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1. PLACE ET MODALITÉS DE RECONNAISSANCE DU DIPLOME DANS LES

1.4. Les seuils d'accueil et les garanties de classement : une autre modalité de reconnaissance

Processus complexe de transfert des valeurs du système de formation au système des emplois, la négociation collective en matière de classification construit des passerelles qui visent à réduire l'imperméabilité souvent dénoncée, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, entre les sphères éducatives et productives. La définition par les partenaires sociaux de seuils d'accueil pour les diplômés reste la modalité de reconnaissance du diplôme la plus puissante, dans la mesure où elle établit un lien fort entre le diplôme et la classification.

Les seuils d'accueil sont apparus au cours des années 1975, dans des branches telles que le bâtiment, les Travaux Publics, les carrières et métaux, les ciments, la métallurgie, le commerce et la réparation automobile, la chimie et les matières plastiques (anciennement la plasturgie).

Ils ont été négociés au cours des années 90 par de nouvelles branches industrielles telles que l'installation, l'entretien et la réparation de matériel aéraulique, thermique frigorifique et connexes, la fabrication du verre, le travail mécanique et le négoce de bois, le négoce et la distribution de combustibles pétroliers, la location de tracteurs, les équipements thermiques.

Dès la création des premiers CQP, en lien avec le développement des contrats de qualification, la question de leur reconnaissance dans les grilles s’est trouvée posée. (cf. partie I, chapitre 1.3.2.). Mais bien que leur positionnement au sein des grilles de classification soit fortement recommandé par l’Etat, aucune obligation en ce sens n’a pesé sur les partenaires sociaux après l’ordonnance de juillet 86. Cependant dès la fin des années 90, la création de CQP s’est souvent accompagnée de garanties de classement au profit de ses titulaires, de même nature que celles accordées aux titulaires de diplômes de l'Éducation nationale. Ces garanties sont apparues notamment dans quelques branches "phares" qui ont par ailleurs instauré des seuils d'accueil pour ces diplômes.

Seuil d’accueil et garantie de classement

Les classifications des conventions collectives recourent tantôt au terme de « seuil d’accueil », tantôt à celui de « garantie de classements », voire mélangent l’usage des deux. Pour preuve l’article 6 de l’accord de classification de la Métallurgie de 1975 :

« Seuils d'accueil des titulaires de diplômes professionnels. Le titulaire d'un des diplômes professionnels visés par l'annexe I doit accéder aux fonctions disponibles auxquelles les connaissances sanctionnées par ce diplôme le destinent à la condition qu'à l'issue d'une période d'adaptation il ait fait preuve de ses capacités à cet effet. C'est dans cette perspective qu'a été aménagée par l'annexe I une garantie de classement minimal, ou classement d'accueil, pour chacun des diplômes professionnels visés par cette annexe. Cette garantie de classement s'applique au titulaire de l'un de ces diplômes obtenu soit dans le cadre de la première formation professionnelle, soit dans le cadre de la formation professionnelle continue. Le diplôme professionnel doit avoir été obtenu par l'intéressé avant son affectation dans l'entreprise à une fonction ».

Il n’existe aucune définition légale ou conventionnelle de ces concepts.

Toutefois, il nous semble qu’une garantie de classement peut concerner la reconnaissance salariale d’un diplôme ou d’un CQP à tout moment, à l’embauche comme en cours de contrat de travail, comme c’est le cas pour la Convention collective nationale des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966137.

Comme son nom l’indique, un seuil d’accueil est donc une garantie de classement ayant vocation à ne s’appliquer que pour un diplôme acquis avant l’entrée du salarié dans l’entreprise, comme le spécifient les dispositions de la métallurgie.

Au fil du temps, les partenaires sociaux vont définir des règles collectives de délivrance de ces certifications paritaires, fondées sur l'évaluation du niveau de compétence attesté par les différents CQP. Ces dispositions conventionnelles, de portée générale, permettent à terme de situer ces certifications professionnelles sur l'échelle hiérarchique des niveaux de classification et de conférer une garantie minimale de classement aux titulaires de CQP.

La reconnaissance de la valeur de la qualification acquise du fait d'actions de formation initiale ou continue reste cependant, dans le Code du Travail, de la "responsabilité exclusive de l'employeur".

Dans cette mesure, la formation professionnelle suivie par un salarié a souvent peu ou pas d'incidences automatiques sur l'évolution de ses conditions d'emploi et de rémunération, sauf cas de dispositions conventionnelles précise à ce sujet, comme celles relatives aux garanties de classement. Mais dans les grilles à critères classants des années 70 et 90 les seuils d’accueils qui garantissent un coefficient d'embauche minimum ainsi qu'un aménagement du début de carrière ne s’appliquent qu'aux diplômes acquis avant l'entrée dans la fonction ou dans l'entreprise, de sorte que les diplômes obtenus dans le cadre de la formation continue qualifiante étaient rarement reconnus par les entreprises en termes de classification. Les choses sont en train de changer depuis les accords interprofessionnels de 2003 et 2009 (voir chapitre suivant).

Au sein de notre échantillon global, seules 55 branches (34 % du total) définissent des seuils d'accueil ou des garanties de classement pour les diplômes et/ou les CQP et parmi elles presque la moitié (24 branches soit 15 % du total) définissent des seuils d'accueil pour les diplômés (Tableau 7). Si un gros tiers de grilles ont institué des garanties de classement pour certaines certifications, ce résultat masque une assez grande hétérogénéité selon les types de dispositions.

Les seuils d'accueil pour diplômés restent plutôt diffusés dans les grandes branches industrielles couvrant plus de 50 000 salariés comme la métallurgie, les carrières et matériaux, la chimie, le pétrole,

137 Cour de Cassation, Chambre sociale, du 16 janvier 2002, 00-44.788, Cf. Partie I.

le bâtiment, les travaux publics, la plasturgie ainsi que dans les grandes branches tertiaires comme le commerce de gros, les banques, les services de l'automobile. Ces grilles, construites à la fin du XXème siècle, n'ont pas connu de modification de leur système de classification depuis 2005, à quelques exceptions près, comme la branche des carrières et matériaux qui a renégocié son système de classification en 2008 sans remise en cause des seuils d'accueil des diplômés et garanties de classement pour les CQP.

Au cours de l'année 2009, deux nouvelles branches, qui disposaient auparavant d'une grille Parodi, ont mis en place une grille à critères classants, en introduisant des seuils d'accueils pour diplômés et des garanties de classement pour les titulaires de CQP. Il s'agit de l'industrie de la récupération et du recyclage qui fait l'objet d'une monographie dans le cadre de cette étude et de la branche des fleuristes et de la vente des animaux familiers.

Les diplômes qui offrent cette garantie de classement sont principalement le CAP, cité dans 23 grilles, le BEP (19 grilles), et le BTS (17 grilles), puis 5 autres diplômes (BT, BP, bac techno, bac pro, DUT) que retiennent 9 à 13 grilles.

La grille, récente, de l'industrie de la récupération, prévoit des seuils d'accueil pour 5 diplômes génériques, (CAP, BEP, BAC, BTS, DUT), qui sont référés à des niveaux de l'Éducation nationale, ainsi que pour les titulaires de CQP créés par la branche, comme le montre le contenu de son article 5 :

« Seuils d'accueil des titulaires de diplômes, titres ou certifications professionnels ».

« Le titulaire d'un des diplômes, titres ou certificats de Qualification professionnelle (CQP) visés par l'annexe I doit accéder aux fonctions disponibles auxquelles les connaissances sanctionnées par ce diplôme, titre ou certificat de Qualification professionnelle le destinent à la condition qu'à issue d'une période d'adaptation il ait fait preuve de ses capacités à cet effet.

C'est dans cette perspective qu'a été aménagée par l'annexe I une garantie de classement minimal, ou classement d'accueil, pour chacun des diplômes, titres ou certificat de Qualification professionnelle visés par cette annexe.

Cette garantie de classement s'applique donc à tout salarié titulaire de l'un des diplômes, titres ou certificat de Qualification professionnelle visés dans l'annexe I (avenant du 17 sept 2009- seuil d’accueil), occupant ou accédant à un emploi disponible correspondant à la spécialité de ce diplôme ou titre, quelle que soit la date d'obtention de ce diplôme, avant ou pendant son activité dans l'entreprise ».

Dans cette grille de l'industrie de la récupération, les seuils d'accueil s'appliquent à l'ensemble des certifications acquises par la voie de la formation initiale, par la voie de la formation continue ou encore par la voie de la VAE. Cette référence à la voie de la formation continue est nouvelle. En effet, cela n'était pas le cas dans les premières grilles ayant institué ce type de garanties (Jobert, Tallard, 1994), les organisations patronales n'accordant pas une reconnaissance systématique des actions suivies dans le cadre de la formation professionnelle continue en termes de progression salariale. Cette posture patronale a évolué au fil du temps, du fait notamment de la création de la VAE par la loi de Modernisation sociale de 2002, dont les partenaires sociaux se sont saisis selon des logiques différentes de reconnaissance des acquis de l'expérience professionnelle.138

Ainsi, dans les branches où la politique de formation professionnelle vise à requalifier la main d'œuvre et rendre plus attractive la branche à des salariés qualifiés, des dispositions spécifiques s'appliquent à la reconnaissance des actions de formation qualifiante. Lorsque l'action de formation est suivie à l'initiative de l'employeur (dans le cadre du plan de formation) les modalités de reconnaissance sont spécifiées dans l'accord. La période d'adaptation à l'emploi est réduite pour les salariés ayant obtenu leurs qualification par la formation professionnelle. A l’inverse lorsque la formation est suivie à l’initiative du salarié (CIF notamment), les garanties de classement ne s’appliquent pas, comme le montre la convention de la branche des fleuristes et services aux animaux familier, qui prévoit des

138 Point développé dans la partie relative à la dynamique de négociation sur les classifications.

restrictions à l’application de l’article 3 qui entérine le principe des seuils d'accueil pour le CAP et le BEP et pour les CQP 139:

« Le titulaire du CQP de vendeur en animalerie est classé au moins au Niveau III, Échelon 3, Coefficient 330 de la grille de classification des qualifications professionnelles. Dans le cas où l'obtention du CQP de vendeur en animalerie ne permet pas d'occuper un emploi correspondant à cette qualification, l'intéressé ne peut prétendre à la garantie minimale de classement. Il s'agit des cas suivants :

- embauche du salarié titulaire du CQP de vendeur en animalerie sur un autre poste que le poste de vendeur en animalerie ;

- reprise des fonctions d'un salarié à l'issue d'un congé individuel de formation ou d'une action de professionnalisation à l'initiative du salarié, au terme duquel l'intéressé a obtenu le CQP de vendeur en animalerie. »

On observe que l'institution de seuils d'accueil pour les diplômés s'accompagne de restrictions importantes dans le positionnement des salariés titulaires de diplômes ou de certifications de branche.

Ceci illustre la position de certains employeurs pour qui le système éducatif forme des débutants

"qualifiés" qui auront à faire leur preuve en situation de travail, "tout se passe comme si le diplôme ne certifiait qu'une compétence potentielle qui doit être complétée par une période d'application en entreprise pour être traduite en termes de classification. La socialisation professionnelle se trouve en quelque sorte extériorisée du processus de formation". (Géhin, Méhaut, 1993)

La logique de poste, selon laquelle sont construites les grilles à critères classants, amène ici les partenaires sociaux à spécifier que cette garantie de classement n'est attribuée que si le salarié occupe une fonction correspondant à la certification.

La grille des Travaux publics qui institue des seuils d'accueil pour les diplômes de niveau V et IV, distingue, au sein des diplômes de niveau IV, le titulaire d'un bac pro en lui conférant une amélioration des conditions de progression dans la grille :

« Les titulaires d'un diplôme professionnel en usage dans les Travaux Publics seront classés dans l'entreprise de la façon suivante :

diplômes de niveau IV de l'Éducation nationale (BP, BT, Baccalauréat technologique) en niveau II - position 2 de la grille de classification Travaux Publics. À l'issue d'une période probatoire maximum de dix-huit mois après leur classement, les titulaires d'un de ces diplômes seront classés dans l'entreprise à un niveau supérieur.

diplôme de niveau IV de l'Éducation nationale (Baccalauréat Professionnel) en niveau II - position 2 de la grille de classification Travaux Publics. À l'issue d'une période probatoire maximum de douze mois après leur accueil, les jeunes titulaires de ce diplôme seront classés dans l'entreprise à un niveau supérieur ou, en fonction de leurs aptitudes, appelés à occuper des fonctions dans les postes concernés de la classification des ETAM. »

Bien que tous les diplômés de niveau IV soient positionnés au même niveau de la grille, la durée probatoire d'accueil des diplômés de bac pro est réduite par rapport à celle prévue pour le BP, le BT et le baccalauréat technologique et l’accès à la catégorie des ETAM leur est ouverte à l’issue de cette période probatoire. Par ailleurs la branche des Travaux Publics encourage la formation continue, puisque les salariés ayant acquis leur diplôme par cette voie connaissent une durée de période probatoire réduite de moitié, à condition que l’initiative en revienne à ‘employeur :

« Ce classement s'applique au titulaire de l'un de ces diplômes obtenu dans le cadre de la formation initiale. Dans le cadre de la formation professionnelle continue effectuée à la demande de l'employeur, la période probatoire sera réduite de moitié. »

139« Dans le cas où le salarié possède un CAP, un BEP ou un BEPA ou la VAE, cet échelon est considéré en début de carrière comme seuil d'accueil durant six mois minimum. ». Notons au passage qu’il y a confusion, dans la phrase, entre un diplôme et son mode d’acquisition, la VAE étant traitée ici comme un diplôme à part entière.

D’une manière plus générale, les bacs pro sont associés à la définition de seuils d’accueil dans 13 branches, parfois depuis peu de temps, comme dans la chimie, où la grille a intégré le bac pro (bien que créé en 1989) par un avenant de 2010.

Les professions bancaires reconnaissent principalement dans leurs seuils d'accueil, les diplômes produits par l'appareil de formation de la branche. C’est ainsi que la branche des Banques reconnait le BP banque, le BTS banque, l'ITB et la licence professionnelle. De son côté la branche du Crédit Maritime Mutuel a adopté une structure de grille assez semblable à celle de la banque tout en utilisant toujours une grille Parodi datant de 2002 qui ne reconnait que deux diplômes : le BP banque et l'ITB.

Le BTS banque dans la branche du Crédit Maritime Mutuel ne donne pas à son titulaire de garantie de classement mais lui accorde l'octroi d'une prime.

Dans les grilles les plus récentes, l'institution de seuils d'accueil ou de garanties de classement concerne 19 grilles soit près de 35 % des branches, mais c'est la part des garanties de classement associées aux CQP qui augmente (Tableau 7).

C’est ainsi que l'accord des Industries des carrières et matériaux a créé ce type de garantie pour l'ouvrier ayant obtenu un CQP et occupant un emploi correspondant. Si l'emploi occupé n'est pas immédiatement celui correspondant au CQP, les salariés bénéficient d'une garantie salariale. L'objectif de cet accord de branche est de mettre en place un système mieux adapté à la réalité des emplois du secteur d'activités et à ses évolutions. Il vise à favoriser le développement des compétences, la promotion sociale des salariés et la reconnaissance des acquis de la formation et de l'expérience professionnelle en garantissant une classification minimale aux titulaires de CQP et de diplômes professionnels.

La reconnaissance des CQP dans les conventions collectives sous forme de garantie de classement est cependant loin d’être systématique. Certaines branches, comme celle du Commerce de détail à prédominance alimentaire par exemple, ont longtemps écarté cette possibilité. D’autres, bien qu’ayant adopté des garanties, y apportent le même genre de restrictions que pour les seuils d’accueil des diplômés, le titulaire d'un CQP ne se voyant reconnaitre le bénéfice de cette garantie que dans la mesure où il occupe un poste faisant appel aux connaissances et savoir-faire liés à sa certification.

Certaines branches, comme celle de la Plasturgie, prévoient une validation, par les entreprises, des compétences mises en œuvre par les titulaires de CQP, en introduisant une période probatoire ou d'adaptation à l'emploi avant toute acquisition effective du niveau de classification. Dans cette branche, il n'existe donc aucune automaticité dans la reconnaissance des formations qualifiantes ou certifiantes dans la grille de classification, puisqu’il faut, préalablement à tout positionnement du salarié, que l'entreprise ait évalué et validé les compétences mises en œuvre dans l'emploi du titulaire du CQP.

2. LE DÉVELOPPEMENT DES CQP ET LEUR RECONNAISSANCE