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La situation carcérale au Liban

S ITUATION FAMILIALE DES HOMMES

23. La situation carcérale au Liban

La situation du système carcéral au Liban est un sujet largement traité par diverses ONG et par des chercheurs. Elle a été également abordée par des journalistes. Notre enquête ne fera qu’appuyer leurs propos en mettant cependant en exergue la problématique particulière des

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migrants dans ces prisons. Un survol des problèmes récurrents dans les prisons libanaises pourra permettre de spécifier les problèmes auxquels les migrants doivent faire face, problèmes qui sont en partie partagés par l'ensemble des détenus et prisonniers incarcérés, quelles que soient leurs origines.

Sur le plan relationnel, l’absence d’exercices physiques, de loisirs, de parloirs, de visites et de contacts réels avec le monde extérieur entrainent des troubles psychologiques souvent graves chez les prisonniers et les détenus, troubles qui sont rarement sinon jamais pris en compte et traités. Nombre d’entre eux font état d’insomnies, d’idées suicidaires, d’anxiété et d’angoisse, de manque d’appétit, de pertes de mémoire et d’états dépressifs. Les symptômes de plus en plus fréquents de ces troubles s'observent sous la forme d'actes d'automutilations et de tentatives de suicides.

Par ailleurs, alors que les normes nationales et internationales de séparation des personnes privées de liberté entre hommes et femmes, adultes et mineurs, sont respectées dans les prisons libanaises, à l'exception du centre de rétention de la Sûreté Générale, la séparation entre prévenus et condamnés n’est en général pas la règle dans le système pénitentiaire libanais. «°Ceci constitue un problème majeur pour les personnes détenues ou emprisonnées pour un délit mineur, parfois pour leur entrée illégale dans le pays, qui se trouvent détenus avec des criminels arrêtés pour meurtres, crimes de drogue, etc. Cette situation place les personnes dans un environnement très violent et dommageable qui compromet leur avenir.°», note à ce propos le rapport de la CLDH [2008°:39].

L’ensemble de ces facteurs, ajoutés aux conditions de vie dans des prisons le plus souvent surpeuplées, a entraîné des révoltes en leur sein. C'est le cas notamment de la prison de Roumieh, devenue une véritable poudrière où soulèvements et grèves de la faim se succèdent depuis plusieurs années. Les dernières émeutes qui ont lieu en avril 2011 ont même occasionné des prises d’otages et des actes de violence …

231. Etat des lieux des prisons

Il existe au Liban 22 prisons et centres de détentions. 17 prisons disséminées sur l’ensemble du territoire libanais sont réservées aux hommes (prisons d'Aley, Amioun, Baalbeck,

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Batroun, Halba, Jbeil, Jeb Jennine, Jezzine, Nabatieh, Rachaya, Ras Baalbeck, Roumieh, Tebnine, Tripoli, Tyr, Zgharta) et 4 aux femmes (prisons de Baabda, Beyrouth, Tripoli et Zahlé). A ces prisons, il faut ajouter les centres de rééducation pour mineurs de Fanar et Baassir, un centre de détention du Ministère de la Défense Nationale et le centre de rétention où sont incarcérés les migrants pour une durée allant de 24 heures à plusieurs mois dans l’attente d’une éventuelle libération, et plus généralement d’une expulsion vers le pays d’origine.

Avant de présenter les résultats obtenus par notre enquête, nous résumons dans un premier temps les grandes lignes de l’état des prisons libanaises généralement décrites comme vétustes et délabrées et où les conditions d'emprisonnement sont très difficiles.

2311. Situation des bâtiments

Une grande partie des prisons libanaises n’a pas été prévue à l’origine pour recevoir des prisonniers59. Ce sont souvent des ailes de bâtiments publics qui ont été transformées en prisons par les autorités concernées pour répondre aux besoins pressants et à une situation d’urgence en matière de locaux. Ainsi les prisons de Jbeil et de Zahlé se trouvent dans les bâtiments du Sérail de la ville et la prison pour femmes de Barbar al Khazen dans la caserne du même nom. Quelques pièces de ces bâtiments publics ont été sommairement aménagées en cellules et même si certaines de ces prisons ont subi des modifications et des améliorations, elles ne sont ni conçues ni véritablement adaptées pour recevoir les personnes incarcérées. Quant aux autres prisons, construites dès le départ comme telles, du fait de l’absence d’amélioration au cours de la guerre civile et depuis, elles s'avèrent également obsolètes et mal adaptées pour recevoir des prisonniers dont le nombre est en augmentation continue. Dans un pays soumis à de constantes crises politiques et militaires, le problème des prisons n’est pas prioritaire et la situation des détenus et des prisonniers est souvent négligée.

L’étude de la situation des migrants dans les prisons libanaises ne peut se faire sans un focus particulier sur le centre de rétention réservé aux étrangers. Alors que les autres prisons sont placées sous l'autorité des Forces de Sécurité Intérieure (FSI) relevant du Ministère de l'Intérieur,

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ce «°Centre de rétention de la Sûreté Générale°» est quant à lui placé, comme son nom l'indique, sous le contrôle de la Sûreté Générale et il est exclusivement géré par cet organisme d’Etat chargé de l'immigration. Il se trouve sous le pont d’une autoroute qui relie le quartier d’Achrafieh, à l'est de la ville, à la route de Damas. Ce pont est nommé pont Elias Hraoui60 et/ou pont d'Adlieh puisqu’il surplombe le rond point d'Adlieh dont le nom fait référence au palais de justice contigu.

Il s'agit à l’origine d'un parking souterrain dont le deuxième sous-sol a été aménagé et sert de centre de rétention depuis le 14 décembre 2000. Cet espace est divisé en une section administrative et une section réservée à la détention. Il comporte 14 cellules : 4 d'entre elles sont réservées aux femmes, 7 aux hommes, une cellule aux mineurs et une cellule aux détenus de nationalité libanaise qui viennent d’être arrêtés et attendent leur transfert vers d’autres prisons. Ces derniers ne restent dans ce centre qu’un laps de temps assez court, en général 24 heures.

Les cellules sont privées de lumière naturelle et de toute aération. Il n’existe pas de cour, donc pas d’espace de promenade à l’air libre. L’éclairage y est artificiel 24 heures sur 24. Les cellules de 40 m² abritent chacune de 40 à 50 détenus et les matelas sont en nombre insuffisant en raison d’un déficit d’espace, ce qui oblige les prisonniers à dormir serrés les uns contre les autres61.

Ce centre accueille donc des étrangers placés en détention « provisoire ». En général, les personnes y restent enfermées pour une durée allant de deux semaines à six mois jusqu’à leur expulsion du pays. Dans des cas exceptionnels, certains détenus dépassent ce délai. La majorité des migrants qui y sont incarcérés sont passés dans un premier temps par une ou plusieurs des autres prisons du pays. L’ONG libanaise Caritas-Migrants a obtenu le droit de travailler dans ce centre sous condition de confidentialité et y mène un programme de soutien médico-social de qualité. Le CICR et l’UNHCR viennent également y rencontrer les personnes placée en rétention.

60 Président du Liban du 24 novembre 1989 au24 novembre 1993.

61 «°un espace moyen d’environ 1m² est donc alloué à chaque personne. Deux ou trois personnes doivent parfois se

partager un même matelas. Il n’y a aucune cour de promenade extérieure et les personnes incarcérées sortent des cellules menottées.°» [CLDH, 2008°:46].

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2312. Nombre de personnes par cellule

Au Liban, la population carcérale semble en constante augmentation, excédant pour de nombreux établissements pénitentiaires leur capacité d’accueil : en 2000, à titre d’exemple, la prison pour hommes de Roumieh détenait 4500 personnes, bien que sa capacité théorique d’absorption fût seulement de 2840 personnes, soit un taux de surpopulation de 60%62. Quant à la prison pour femmes de Tripoli63, elle affichait la même année un taux de surpopulation de 145% (capacité théorique, 20 femmes, nombre de détenues/prisonnières : 49) et celles de Zahleh de 80% (capacité théorique, 20 femmes, nombre de détenues/prisonnières :37). Il en va de même pour un des centres de détention et de rééducation pour mineurs64, celui de Roumieh, qui affiche un taux de surpopulation de 85% (capacité théorique, 150 mineurs, nombre de détenus/prisonniers : 281). En 2006, 64 % des mineurs incarcérés étaient des Libanais, suivis par les Syriens, les Palestiniens, les Egyptiens, les Irakiens et les Soudanais. La plupart des étrangers y sont arrivés du fait de leur statut illégal au Liban [Riachy et Schmid, 2010].

En 2009, la capacité d’accueil globale des prisons était estimée à 4940 places et le taux d’occupation de 120 à 200% , avec une augmentation plus ou moins constante sur plusieurs années et une légère décroissance actuelle – en 1993, 2515 personnes, en 1996 : 4414, en 1999 : 4352, en 2002 : 6405, en 2005 : 6921 et en 2009 :5122 -. 62,5% sont des prévenus. Cette augmentation croissante est favorisée par le retard des tribunaux à rendre un verdict, la loi libanaise n’ayant pas de délai limite pour l’arrestation des inculpés durant l’instruction du dossier [Riachy et Schmid, 2008]. En dépit de cette augmentation, faute d'un véritable remaniement des infrastructures existantes, les capacités d’accueil ont de leur côté stagné. Le corollaire de la surpopulation est évidemment la détérioration des conditions de vie, situation que l’on observe dans toutes les prisons du monde qui connaissent des problèmes similaires.

62 Cf. Prisoner’s Rights Monitor, Sources du Ministère de l'Intérieur Libanais - Statistiques des Forces de Sécurité

Intérieure (FSI) au 25 juillet 2000, http://www.lnf.org.lb.

63 3,8% de la population carcérale est féminine en 2006. Cf. http://prisonstudies.org. 64

Ces centres ne sont destinés qu’aux garçons, les filles mineures, du moins en 2000, étaient accueillies au centre du

Bon Pasteur de Shailé ou passaient leur détention préventive et purgeaient leur peine dans les prisons de femmes.

Certains mineurs étaient aussi incarcérés dans des prisons pour adultes, notamment à Tripoli, à la date de publication de l’étude mise en ligne sur le site Prisoner’s Rights Monitor. http://www.lnf.org.lb.

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Selon les chiffres relevés lors de l’enquête menée dans les prisons libanaises, sur le total des étrangers interviewés, 44,55% sont incarcérés à Roumieh, 17,76% à Zahlé et 14,96% à Tripoli (hommes et femmes). A elles seules, ces trois prisons reçoivent donc plus le 66% des migrants. Le pourcentage élevé de la prison de Roumieh est d'abord justifié par sa capacité à recevoir un plus grand nombre de détenus et de prisonniers que les prisons régionales et par sa proximité avec la capitale. Les taux importants de Zahlé et de Tripoli peuvent être imputés pour partie seulement aux arrestations de clandestins qui se font aux frontières nord et est avec la Syrie. Quant au nombre de prisonniers et de détenus par cellule chez les hommes, environ la moitié se répartissent dans des cellules de moins 10 individus (24,45%) et de 10 à 20 individus (24,23%). Près d'un tiers se retrouvent dans des cellules pouvant contenir de 20 à 30 et de 30 à 40 personnes (32,3%). Dans les prisons pour femmes, près de la moitié des migrantes incarcérées partagent des cellules pour 10 à 20 personnes, les deux autres quart se répartissent dans des cellules de moins de 10 personnes et des cellules de plus de 20 personnes.

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