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1.2 Géométrie granulaire et cristaux intermédiaires

1.2.3 Simplification du système

Puisque le mélange vitrifiable est le siège de réactions d’autant plus variées que les espèces en présences sont disparates, et que celles-ci sont la conséquence directe de la granularité du système où le transport est lent, il apparaît nécessaire de simplifier le mélange considéré. Le plus simple des mélanges considérés est généralement le mélange binaire SiO2-Na2CO3. Le diagramme de phase à l’équilibre correspondant (Figure 1.8) est donc celui du système d’oxydes SiO2-Na2O, puisque la silice et le carbonate de sodium réagissent avec émission de CO2 pour former des silicates de sodium. Le formation de composés définis cristallins comme Na4SiO4, Na2SiO3 et Na2Si2O5 permet l’existence d’eutectiques, dont le plus fusible met en jeu Na2Si2O5 et la silice. Plus la température est élevée, plus la gamme de teneur possible en silice du liquide est étendue.

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Figure 1.8 – Diagramme de phase binaire SiO2-Na2O d’après [Kracek, 1929].

Les réactions entre le carbonate de sodium et la silice ont fait l’objet d’une précédente thèse au laboratoire Surface du Verre et Interfaces [Grynberg, 2012], dont on se borne ici à rappeler les grandes lignes. En phase solide, lorsque la composition du mélange vitrifiable ne s’éloigne pas trop des compositions verrières classiques, le premier composé formé au contact entre les grains de sable et de carbonate de sodium n’est pas le plus riche en sodium mais Na2SiO3 [Hrma, 1985,Jones et al., 2005a,Jones et al., 2005b]. La formation de l’orthosilicate de sodium peut cependant être observée lorsqu’un large excès de carbonate de sodium est introduit, ce qui permet la réaction entre Na2CO3 et Na2SiO3 [Kröger et Fingas, 1933]. Les cinétiques de décomposition sont étudiées en fonction de la température par [Howarth et al., 1933] et [Wilburn et Thomasson, 1958] : pour le mélange 3SiO2-Na2CO3 par exemple, la décomposition complète du carbonate de sodium est atteinte après 35 heures à 650°C, 15 heures à 700°C et un peu plus de 6 heures à 750°C. Les travaux de [Oldfield, 1958] montrent que selon la granulométrie de Na2CO3, et surtout de SiO2, certaines de ces réactions sont privilégiées. Dans le cas d’un mélange avec 15 wt% de Na2O, pour des grains de Na2CO3 dont le diamètre est inférieur à 50 µm et pour des grains de quartz dont le diamètre est également inférieur à 50 µm, Na2CO3 réagit totalement sous sa forme solide pour former les deux liquides eutectiques à 780°C et 830°C. Dès que les grains sont plus grossiers, une partie du carbonate de sodium réagit sous sa forme liquide à 860°C. On observe là aussi que certaines réactions sont privilégiées selon la composition du mélange. Pour des grains de taille comprise entre 80 µm et 100 µm, quand la teneur en Na2O n’excède pas 10 wt%,

on observe la formation des deux liquides eutectiques. Dès lors qu’elle est supérieure, les résultats d’analyse thermique différentielle sont moins clairs. La gamme de températures resserrée dans laquelle se passe la plupart des réactions fait qu’il est difficile d’attribuer la contribution de chacune. Certaines études [Niggli, 1913b] élargissent le champ de l’étude aux autres carbonates alcalins. L’analyse thermogravimétrique met en lumière deux aspects cruciaux pour l’étude des réactions SiO2-Na2CO3 :

— la perte de masse provenant de l’émission de CO2 est suffisante pour traduire l’avan-cement de la réaction, puisque la seule possibilité de consommation de Na2CO3 est la formation de silicates de sodium ;

— le taux de perte de masse en fonction du temps est variable selon le gaz de balayage utilisé, ce qui signe une sensibilité de la réaction à l’atmosphère.

J. Grynberg en a dérivé un modèle qui permet de quantifier la cinétique de consommation du carbonate de sodium à une température fixe T , en prenant en compte d’une part les réactions en phase solide aux contacts avec les grains de silice, et d’autre part la réactivité non-locale grâce au transport en phase gazeuse :

v(T, pCO 2, s, t) = A(pCO 2)(1 + ϵ(s)) eEART +C(s) t e −EC RT, (1.1)

où s est la granulométrie, pCO

2 la pression partielle de CO2, t le temps, R la constante des gaz parfaits. Le facteur préexponentiel A(pCO

2) diminue avec une pression de CO2 croissante, tandis que ϵ(s) et C(s) croissent avec une diminution de la granulométrie. La valeur de l’énergie d’activation EA = 489± 30 kJ.mol−1 est en accord avec la littérature [Nandi et Mukerji, 1977, Dolan et Misture, 2007], il en va de même pour l’énergie d’activation de la réaction non-locale pour laquelle on trouve EC = 162 kJ.mol−1.

Un autre résultat majeur de ces travaux mérite mention : l’hétérogénéité des silicates de sodium solides formés se répercute sur le verre en devenir. LaFigure 1.9illustre des résultats sur trois granulométries, mettant en contact du sable de silice tamisé 200–250 µm avec des grains de carbonate de sodium fins (100–160 µm, à gauche), moyens (200-250 µm, au centre) et grossiers (400–500 µm, à droite). Les mélanges sont enfournés à 900°C, où ils séjournent pendant 30 min à 2 h. Une coupe polie de l’échantillon est analysée par spectroscopie Raman : des pointés aléatoires permettent d’identifier la proportion surfacique des espèces cristallines et de la phase amorphe. Cette dernière est ensuite analysée par déconvolution Gaussienne des spectres. On observe que l’hétérogénéité plus prononcée d’un mélange aux grains grossiers conduit à la formation de davantage de métasilicate de sodium, solide. Ceci a pour conséquence une fusion eutectique NS-NS2, qui produit des liquides dont la composition est éloignée de la composition d’ensemble, 75 wt% SiO2-25 wt% Na2CO3.

Dans le cadre de cette thèse, afin de faire un compromis entre représentativité d’un mé-lange vitrifiable silico-sodocalcique réel et facilité de compréhension, c’est un mémé-lange

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Figure 1.9 – Évolution isotherme des proportions des phases cristallines et des différentes populations de liquide pour des mélanges 66 wt% SiO2-34 wt% Na2CO3 placés directement à 900°C, pour différentes tailles de grains, dans une atmosphère non contrôlée. Les graphiques du haut montrent une évaluation par identification de spectres Raman et déconvolution gaussienne des spectres vitreux, les graphiques du bas représentent une quantification par affinement Rietveld de diffractogrammes avec un étalon externe.

naire SiO2-CaCO3-Na2CO3 qui est étudié. LaFigure 1.10montre un diagramme de phase du système d’oxydes correspondant. La part des autres alcalins, comme le lithium et le potas-sium, est en effet réduite dans les verres industriels : moins courants que le sodium, ils ne sont apportés que lorsqu’une propriété spécifique est recherchée, comme un abaissement de la mobilité atomique par effet d’alcalins mixtes dans les verres pour tubes cathodiques [Hwang

et al., 2002], ou encore un plus fort indice de réfraction pour le cristal au plomb [Zarzycki, 1982]. Les verres à vitrage ressemblent beaucoup aux verres de conditionnement, mais sub-stituent à une partie du calcaire de la dolomie. Ces substitutions, potassium et lithium contre sodium, magnésium contre calcium, sont négligées ici, vu les analogies fortes entre les réac-tivités des carbonates d’une même série d’éléments. L’alumine et les oxydes mineurs comme TiO2, ZrO2, etc. jouent un rôle dans les propriétés de résistance à la corrosion du verre, mais leur teneur est mineure dans les verres de vitrage et de conditionnement (≤ 1 wt%) qui représentent près de 90 % de la production mondiale de verres [Barton et Guillemet, 2005]. De plus, la résistance mécanique et hydrolytique d’un verre ternaire SiO2-CaO-Na2O est assez proche de celle d’un verre industriel pour constituer un objet d’étude pratique.

En résumé, le choix du système simplifié SiO2-CaCO3-Na2CO3 pour approcher un verre industriel conserve la complexité provenant de la nature granulaire, tout en la limitant. Cette composition ternaire représente tous les alcalins par du sodium, et tous les alcalino-terreux

Figure 1.10 – Diagramme de phase ternaire du système SiO2-CaO-Na2O, restreint à la zone SiO2-CaSiO3-Na2SiO3, établi par [Morey et Bowen, 1925]. Les compositions sont exprimées en wt%. Les verres communs sont situés à proximité des vallées eutectiques, visualisables grâce aux lignes isothermes.

par du calcium. Les principaux constituants sont préservés, ce qui permet de se focaliser sur les interactions majoritaires. Réduire le nombre le constituants offre l’avantage de pouvoir les tamiser pour contrôler les fréquences de contact en jouant sur la granulométrie.

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