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Le sexe féminin au cœur des traités

3.1 Promouvoir pour mieux contrôler

3.1.1 Le sexe féminin au cœur des traités

La campagne de promotion de la femme s’effectue entre autre grâce à divers écrits de penseurs et humanistes, tant laïcs et qu’ecclésiastiques. Ces écrits s’avèrent finalement de véritables guide de comportement social destinés à inculquer une certaine conduite à la gent féminine.

Parmi les plus célèbres écrits, le Livre du Courtisan de Baldassare Castiglione, publié en 1528 à Venise, connut un succès retentissant dans toute l’Italie et l’Europe. Composé de quatre livres, il s’agit d’un manuel de bonne conduite sous forme de dialogues, destiné à éduquer en tant que parfait courtisan. De manière secondaire, Castiglione discute des femmes et de la féminité dans le troisième livre afin de décrire la parfaite dame de cour, pendant féminin du courtisan. Elles font en effet l’objet d’une discussion - d’un débat même - autour de la question d’une égalité des sexes, opposant la défense des femmes à un camp misogyne

d’hommes pour lesquels la femme est un animal imparfait et de dignité faible voire nulle (Castiglione 1822 : 261). Un idéal féminin est élaboré à travers la joute verbale, et de ses qualités à son caractère en passant par sa tenue vestimentaire, les hommes dressent leur propre portrait de la femme parfaite. Parmi eux, Julien le Magnifique, parle en tant que défenseur de la cause féminine. Il renforce cependant par ses propos l’assujettissement de la femme puisqu’il définit lui aussi, comment la parfaite dame de cour se devait d’être selon lui :

Seguitò il Magnifico : Io adunque, Signora, acciocché si vegga che i comandamenti vostri possono indurmi a provar di far quello ancora ch'io non so fare, dirò di questa Donala eccellente come io la vorrei, e formata ch' io l’averò a modo mio, non potendo poi averne altra, terrolla come mia a guisa di Pigmalione27 (Castiglione 1822 : 278)

Usant d’impératif, « deve » et « non deve »28 (Castiglione 1822 : 281), Julien le Magnifique use ensuite du verbe vouloir, ne laissant plus aucun doute sur le fait qu’il décrit là une femme telle qu’elle devrait être selon lui : « […]non voglio ch'ella usi questi esercizi virili, così robusti ed asperi, ma voglio che quegli ancora che son convenienti a donna, faccia con riguardo, e con quella molle delicatura che avemo detto convenirsele29 […] » (Castiglione 1822 : 285). Il se retrouve ainsi dans une position ambigüe, puisqu’il renforce malgré lui le discours misogyne de ses compagnons en décrivant un idéal féminin édifié en fonction du masculin.

27 « Donc, Madame, afin que l’on voie que vos commandements peuvent m’amener à essayer de faire même ce que je ne sais pas faire, je dirais comment je voudrais que cette excellente dame soit, et quand je l’aurai formée à ma manière, ne pouvant ensuite en avoir une autre, je la prendrai comme mienne, à la façon de Pygmalion » (Castiglione 1987 : 234).

28 « Elle doit », « elle ne doit pas » (Castiglione 1987 : 236).

29 « […] je ne veux pas qu’elle pratique ces exercices virils si vigoureux et rudes, mais je veux aussi que ceux qui conviennent à une femme, elle les fasse avec précaution, et avec cette douce délicatesse que nous avons dit lui convenir […] » (Castiglione 1987 : 239).

Castiglione est un homme qui, dans son ouvrage, met en scène des personnages principaux essentiellement masculins pour discuter de la femme. Ainsi que le relève ironiquement Valeria Finucci, « the examples of female virtues are better known by men than by women » (Finucci 1992 : 66). Le Livre du Courtisan n’est qu’un exemple parmi tant d’autres, les ouvrages et les traités l’art de paraître et de se comporter étant florissants dans l’Europe du 16e siècle. Dans le même ordre d’idée, le théologien et pédagogue espagnol Jean Louis Vivès traitera lui aussi de la question de la femme, dans un ouvrage publié en 1523 et intitulé L’éducation de la femme chrétienne. Il structure en trois parties la vie de la femme, afin de leur indiquer comment mener une vie conforme à l’idéal chrétien. Vivès se positionne en faveur de l’éducation - sous réserve toutefois30 - de la gente féminine, car comment une femme sotte peut-elle remplir ses devoirs d’épouse, de mère et de maîtresse de famille ? (Vivès 2010 : 18). Les trois étapes essentielles de la vie féminine sont la vie de jeune fille jusqu’au mariage, la vie d’épouse et de mère, puis celle de veuve. Il explique les qualités nécessaires, le comportement à adopter, les responsabilités envers son époux jusqu’à la fréquentation des lieux publics que la femme mariée se doit d’éviter. Il est essentiel pour lui de former dès le plus jeune âge les jeunes filles pour le bien-être de la société qui passe avant tout par le bien-être du couple conjugal.

La volonté de promouvoir l’image de la femme se révèle plutôt une entreprise de contrôle de la femme de la part des hommes. Le comportement féminin est régulé par ces livres de conduite qui proposent l’image d’une femme désirable acceptable (Finucci 1992 :

30 Il ne ‘agit pas de les éduquer de la même manière que les hommes, mais de leur fournir suffisamment d’éducation afin qu’elles participent à renforcer les liens familiaux en étant assez éduquées pour partager les difficultés. Vivès préconise l’enseignement de l’entretien domestique et alimentaire, ainsi que quelques notions plus générales de latin, grammaire, histoire de l’Antiquité et de philosophie morale (Vivès 2010 : 19).

49). Ils font certes la promotion de la femme, une promotion qui s’incarne essentiellement dans les sphères familiale et domestique, et qui est orientée vers une personnalité féminine spécifique. À travers l’idée de promouvoir pour mieux contrôler, le 16e siècle est également celui du triomphe de la vie patriarcale (Grieco 1991 : 15).

Du comportement à la conversation, du caractère approprié à la tenue vestimentaire, rien ne semble laissé au hasard en ce qui concerne les manières d’être et de se comporter. L’apparence de la femme est un point qui sera particulièrement discuté dans les traités, et si Castiglione l’aborde dans son livre, d’autres auteurs en feront le sujet principal de leurs ouvrages : la question de la beauté idéale est primordiale à la Renaissance.