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3. LE DIPLÔME DANS LES CLASSIFICATIONS : NORME COLLECTIVE CLASSANT

3.3. Grilles à critères classants et reconnaissance individuelle du diplôme

Les grilles à critères classants, négociées à partir des années soixante-dix, sont fondées sur une conception abstraite du diplôme, celui-ci ne servant que d’indicateur d’un niveau de connaissances exigées pour un emploi déterminé, sans lien avec le salarié lui-même. Il convient de s’arrêter sur l’importance juridique qu’occupe le diplôme dans la définition des niveaux ou des groupes dans ces grilles. Cette correspondance entre niveaux de poste et niveaux de formation ne doit pas être interprétée strictement. D’abord les connaissances ne sont qu’un des critères définissant l’emploi, critère qu’il convient de lier à l’autonomie, la responsabilité et le type d’activité pour la métallurgie et à la répétitivité, aux consignes et aux exigences physiques pour la chimie. Si ces connaissances sont établies en référence aux niveaux de l’Education nationale, elles peuvent être obtenues, soit par la voie scolaire ou par une formation équivalente, « soit par l’expérience professionnelle ».

La notion de niveau ou de groupe dans ces classifications n’est donc qu’indirectement liée à celle de diplôme. S’il est fait référence aux « connaissances » que la possession du diplôme atteste en temps normal, celles-ci sont, selon les termes mêmes de l’accord de la métallurgie, « requises » mais non nécessairement « acquises » par le salarié comme l’imposerait l’exigence de possession du diplôme

94 Convention collective des Industries de camping (accord du 10 décembre 1991).

(Caillaud, Dubernet, 1999). La convention collective nationale des hôtels, cafés, restaurants, fondée elle aussi sur des critères classants le précise expressément : « La référence aux diplômes ne signifie pas l'exigence de la possession des diplômes mais l'exigence de l'acquisition effective et donc contrôlable des connaissances équivalentes »95.

Le diplôme ne possède donc qu’un rôle d’indicateur d’un niveau général de connaissances mises en œuvre à l’occasion d’un emploi. Cette considération abstraite apparaît d’autant mieux que la définition des groupes aussi bien dans la métallurgie que dans la chimie ne fait référence qu’à la spécialité du diplôme considéré.

Quels sont les enjeux et les conséquences de telles dispositions ? Ne retenir pour ces emplois que des personnes possédant les diplômes mentionnés dans la classification aurait présenté de graves inconvénients. En premier lieu, la possession d’un diplôme n’est qu’une garantie théorique de la détention de connaissances qu’il convient de vérifier par la pratique de l’emploi. En conséquence, dans les branches ayant des grilles à critères classants, le salarié ne pourra pas contester sa qualification contractuelle s’il constate qu’il se situe à un niveau inférieur à celui auquel son diplôme apparaît dans la classification. Cette qualification s’apprécie ainsi au regard des fonctions réellement exercées et non en fonction des diplômes détenus96. Ensuite, ces dispositions permettent de tenir compte des qualités acquises par les salariés ayant de l'expérience, comme le rappellent ces deux accords, c’est-à-dire de prendre en considération l’acquisition informelle de connaissances et essentiellement l'ancienneté des salariés, grande absente des critères de la classification.

Dans de telles classifications, comment prendre en considération, de façon concrète, les diplômes possédés par les salariés au moment de leur embauche ? Les organisations syndicales ayant à cœur de faire reconnaître les qualités des salariés en contrepartie de l’abandon des classifications fondées sur les individus au profit des postes (Jobert et Tallard, 1995), cette question a constitué un enjeu très important au moment de la négociation de ces grilles, notamment celle de la métallurgie. Elle s’est finalement traduite par l’instauration, dans les grilles à critères classants97, de « seuils d’accueils » ou

« niveaux d’accueils » dont la finalité est de déterminer un droit d’accès à un niveau de la classification ou à un coefficient au profit des salariés diplômés au moment de leur embauche. Une fois l’ensemble des conditions conventionnelles satisfaites (spécialité du diplôme, moment de son acquisition…)98, les seuils d’accueil pourront jouer au profit du salarié diplômé. Or, ces garanties minimales de classement ne révèlent leur efficacité qu’après une comparaison entre ces niveaux d’accueils des diplômés et les niveaux auxquels apparaissent leurs diplômes dans la définition des emplois de la classification. C’est ainsi qu’il est possible d’analyser si un diplôme possède la même valeur en terme de rémunération selon qu’il apparait pour classer un emploi (diplôme comme norme collective) ou permettre à un salarié de bénéficier concrètement d’une garantie de classement (diplôme comme attribut individuel).

Sur cette place du diplôme, on constate une concordance entre les seuils d’accueil et la nomenclature des emplois dans beaucoup d’accords. Il en est ainsi dans la convention de la chimie qui prévoit que tout salarié titulaire du CAP ou du BEP, embauché pour occuper une fonction ou un emploi correspondant à ce diplôme, aura la garantie d’un coefficient de 150 à l’embauche. Or, ce coefficient est le premier du groupe II de la classification des ouvriers, des employés et des techniciens ; il exige la mise en œuvre de connaissances correspondant normalement à celles sanctionnées par un CAP ou un BEP. Cette adéquation se retrouve aussi pour le BTS, le DUT... L’existence d’une telle concordance traduit la volonté des négociateurs de prendre en compte les diplômes des salariés embauchés sans mettre en péril la logique sur laquelle sont fondées les grilles à caractères classants.

Mais alors, quel est l’intérêt pour un salarié diplômé de bénéficier du seuil d’accueil si un non diplômé, possédant néanmoins les connaissances correspondant au diplôme, bénéficie du même coefficient au regard de la grille de classification ? Cet intérêt réside dans la garantie d’une

95 Article 34 de la convention collective nationale des Hôtels, cafés, restaurants.

96 Soc. 14 avril 1988, Bull. V n° 230 et 232.

97 Métallurgie, Bâtiment, Plasturgie, Industries du pétrole, textile (cadres), commerce et réparation automobile, bureaux d’études techniques, Chimie, ...

98 Et quelques autres particulières à certaines branches comme la disponibilité des fonctions (Métallurgie).

progression automatique du coefficient d’embauche passé un certain délai. Toujours dans la chimie, si le mécanisme des seuils d’accueil prévoit pour le titulaire d’un CAP ou d’un BEP un coefficient minimum de 150, ce dernier sera de 160 au bout de trois mois, progression automatique qui ne bénéficiera donc qu’au diplômé.

Cependant, dans un certain nombre d’accords, on observe une différence entre le niveau d’accueil du diplômé et celui de son diplôme dans la classification. Tel est le cas dans la métallurgie99 pour les brevets de techniciens (BT), les BTS et les DUT. Pour ceux-ci, on note que l’accueil des diplômés correspond à un échelon, voire à un niveau immédiatement inférieur à celui auquel le diplôme apparaît dans la définition des emplois de la classification. Ainsi, l’accueil d’un BTS ou d’un DUT s’effectue au coefficient 255, puis de 270 au bout de six mois et enfin de 285 après dix-huit mois alors que ces diplômes définissent les connaissances exigées dans les emplois du niveau II de la classification de la métallurgie dont le coefficient le plus bas est de 305.

Face à ces dispositions, on est en droit de se demander à quoi servent les seuils d’accueil si ce n’est à entériner purement et simplement une déqualification des salariés (Guilloux et Junter-Loiseau, 1980).

Ce jugement doit être nuancé. Il semble d’abord que la volonté des négociateurs ait été de considérer que la mise en œuvre des aptitudes des salariés diplômés nécessite un temps d’adaptation à l’entreprise (Jobert et Tallard, 1995), voire une période probatoire (Guilloux et Junter-Loiseau, 1980) : à ce titre, l'expérience professionnelle devient aussi importante que le diplôme. Enfin, et surtout, ces dispositions consacrent encore plus la logique de l’emploi comme fondement des classifications à critères classants, sans négliger les diplômes du salarié. Lorsque le titulaire d’un BTS est embauché pour occuper un emploi de niveau IV de la classification, c’est-à-dire nécessitant des connaissances en principe attestées par le baccalauréat technique ou professionnel, les seuils d’accueil, quand son diplôme correspond à la « spécialité » de l’emploi, lui garantissent, une progression automatique de son coefficient alors que le salarié, placé au même poste mais qui ne possède que le baccalauréat technique n’en bénéficiera pas. Enfin, ces dispositions ont aussi pour finalité la protection des ouvriers expérimentés non diplômés, en leur assurant un classement que ne pénalisera pas le manque de diplôme.

Toute l’ambiguïté de cette différence de traitement du diplôme selon qu’il classe l’emploi ou qu’il apparaisse dans des seuils d’accueil repose sur le fait qu’il s’agit de garantir des droits à des diplômés dans une classification fondée sur la logique de l’emploi. Cette confrontation entre les liens juridiques diplôme/salarié et diplôme/emploi ne pose aucun problème si le salarié est embauché pour occuper un poste mettant en jeu des connaissances que son diplôme atteste déjà. Dans les autres cas, deux logiques s’affrontent et entraînent des droits différents pour le diplômé.

L’une, sur le modèle de la chimie, favorise le diplômé. Elle lui garantit le coefficient correspondant au niveau de son diplôme dans la classification, quand bien même l’emploi qu’il exerce effectivement est de niveau inférieur, à condition bien-sûr que les filières correspondent. L’autre, sur le modèle de la métallurgie tient compte du non-diplômé en faisant prédominer la logique de l’emploi. Elle lui garantit un coefficient toujours supérieur à celui du salarié diplômé, employé à un poste de niveau inférieur à ce que son diplôme lui permet de prétendre. Toutefois, ce dernier bénéficie d’une progression automatique de coefficient que n’a pas son collègue non diplômé ou ayant un diplôme inférieur, employé au même poste que lui.

Dans ce dernier cas, toutefois, le diplôme vu comme attribut individuel n’a pas la même valeur salariale que le diplôme, norme collective classant l’emploi.

99 Mais aussi dans les conventions des carrières et métaux, de l’exploitation thermique...

4. LA RECONNAISSANCE JUDICIAIRE DES DIPLOMES DANS