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Nos deux populations (≤15 ans et > 15 ans) semblent homogènes car elles sont principalement constituées des jeunes filles françaises, scolarisées, sans contraception et vivant chez leurs parents. Cependant, la comparaison de ces deux groupes a permis de mettre en évidence certains critères de vulnérabilité pour les mineures ≤15 ans.

Tout d’abord, le nombre de parents divorcés est significativement plus important dans le groupe des moins de 15 ans. Nous avions considéré ce facteur comme un critère de vulnérabilité car le divorce des parents peut s’assortir de conflits parentaux, possiblement violents, dans lequel les enfants sont parfois pris à partie. Plusieurs hypothèses sont possibles pour expliquer ce résultat. Certains auteurs [1,2] ont montré que les adolescentes de parents divorcés avaient plus de risque d’être enceinte à l’adolescence. Ellis P. et al., dans son étude prospective concernant 800 jeunes mères âgées de 14 à 17 ans, démontre que l’absence du père biologique à la suite d’un divorce ou d’une séparation augmente les comportements sexuels à risque chez les adolescentes qui sont par conséquent plus exposées à un risque de grossesse, indépendamment du niveau socio-économique des familles et de leur origine ethnique. Il démontre également que la probabilité de concevoir un enfant à l’âge adolescent est statistiquement corrélée avec l’âge qu’avait la mineure au moment de la séparation parentale ou du départ paternel.

Nous avons également montré que la grossesse est découverte plus tardivement chez les moins de 15 ans. On peut facilement envisager que dans ce groupe des 13-15 ans la connaissance du corps humain et des signes physiologiques de grossesse est moindre. On peut également émettre l’hypothèse d’une plus grande réticence à parler de leur grossesse. Ces mineures sont possiblement plus démunies pour consulter les professionnels susceptibles de leur venir en aide comme l’appuie l’étude de Soula et al. en Guyane [3].

Dans notre étude, les violences physiques ou sexuelles sont significativement plus fréquentes dans le groupe des moins de 15 ans. Ces observations corroborent les résultats de Le Van en 1998 [4], qui constate que les grossesses chez les moins de 15 ans, sont plus souvent liées à des traumatismes résultant de violences sexuelles. Hillis et al. en 2004 [2] dans une étude rétrospective incluant 9159 femmes majeures, observe une relation statistique entre une grossesse à l’adolescence et l’exposition durant l’enfance aux violences quelle qu’en soit la nature : psychologique, physique, sexuelle, conjugale, fréquentation d’un membre de la famille consommateur de drogue, malade mental ou criminel. Dans notre étude, l’inceste est retrouvé uniquement dans le groupe des moins de 15 ans. Selon certains auteurs [5], 18% des jeunes filles de moins de 15 ans qui ont déjà eu des rapports sexuels, déclarent qu’ils étaient non consentis Et dans 8% des cas, il s’agissait d’une relation incestueuse. L’existence plus fréquente de ces violences auraient pu influer nos résultats concernant le désir de grossesse (absence de différence significative entre les groupes). En effet, certains auteurs considèrent la survenue d’une grossesse comme une stratégie d’adaptation chez ces mineures exposées notamment lorsqu’elles vivent dans des milieux socio-économiquement défavorisés. Cette grossesse représente un projet d’échapper à une scolarité peu valorisante, à un milieu familial ou institutionnel perturbé ; un projet d’avoir une fonction sociale, de réussir, de se valoriser, de bénéficier d’un soutien familial et social accru et de prestations d’aide sociale ; seul projet viable pour échapper au chômage, à l’échec, à la pauvreté lorsqu’il existe des conditions socio-économiques défavorables [6]. Pour Le Van [4], la grossesse chez les plus de 16 ans correspondrait le plus souvent à une logique de stabilisation de la relation conjugale et d’accès à un statut et une reconnaissance sociale compensant un manque de perspectives professionnelles.

Ce désir de grossesse chez les jeunes adolescentes semble exister dans les milieux socio-économiquement désavantagés même si le nombre de grossesses non désirées chez les mineures tend à diminuer [7]. Davies et al. ont examiné en 2003 [8] la prévalence du désir de grossesse et les facteurs corrélés à ce désir parmi un échantillon de 462 adolescentes afro-américaines de 14 à 18 ans. 23,6% des adolescentes ont exprimé un certain désir d’être enceinte. La taille de notre échantillon des 15 ans et moins peut expliquer que le désir de grossesse n’était pas plus important chez ces mineures. Ainsi, dans notre étude, la majorité des mineures n’a pas désiré leur grossesse. Ce résultat est cohérent avec l’absence de différence significative au

recours à l’IVG entre les groupes. Dans notre série, 59.1% des jeunes filles de moins de 15 ans ont eu recours à l’IVG, contre 60.1% chez les plus de 15 ans. Ces résultats sont légèrement inférieurs à certaines données de la littérature. Dans son rapport sur la prévention et la prise en charge des grossesses des adolescentes [6], Michèle UZAN a observé rétrospectivement sur 4 ans le devenir de 260 grossesses de mineurs âgées de 12 à 18 ans : 158 (70%) ont été interrompues volontairement et 102 ont été poursuivies. Contrairement à notre étude, le taux d’IVG variait selon l’âge passant de 86% à 12 ans à 50% à 17 ans. Cette différence peut s’expliquer par le faible de nombre de patientes âgées de 13 et 14 ans, ainsi que le choix que nous avons fait d’inclure les mineures âgées de 15 ans.

Plusieurs facteurs concourent au fait qu’une mineure poursuit une grossesse ou non. Le soutien affectif des proches, de même que l’appui du père de l’enfant à naître sont des facteurs décisifs dans le choix de mener la grossesse à son terme plutôt que d’avorter [9]. Le milieu socio-économique serait également un facteur influent. Les adolescentes provenant d’un milieu défavorisé seraient moins enclines à recourir à l’IVG [10]. Enfin, il semble que la représentation intellectuelle de l’IVG par les adolescentes puisse jouer un rôle. Selon une enquête sur la santé des jeunes en Bretagne menée par Tron et al. en 2000 [11], 57% des filles considèrent l’IVG comme « un moyen comme un autre pour éviter d’avoir un enfant ». La banalisation du geste ainsi que la facilitation de l’accès au centre d’IVG explique que le nombre d’interruption de grossesse en France soit en constante augmentation [12].

Aussi, nos résultats confortent l’hypothèse d’une vulnérabilité accrue des mineures enceintes de 15 ans et moins. Afin de confirmer cet âge seuil, nous avons comparé les deux groupes en le modifiant à 16 ans puis 17 ans. Finalement, le changement du cut-off tend à homogénéiser les deux groupes et n’a engendré aucune nouvelle différence. L’existence des violences physiques ou sexuelles n’est plus significative. La modification du cut-off à 14 ans n’a pu être réalisée du fait du manque d’effectif dans le groupe 13-14 ans.

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