusieurs décennies d‘embargo quasi complet, la littérature arabe contemporaine a donc enfin [après 1988] trouvé le chemin de la traduction, dans des proportions très faibles encore (dix à vingt titres par an traduits en anglais, autant ou presque en français, moins dans les autres langues européennes) » (Jacquemond, 2003, p. 156, c‘est nous qui soulignons). Dans un article publié dans le Middle East Report en 2001, Hosam Aboul-Ela, professeur à l‘Université de Houston et traducteur du roman Voices de Sulaymān Fayyād, défend lui aussi l‘idée de l‘embargo, estimant qu‘après 11 ans, « Said‘s words remain depressingly relevant today » (Hosam Aboul-Ela, 2001, p. 42). Qui plus est, il donne une image beaucoup moins prometteuse de la traduction de la littérature arabe en anglais surtout aux État-Unis : « Where Said‘s article saw signs of promise in the efforts of several translators and the small publishers who worked with them, the achievements since that time have been incremental at best » (ibid.). Nous verrons, dans la section suivante, si cette assertion est juste.

17 Une autre évaluation qu‘on aurait pu inclure est celle de Said Faiq (2007). Il partage plusieurs

idées de Jacquemond, concernant, par exemple, « l‘embargo » qui serait imposé à la littérature arabe et l‘existence d‘une approche « exotiste » dans la traduction de textes arabes. Son idée

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Parmi les critiques qui semblent, bien au contraire, mettre en valeur l‘évolution de la traduction de la littérature arabe en anglais et partager l‘optimisme relatif de Tomiche, on trouve Peter Clark et Salih Altoma. Le

premier, historien et membre du Advisory Board of the British Centre for Literary Translation, réfute catégoriquement, dans son livre intitulé Arabic Literature

Unveiled : Challenges of Translation (2000), l‘hypothèse de l‘embargo et

confirme la relance de la traduction et de la réception de la littérature arabe après l‘obtention par Mahfūz du Prix Nobel. Contrairement à ce que pense Said, Clark croit que ce Prix a beaucoup encouragé la traduction de cette littérature et a créé plus d‘intérêt chez les éditeurs pour cette production : « The award of the Nobel Prize for Literature to Naguib Mahfouz, in 1988, gave a great boost to Arab literature. Mahfouz, it was realised, was not the only Arab who could write. Most of his fiction is now available in English » (p. 12). Toutefois, il reconnaît, et ce dès l‘entame de son étude, le peu d‘intérêt montré à l‘égard de cette littérature en général : « Why then has a vast contemporary Arabic literature had such a small impact on the Anglophone reading public? » même si « les liens personnels » entre le monde arabe et l‘Occident sont multiples aujourd‘hui (pp. 1-2). Pour expliquer les problèmes de traduction et de réception de cette littérature, il évoque, entre autres facteurs, les goûts du lecteur anglophone : « Available

excellence in contemporary Arabic literature is of lesser significance than the taste of the Anglophone reading public as perceived by the publisher » (Clark, 2000, p. 4). Même s‘il remet en question cette assertion, il confirme par la suite

générale est que la traduction de l‘arabe se fait selon un « discours majeur » (master discourse) qui influe sur la manière dont on voit l‘Autre et traduit ses textes, ce qui les empêche d‘être connus de manière convenable. Il voit aussi que peu de traductions sont faites de l‘arabe.

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l‘importance de cet enjeu et l‘incapacité des traducteurs de demander aux éditeurs d‘adopter une autre politique. La raison en est que l‘éditeur est celui qui assume les frais de l‘édition18. Il confirme ainsi l‘idée que la traduction et la réception de la littérature arabe sont tributaires des attentes des lecteurs et lectrices cible et de la « perception » qu‘ont les éditeurs du marché. Il partage l‘avis de Johnson-Davies (et d‘autres critiques comme Said qui évoque lui aussi la question du goût), même si ce dernier critique les pratiques des éditeurs occidentaux (britanniques et américains) et insiste sur la qualité19. Clark, au contraire, les défend et prend en considération les enjeux économiques de cette opération traduisante. Selon lui, la traduction et la réception de cette littérature peuvent être promues par un engagement financier des pays arabes, sous forme de subventions destinées aux éditeurs, ainsi que par un rôle très actif des traducteurs arabes (p. 24).

Paradoxalement, par ces mêmes suggestions, il semble confirmer le manque d‘un intérêt soutenu pour cette littérature parmi les éditeurs20. D‘autant plus que des initiatives arabes ont déjà essayé de promouvoir sa traduction et sa publication. Parmi ces projets, on trouve le groupe PROTA (The Projet for the

18 Il écrit ainsi que : « [m]arket perception is a more serious difficulty. Perception becomes

self-perpetuating; and perception is real. As a translator I have no right to complain. It is the publishers and editors who are taking the risk. The translator has to fit into the world as he or she finds it. He or she is providing a means of communication from one part of the world to another » (2000, p. 5). On voit bien qu‘il conçoit le rôle du traducteur comme étant limité au seul aspect technique de l‘opération, celui de la « communication », alors que les enjeux culturels de la traduction sont tout aussi importants.

19 À ce sujet, Johnson-Davies déclare : « […] in making one‘s choice it should be borne in mind

that no one in the West is interested in modern Arabic literature per se but only in writing of genuine talent » (Ghazoul et al., 1983, p. 87).

20 Jenine Abboushi Dallal (1998) confirme le manque d‘intérêt en Grande-Bretagne pour la

littérature arabe. Évaluant la traduction de cette littérature, elle voit que « Arabic literature as a whole is not really in demand in Britain, even when adorned with a Nobel Prize. Novels are chosen least often for their innovative techniques; when this is of interest, it must take forms recognizable in the West » (p. 8).

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Translation of Arabic), mis sur pied par Salma Khadra Jayyusi depuis les années 80 avec l‘aide financière du ministère de l‘Information irakien (Allen) et auquel des linguistes du monde arabe ont pris part comme premiers traducteurs, qui a permis jusqu‘à présent de rendre disponible au public occidental anglophone un nombre important d‘œuvres traduites publiées sous forme d‘anthologies ou de textes séparés. On y trouve des œuvres traduites, par exemple, d‘Abū Qāsim al-Shābbī, d‘Imīl Habībī, de Ghassān Kanafānī, de Sahar Khalīfa, d‘Ibrahīm

Nasrallāh, de Zayd Dammāj et de Liāna Badr ainsi que des anthologies comme

Modern Arabic Poetry : An Anthology (1987), The Literature of Modern Arabia : An Anthology (1990), Modern Arabic Drama : An Anthology (1995), Short Arabic Plays : An Anthology (2003) et Modern Arabic Fiction : An Anthology (2005).

Un autre grand projet de traduction de cette littérature est « Mémoires de la Méditerranée ». Il fut mis sur pied en 1994 et commandité par La Fondation culturelle européenne à Amsterdam. Cette dernière comptait sur l‘Union européenne comme principale source de financement. Ce projet a permis de traduire quelque 50 œuvres arabes en certaines langues européennes, à savoir l‘allemand, l‘anglais, le catalan, l‘espagnol, le français, l‘hollandais, l‘italien, le polonais et le suédois (Starkey, 2001, p. 54). Malheureusement, il prit fin en 2001. Selon Starkey, « [t]he general aim was to increase awareness in Europe both of modern Arabic literature itself and, more generally, of modern Arab society and culture » (ibid.). Il y a aussi le catalogue d‘œuvres représentatives (The UNESCO Catalogue of Representative Works), un programme de subvention directe lancé par l‘UNESCO en 1948 qui a contribué à la publication, entre autres livres, de

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plusieurs traductions d‘œuvres arabes en diverses langues européennes dont le français et l‘anglais.

L‘autre étude qui donne une idée positive de la traduction de la littérature arabe est celle de Salih Altoma. En fait, l‘évaluation de ce chercheur et professeur à l‘Université d‘Indiana est plus nuancée et concrète puisque, à l‘appui de ses arguments, il fournit des données sur le nombre des traductions anglaises

d‘œuvres arabes (460 environ) depuis 1947 jusqu'à 2003. Même s‘il concède que « there are still problems that impede the promotion of Arabic literature » (2005, p. 12), il voit que les critiques défavorables à cette traduction « are largely based on personal or partial familiarity with the field » (pp. 12-3) et ne prennent pas en considération des progrès évidents enregistrés. Il estime que :

Those who voice such views do not seem to take into account the vast body of literature that has been translated since the 1950s or the positive progress that Arabic literature has made in reaching a relatively wider audience in recent decades – not only readers or reviewers of printed Arabic books, but also unconventional readers who access the Internet to pursue their interest in Arabic literature or other fields. (Altoma, 2005, p. 13)

Il est difficile de ne pas être d‘accord avec Altoma sur le progrès de la traduction de la littérature arabe surtout après 1950, d‘autant plus que les chiffres qui seront fournis dans la section suivante sont, en général, éloquents. Ce constat est plus évident dans le cas de la traduction en français. Quant au deuxième point, il reste à voir la nature de la réception qui est du lot de cette littérature. On aimerait savoir le nombre de critiques et de comptes rendus faits au sujet de cette littérature traduite, leur nature et leur impact sur l‘image donnée de la culture arabe en général. Altoma ne parle que de la critique des œuvres de Mahfūz qui, vu sa

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consécration internationale, ne peut être représentative de la réception de toute la littérature arabe traduite.

L‘Internet a certes rendu possible la recherche électronique d‘œuvres littéraires traduites ou autres, mais l‘auteur ne prouve d‘aucune manière comment ce développement technologique aurait eu un impact quelconque sur la réception de la littérature arabe, sans parler de la proportion de cet effet par rapport aux bénéfices qu‘auraient pu tirer les autres littératures du monde du même changement. Apparemment, une réponse à cette question n‘est pas facile à donner. Cela n‘empêche pas qu‘elle s‘impose dans le cas d‘Altoma, puisqu‘il en fait un argument. Des chiffres sur les transactions (ventes, reventes, prêts, etc.) faites sur Internet et qui ont eu comme objet ces traductions auraient pu rendre son propos plus convaincant.

Il est vrai que le progrès technologique rend les œuvres arabes plus accessibles à toute personne curieuse et désireuse de les lire; mais il faut aussi voir les méthodes utilisées pour leur commercialisation. Le phénomène de la mondialisation et les contraintes de la compétitivité peuvent forcer les éditeurs et les distributeurs à avoir recours à des pratiques particulières pour promouvoir les ventes. Ainsi, les clichés et les stéréotypes peuvent facilement être reconduits afin d‘attirer l‘attention des lecteurs potentiels et d‘arriver à des fins matérielles. Les nouvelles méthodes technologiques de promotion et de commercialisation dans le monde actuel peuvent ainsi devenir une arme à double tranchant.

Ce bref survol des plus importants textes et études qui ont abordé le sujet de la traduction de la littérature arabe en langues française et/ou anglaise montre la diversité des facteurs qui peuvent conditionner la traduction et la réception de

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