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E SEPTIEME CERCLE ET LE HUITIEME CIEL. U7 frisson d'un hideux éclair intérieur ; une idée qui

LA DERNIÈriE GORGÉE DU GALICE

I. E SEPTIEME CERCLE ET LE HUITIEME CIEL. U7 frisson d'un hideux éclair intérieur ; une idée qui

lefit frémir, lui traversa l'esprit. Il entrevit dans

l'avenir, pour lui-même, une destinée difforme.

Dites tout, dites tout! cria-t-il.

Vous

êtes le

père de Cosette!

Et il fit deux pas en arrière avec

un mouvement

d'indiciblehorreur.

Jean Yaljean redressa la tète dans une telle majesté d'attitude qu'il

sembla

grandir jusqu'au plafond.

Il est nécessaire que vous

me

croyiez ici,

monsieur; quoique notre serment à nousautres ne

soitpasreçu en justice...

Iciil fit

un

silence,puis,avec unesorte d'autorité souveraineetsépulcrale,il ajoutaen articulant len-tementet en pesant sur les syllabes:

...

Vous me

croirez.

Le

pèredeCosette, moi!

devant Dieu, non. Monsieur le baron Pontmercy,

je suis

un

paysan de Faverolles. Je gagnais

ma

vie à

émonder

des arbres. Je ne m'appelle pas

Fau-chelevent, je m'appelle Jean Yaljean. Je ne suis rien à Cosette, Rassurez-vous.

Marins balbutia :

Qui

me

prouve?...

148 LES MISÉRABLES.

Moi. Puisque je le dis.

Marius regarda cet

homme.

Il était lugubre et tranquille.

Aucun mensonge

ne pouvait sortir d'un

tel calme.

Ce

quiest glacé est sincère.

On

sentait levrai danscette froideurde tombe.

Jevous crois, dit Marius.

JeanValjean inclina la tête

comme

pour prendre acte, etcontinua :

— Que

suis-je pour Cosette?

un

passant. Il

y

a

dix ans, je ne savais pas qu'elle existât. Je l'aime, c'est vrai.

Une

enfant qu'on a vuepetite, étant

soi-même

déjà vieux, on l'aime.

Quand

on est vieux, on se sent grand-père pour tousles petits enfants.

Vous

pouvez, ce

me

semble, supposer quej'ai quel-que chose qui ressemble à

un

cœur. Elle était or-pheline. Sans père ni mère. Elle avait besoin de moi. Voilà pourquoi je

me

suis mis à l'aimer.

C'est si faible les enfants,

que

le premier venu,

même un homme comme moi

, peut être leur pro-tecteur. J'ai fait ce devoir-là vis-à-vis de Cosette.

Jenecroispasqu'on puissevraimentappelersi

peu

de chose une

bonne

action; mais sic'estune

bonne

action, eh bien, mettez

que

jel'aifaite. Enregistrez cette circonstance atténuante. Aujourd'hui Cosette

LE SEPTIÈME CERCLE ET LE HUITIEME CIEL. 149

quitte

ma

vie; nos deux chemins se séparent.

Dé-sormais je ne puis plus rien pour elle. Elle est

madame

Pontmercy.

Sa

providence a changé. Et Cosette

gagne

au change. Tout est bien.

Quant aux

six cent mille francs, vous ne

m'en

parlez pas, mais je vais au-devant de votre pensée, c'est un dépôt.

Comment

ce dépôtétait-il entre

mes

mains?

Qu'importe?Je rends le dépôt.

On

n'a riende plus à

me

demander. Jecomplète larestitution endisant

mon

vrai

nom.

Ceci encore

me

regarde. Je tiens, moi, àce que vous sachiez qui je suis.

EtJean Valjean regarda^lariusen face.

Tout ce qu'éprouvaitMarins était tumultueux et incohérent.

De

certains coups de vent dela desti-née font de ces vagues dans notre âme.

Nous

avonstous eu de ces

moments

de trouble dans lesquels tout se disperse en nous; nous disons les premières choses venues, lesquelles ne sontpas toujours précisément celles qu'il faudrait dire. Il

y

a des révélations subites qu'on ne peut porteretquienivrent

comme un

vin funeste. Marins

étaitstupéfié de la situation nouvelle quilui

appa-raissait, au point de parler à cet

homme

presque

comme

quelqu'un quiluienauraitvouludecetaveu.

150 LES MISERABLES.

Mais enfin, s'écria-t-il, pourquoi

me

dites-vous toutcela? Qu'est-ce qui vous y force?

Vous

pouviez vous garder le secret à

vous-même. Vous

n'êtes ni dénoncé, ni poursuivi, ni traqué.

Vous

avez une raison pour faire, de gaieté de cœur,

une

telle révélation. Achevez. Il

y

a autre chose.

A

quel propos faites-vous cet aveu?

Pour

quel motif?

— Pour

quel motif? réponditJeanValjean d'une voix si basse etsi sourde qu'on eût dit que c'était à lui-même qu'il parlait plus qu'à Marins.

Pour

quel motif, en effet, ce forçatvient-il dire: Je suis

un

forçat?

Eh

bien oui! le motifest étrange. C'est parhonnêteté. Tenez, ce qu'il y a de malheureux,

c'est

un

fil quej'ai dans le

cœur

et qui

me

tient attaché. C'est surtout

quand

on est vieux que ces fils-làsont solides. Toute la vie se défait alentour;

ils résistent.Si j'avais

pu

arracher cefil, le casser, dénouerle

nœud

oule couper,

m'en

allerbienloin, j'étaissauvé, je n'avaisqu'à partir; il y ades dili-gences rue

du

Bouloy; vous êtes heureux, je

m'en

vais. J'aiessayé de le rompre, ce fil, j'ai tiré des-sus, il a tenu bon, il n'a pas cassé, jem'arrachais le

cœur

avec. Alorsj'ai dit : Je ne puis pas vivre

LE SEPTIÈME CERCLE ET LE HUITIÈME CIEL. 101 ailleurs que là. Il fautque je reste.

Eh

bien oui;

mais vousavezraison, jesuis

un

imbécile, pourquoi ne pas rester tout simplement?

Vous

m'offrez une

chambre

dans la maison,

madame Pontmercy m'aime

bien, elle dit à ce fauteuil : Tends-lui les bras, votre grand-père ne

demande

pas

mieux que

de m'avoir, je lui vas, nous habiterons tous en-semble, repas en

commun,

je donnerai le bras à Gosette...

à

madame

Pontmercy, pardon, c'est l'habitude,

nous n'aurons qu'un toit, qu'une table,qu'unfeu, le

même

coin de cheminéel'hiver, la

même promenade

l'été, c'est la joie cela, c'estle

bonheur

cela, c'est tout, cela.

Nous

vivrons en famille.

En

famille!

A

cemot, Jean Valjean devint farouche. Ilcroisa les bras, considéra le plancher à ses pieds

comme

s'il voulait

y

creuser

un

abîme, et sa voixfuttout à coup éclatante :

— En

famille ! non. Jenesuis d'aucunefamille, moi. Je ne suis pas de la vôtre. Jene suispas de

celle des

hommes. Les

maisons où l'on est entre soi, j'ysuis de trop. Il y a des familles, mais ce n'est pas pour moi. Je suislemalheureux; je suis dehors. Ai-je eu un père et une

mère?

j'en doute

152 LES MISÉRABLES.

presque.

Le

jour où j'aimarié cette enfant, cela a été fini, je l'ai vue heureuse, et qu'elle était avec

l'homme

qu'elleaime, et qu'ilyavait

un bon

vieil-lard,

un ménage

de deux anges, toutes les joies dans cette maison, et que c'étaitbien, je

me

suis dit: Toi, n'entrepas. Je pouvais mentir, c'est vrai,

vous tromper tous, restermonsieurFauchelevent.

Tant que celaa étépour elle, j'ai

pu

mentir; mais maintenantce seraitpour

moi

, jene ledois pas.Il suffisait de

me

taire, c'est vrai, et tout continuait.

Vous me demandez

ce qui

me

force à parler? une drôle de chose;

ma

conscience.

Me

taire, c'était pourtant bien facile. J'ai passé lanuit à tâcherde

me

le persuader; vous

me

confessez, et ce queje viens vous dire est si extraordinaire que vous en avez le droit; eh bien, oui,j'ai passé lanuit à

me

donnerdesraisons,je

me

suis donnéde très-bonnes raisons, j'ai fait ce que j'ai pu, allez. Mais il y a deux choses oùje n'ai pasréussi; ni à casser le fil

qui

me

tientparle

cœur

fixé, rivé etscellé ici, ni à fairetaire quelqu'un qui

me

parle bas

quand

je suis seul. C'est pourquoije suis venu vous avouer tout ce matin. Tout, ouà

peu

prèstout. Il yade l'inu-tile à dire qui ne concerne que moi ; je le garde

LE SEPTIEME CERCLE ET LE HUITIEME CIEL. 1:^3

pour moi. L'essentiel, vous le savez.

Donc

j'aipris

mon

mystère, etjevousl'ai apporté. Etj'ai éventré

mon

secretsous vos yeux.

Ce

n'était pas

une

réso-lution aiséeàprendre. Toute la nuit je

me

suis dé-battu.

Ah

! vous croyez que je ne

me

suis pas dit

que ce n'était point l'affaire

Champmathieu

,

qu'en cachant

mon nom

jene faisaisde

mal

à per-sonne, que le

nom

de Fauchelevent m'avait été

donné

par Fauchelevent

lui-même

en reconnais-sance d'un service rendu, et queje pouvais bien le

garder, etqueje seraisheureux danscette

chambre

que vous m'offrez, que je ne gênerais rien, que je serais dans

mon

petit coin, etque, tandis que vous auriez Cosette,

moi

j'aurais l'idée d'être dans la

même

maison qu'elle.

Chacun

aurait eu son bon-heur proportionné. Continuer d'êtremonsieur

Fau-chelevent, cela arrangeait tout. Oui, excepté

mon

âme. Il yavait de la joie partout sur moi, le fond de

mon âme

restait noir.

Ce

n'est pas assez d'être heureux, il faut être content. Ainsi je serais resté monsieur Fauchelevent, ainsi

mon

vrai visage

, je

l'auraiscaché, ainsi,enprésence devotre épanouis-sement, j'auraiseuune énigme, ainsi,aumilieu de votre plein jour, j'aurais eu des ténèbres, ainsi,

154 LES MISERABLES.

sans criergare, tout bonnement, j'aurais introduit le

bagne

àvotre foyer, je

me

serais assis à votre table avec lapensée que, si voussaviezquije suis,

vous

m'en

chasseriez,je

me

seraislaisséservirpar des domestiques qui, s'ilsavaientsu, auraient dit: Quelle horreur! Je vous aurais touché avec

mon

coude dont vous avez droit de ne pas vouloir, je

vous auraisfilouté vos poignées de

main

! Il y

au-rait eu dans votre maison

un

partage de respect entre des cheveux blancs vénérables et des che-veux blancs flétris; à vos heures les plus intimes,

quand

tous les

cœurs

se seraient crus ouverts jus-qu'au fond les uns pour les autres,

quand

nous aurions ététous quatre ensemble, votreaïeul, vous deux, etmoi, il yauraiteu

un

inconnu! J'aurais été côte à côte avec vous dans votre existence, ayant pour unique soin de ne jamais déranger le

couvercle de

mon

puits terrible. Ainsi, moi, un mort, je

me

serais imposé à vous qui êtes des vivants. Elle, jel'aurais

condamnée

à moi à

perpé-tuité. Vous, Cosette et moi, nous aurions ététrois têtes dans lebonnet vert ! Est-ceque vous ne

fris-sonnez pas? Je ne suis

que

le plus accablé des

hommes,

j'en aurais été le plus monstrueux. Et ce

LE SEPTIÈME CERCLE ET LE HUITIÈME CIEL. 155

crime, je l'aurais

commis

tous les jours! Et ce

mensonge,

je l'aurais fait tous les jours! Et cette face de nuit, je l'auraiseuesur

mon

visage tous les jours! Et

ma

flétrissure, je vous en aurais

donné

votre part tous les jours! tous les jours ! à vous

mes

bien - aimés, à vous

mes

enfants, à vous

mes

innocents! Se tairen'estrien?garderlesilence est simple?

Non,

ce n'estpas simple.II

y

a

un

silence qui ment. Et

mon mensonge,

et

ma

fraude, et

mon

indignité, et

ma

lâcheté, et

ma

trahison, et

mon

crime, je l'aurais

bu

goutte à goutte, je l'aurais recraché, puisrebu, j'auraisfini àminuitet

recom-mencé

à midi, et

mon

bonjourauraitmenti, et

mon

bonsoiraurait menti, et j'aurais dormi là-dessus, et j'aurais

mangé

cela avec

mon

pain, et j'aurais regardé Cosette en face, et j'aurais

répondu au

sourirede l'ange par lesourire

du damné,

et j'au-rais été

un

fourbe abominable ! Pourquoi faire ?

pourêtre heureux.

Pour

être heureux,

moi

! Est-ce que j'ai le droit d'être heureux? je suis hors de

la vie, monsieur.

Jean Valjean s'arrêta. Marins écoutait.

De

tels

enchaînements d'idées et d'angoisses ne se peu-vent interrompre. Jean Valjean baissa la voix de

15C LES MISÉRABLES.

nouveau, maisce n'étaitplus la voix sourde, c'était la voix sinistre.

— Vous demandez

pourquoi je parle? je ne suis ni dénoncé, ni poursuivi , ni traqué, dites-vous. Si! je suis dénoncé! si! je suis poursuivi!

si! je suis traqué! Par qui? par moi. C'est

moi

qui

me

barre à

moi-même

le passage, et je

me

traîne, et je

me

pousse, et je m'arrête, et je m'exécute, et

quand

on se tient

soi-même

, on est bientenu.

Et, saisissant son propre habit à poigne-main

et le tirantvers Marins :

— Voyez

doncce poing-ci, continua-t-il. Est-ce que vous ne trouvezpas qu'il tient ce collet-là de façon à ne pas lelâcher?

Eh

bien ! c'est bien un autre poignet, la conscience! Il faut, si l'on vevit être heureux, monsieur, ne jamais

comprendre

le

devoir; car, dès qu'on l'a compris, il est impla-cable.

On

dirait qu'il vous punitdele

comprendre

;

mais non; il vous en récompense ; car il vous

met

dans un enfer où l'on sentà côté de soi Dieu.

On

ne s'est pas si tôt déchiré les entrailles qu'on est en paix avecsoi-même.

Et, avec une accentuation poignante, ilajouta :

LE SEPTIEME CERCLE ET LE HUITIEME CIF.L. 157

Monsieur Pontmercy, cela n'a pas le sens

commun,

je suis

un

honnête

homme.

C'est en

me

dégradant à vos yeux que je m'élève aux miens.

Ceci m'est déjà arrivé une fois, mais c'était moins douloureux; ce n'était rien. Oui, un honnête

homme.

Je ne le serais pas si vous aviez, par

ma

faute, continuéde m'estimer; maintenantque vous

me

méprisez, je le suis. J'ai cette fatalité sur

moi

que, ne pouvant jamais avoir que dela considéra-tion volée, cette considération m'humilie et m'ac-cable intérieurement, et que, pour queje

me

res-pecte, il faut qu'on

me

méprise. Alors je

me

redresse. Je suis

un

galérien qui obéit à sa con-science. Je sais bien que cela n'est pas ressem-blant. Mais que voulez-vous que j'y fasse? cela est. J'ai pris des

engagements

envers

moi-même

;

je les tiens. Il

y

a des rencontres qui nous lient,

il y a des hasards qui nous entraînent dans des devoirs. Voyez-vous, monsieurPontmercy,ilm'est arrivédes choses dans

ma

vie.

Jean Valjean fit encore une pause, avalant sa salive avec effort

comme

sises paroles avaient un arrière-goûtamer, etil reprit :

— Quand

on aune tellehorreur sur soi, on n'a

LES MISERABLES.

pas le droit de la faire partager aux autres à leur insu, on n'a pas le droit de leur

communiquer

sa peste, onn'apas ledroit de les faire glisser dans son précipice sans qu'ils s'en aperçoivent, on n'a pas le droit de laisser traînersa casaque rougesur eux, onn'apas ledroit d'encombrer sournoisement de sa misère le bonheur d'autrui. S'approcher de ceux qui sont sains et les toucher dans l'ombre avec son ulcère invisible, c'est hideux. Fauchele-vent a eu

beau me

prêter son

nom,

je n'ai pasle droitde

m'en

servir; il a

pu me

le donner,je n'ai

pas

pu

le prendre.

Un nom,

c'est

un

moi. Voyez-vous, monsieur, j'ai un peu pensé, j'ai

un

peu lu,

quoiqueje sois

un

paysan; et vous voyez que je

m'exprime

convenablement. Je

me

rends

compte

des choses. Je

me

suis fait une éducation à moi.

Eh

bien oui, soustraire

un nom

et se mettre des-sous, c'est déshonnête.

Des

lettres de l'alphabet, cela s'escroque

comme

une bourse ou

comme

une montre. Être une fausse signature en chair et en os, être unfe fausse clefvivante, entrer chez d'hon-nêtesgens en trichant leur serrure, ne plusjamais regarder, loucher toujours,-être infâme au dedans de moi, non! non! non! non! 11 vaut

mieux

souf-LE SEPTIEME CERCLE ET LE HUITIEME CIEL. 159 frir, saigner, pleurer, s'arracher la

peau

de la chair avec les ongles, passer les nuits à se tordre dans les angoisses, se ronger le ventre et l'àme.

Voilà pourquoi je viens vous raconter tout cela.

De

gaieté de cœur,

comme

vous dites.

11 respira péniblement, etjeta ce dernier

mot

:

— Pour

vivre, autrefois

, j'ai volé un pain;

aujourd'hui, pour vivre, je ne veux pas voler

un nom.

— Pour

vivre! interrompitMarius.

Vous

n'avez pas besoin de ce

nom

pour vivre?

— Ah!

je m'entends, répondit Jean Valjean, en levant et en abaissant la tête lentement plusieurs fois desuite.

Il y eut

un

silence.

Tous

deux setaisaient, cha-cun

abîmé

dans un gouffre de pensées. Marius

s'était assis près d'une table et appuyaitlecoin de sa

bouche

sur

un

de ses doigts replié. Jean Val-jean allait et venait. Il s'arrêta devant une glace et

demeura

sans

mouvement.

Puis,

comme

s'il

répondait à

un

raisonnement intérieur, il dit en regardant cette glace où il ne se voyait pas :

Tandis qu'à présent, je suis soulagé!

Ilse remit à

marcher

et alla à l'autre bout

du

160 LES MISERABLE?;.

salon.

A

l'instantil seretourna, il s'aperçut que Marius1-e regardait marcher. Alors il lui dit avec

un

accent inexprimable :

Je traîne

un peu

la jambe.

Vous comprenez

maintenant pourquoi.

Puis il acheva dese tourner versMarius :

Et, maintenant, monsieur, figurez-vousceci:

Je n'ai rien dit, je suis resté monsieur Fauchele-vent, j'ai pris

ma

place chez vous, je suis des vôtres,je suis dans

ma

chambre, jeviens déjeuner

le matin en pantoufles, les soirs nous allons au spectacle tous les trois, j'accompagne

madame Pontmercy

aux Tuileries età laplace Royale, nous

sommes

ensemble, vous

me

croyez votre

sem-blable;

un

beaujour, je suis là, vous êtes là, nous causons, nous rions, tout à coup vous entendez unevoix crier ce

nom

: Jean Valjean! et voilà que cette

main

épouvantable, la police, sortdel'ombre et m'arrache

mon masque

brusquement!

Il se tutencore; Mariuss'était levéavec un fré-missement. JeanValjean reprit :

Qu'en dites-vous?

Le

silence de Marius répondait.

Jean Valjean continua :

LE SEPTIEME

CERCLE

ET LE HUITIEME CIEL. IGl

— Vous

voyez bien que j'ai raison de ne pas

me

taire. Tenez, soyezheureux, soyezdans le ciel,

soyez l'ange d'un ange, soyez dans le soleil, et contentez-vous-en,-et ne vous inquiétez pas de la

manière dont

un

pauvre

damné

s'y prend pour s'ouvrirla poitrine et faire son devoir; vous avez

un

misérable

homme

devant vous, monsieur.

Marins traversa lentement lesalon, et

quand

il

fut près de Jean Valjean, lui tendit la main.

Mais Marinsdut allerprendre cette

main

qui ne seprésentaitpoint,JeanValjean se laissafaire, etil

sembla

àMarinsqu'ilétreignaitune

main

demarbre.

— Mon

grand-père a des amis, dit Marins; je

vous aurai votregrâce.

C'est inutile, répondit Jean Valjean.

On me

croitmort, cela suffit. Les morts nesontpas sou-mis à la surveillance. Ils sont censés pourrir

croitmort, cela suffit. Les morts nesontpas sou-mis à la surveillance. Ils sont censés pourrir