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Non seulement les formes d'emploi et les systèmes d 'horaires sont extrêmement variés au sein des entreprises et d'une entreprise à l'autre, mais l'évolution des activités économiques et

du travail en conséquence aboutit à rendre de plus en plus ardu le repérage des limites mêmes

de ce qu'est l'activité professionnelle. La définition du temps de travail est particulièrement

délicate dans les activités commerciales ou les activités de surveillance qui se sont

développées. Le développement de l'autonomie pour de nombreux salariés qualifiés rend

difficile la définition rigoureuse de leur temps de travail qui n'est plus directement

représentatif de leur engagement professionnel. De plus, la diffusion à grande échelle des

technologies de l'information et de la communication a fait tomber les frontières de temps et

de lieux de travail.

La pluralité du temps de travail réside non seulement dans la variété de ses formes mais aussi dans sa nature. Le repérage de ses frontières et l'analyse de sa réalité nous amènent à réinterroger la notion même de travail.

2.2.1. Cet obscur objet du débat: le temps de travail

Le temps de travail apparaît comme un univers de règles juridiques et de pratiques qui ne se superposent pas toujours (Thoemmes, 2000). De plus derrière la variabilité des pratiques se cachent des modes de comptage fort différents: durée effective, durée effectivement travaillée, durée affichée, durée hebdomadaire offerte (horaire collectif affiché) sont autant de mesures du temps passé par l'individu dans l'entreprise (Thoemmes, 2000; CSERC, 1998, Ministère de l'emploi et de la Solidarité, 2000).

Si la loi définit le temps de travail comme

«le temps pendant lequel le salarié est

à

la

disposition permanente de l'employeur et doit se conformer

à

ses directives sans pouvoir

vaquer librement

à

des occupations personnelles

», la notion de temps de travail est à la fois floue dans sa définition opératoire et extraordinairement variée dans ses applications concrètes (Ballot et alii, 1999).

Le temps de travail est un cadre défini comme une durée légale de travail. C'est une référence pour le décompte des heures supplémentaires, le chômage partiel, la rémunération, les modulations du temps de travail.. .. Depuis la loi du 21 juin 1936, le temps de travail est défini par rapport à un horaire collectif de travail. Ces deux notions «collectif» et «obligatoire » sont importantes :

• L'aspect collectif signifie que le temps de travail est uniforme pour tout le personnel d'un établissement ou d'une unité de production

• L'horaire implique une définition ex-ante de ce qu'est le temps de travail du collectif concerné. C'est un temps prescrit défini à priori comme temps de travail sans s'occuper des temps de travail réellement constatés. C'est l'horaire collectif affiché.

Que recouvre cet horaire collectif affiché. ? Pour les cadres, on sait qu'il existe souvent un continuum entre le temps hors travail et le temps au travail. Dans le cas du travail ouvrier,

pour lesquels le travail parait a priori clairement défini, le problème n'est guère plus simple. En fait, c'est la définition elle-même du travail qui pose problème.

Ballot et alii (1999) définissent pour leur part deux catégories d'activités exercées pendant la présence au travail :

• Des activités liées directement au travail productif ou cœur du temps de travail ; • Des activités périphériques aux activités purement productives ou frange du temps de travail (pauses, douche, habillage, passage de consignes, nettoyage du poste de travail, temps de formation).

L'horaire collectif affiché ou plus simplement l'horaire de travail correspond donc à la somme des deux temps relatifs à ces deux types d'activités.

Par la définition intrinsèque du temps de travail que donne la loi, les marges de manœuvre restent grandes. La définition de lafrange du temps de travail est dépendante de l'entreprise considérée. La diversité des modes de calcul est grande. Par exemple, dans certaines entreprises, l'horaire de travail comprendra une durée allouée

à

la douche des ouvriers, alors qu'il n'en sera pas de même ailleurs. La distinction entre durée offerte et durée effective s'impose d'autant plus que la référence hebdomadaire perd son sens et que la durée demeure une variable construite. On peut alors comprendre les enjeux que représentent ces choix, pour les syndicats, les responsables de l'entreprise et les salariés.

Malgré la précision des outils de contrôle, la durée de travail effectivement productive reste une dimension évanescente. Des décalages entre travail prescrit et travail réel, entre temps de présence et temps productif sont nombreux. La durée du travail reste avant tout un objet de négociation et de transaction entre les partenaires sociaux.

2.2.2. Le temps d'un travail qui oscille entre prescription et coopération

Les nouveaux modes d'organisation dei a production 0nt changé 1e t ravai!. Les évolutions

post-tayloriennes se caractérisent en particulier par l'émergence de nouveaux modes de communication et de développement de l'autonomie dans le travail même si des facteurs tels que la taille de l'entreprise, l'âge et le sexe des salariés, ou encore le degré de technicité des

tâches expliquent le fait que ces tendances multiples émergentes n'aient pas encore trouvé de cohérence (De Coninck, 1991).

Les systèmes de production deviennent plus vulnérables aux aléas locaux, leur efficacité technique dépend de plus en plus de la qualité des interfaces et de moins en moins directement de la productivité des opérations élémentaires. Aux modes de compétition par les coûts ont succédé les modes de compétition par différenciation. Les changements qui remettent en cause le modèle taylorien se structurent essentiellement autour du concept «d'événement», de la coopération et de l'innovation. Les opérations de travail ayant été absorbées par l'automatisation des systèmes industriels, l'activité humaine se repositionne sur «l'affrontement des événements», c'est-à-dire

«tout

ce qui survient de manière

partiellement imprévue, non programmée mais important pour le succès de l'activité

productive»

(Zarifian, 1999). Ainsi, on constate une tendance de plus en plus répandue à

substituer une définition par les objectifs à atteindre ou par les fonctions à remplir à la définition classique des tâches, ce qui revient à introduire une marge d'autonomie intrinsèque dans l'activité.

Tout opérateur devient détenteur de données. La mobilisation du savoir humain détermine la productivité globale. La compétence d'ensemble ne réside plus dans les savoirs et les savoir- faire individuels mais dans une qualification collective induite par l'organisation productive. Le

«sur-travail»

cède la place au

«sur-savoir ».

Le traitement des situations événementielles est rarement le fait d'une seule personne. C'est le plus souvent un collectif, constitué de salariés ayant d es compétences complémentaires et des statuts différents qui intervient. Le temps de travail est aussi celui de l'analyse, de la communication, du débat de coopération pour résoudre le problème posé. Les entreprises sont donc confrontées à une nécessaire implication individuelle du nombre optimal d'acteurs qui passe par leur intercompréhension (interface, expression, discussion, confrontation), à une nécessaire coopération acceptée qui renvoie à ce que Laville (1993) définit comme une nouvelle

appartenance productive,

un lien social créé autour de la technique et du produit. Ce nouveau modèle professionnel se structurerait autour du collectif qualifié (plutôt que de la culture de métier), de la mobilisation mentale des connaissances (plutôt que des savoir-faire acquis par la formation), de la compétence collective et contextuelle (plutôt que ,de la compétence individuelle et généralisée). C'est l'implication directe intellectuelle et psychologique du salarié qui est sollicitée.

La notion de qualification présente dans l'ancien modèle taylorien évolue vers la notion de compétence. Cette dernière suppose toujours l'existence de savoirs mais elle met l'accent sur deux autres dimensions: la capacité à faire face à des situations industrielles prévisibles et le fait d'être reconnu expert par le jugement des autres. Ce n'est pas le bagage de connaissances qui importe mais l'autonomie manifestée dans la maîtrise de situations et la reconnaissance dont cette autonomie peut jouir. L'organisation qualifiante est une organisation où l'activité industrielle concerne la conduite et la provocation d'événements dans un espace économique marqué par l'incertitude. Cette organisation suppose un niveau solide de connaissances professionnelles et d'expérience mais elle appelle aussi le développement de connaissances nouvelles associée à la réalité, à la complexité et à la nouveauté des situations événementielles. L'organisation qualifiante doit permettre à ses membres de ré élaborer les objectifs qui doivent rester évolutifs (Zarifian, 1999).

Le principe de communication est au cœur de cette logique : les personnes dont l'activité et le point de vue sont relativement différents se mettent d'accord à la fois sur les objectifs communs et sur les interactions entre les activités.

« Communiquer revient alors

à

comprendre les problèmes et les contraintes des autres,

à

se comprendre soi-même, à se