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II. Déterminants de l’impact macroéconomique d’une fiscalité carbone :

II.3. Tests de robustesse autour de l’option d’une baisse des cotisations

II.3.1. Sensibilité au potentiel de ‘décarbonisation’

Traditionnellement, les avis divergent sur la flexibilité des systèmes techniques tant du côté de l’offre que du côté de la demande d’énergie. Nous ne prendrons pas parti ici. Un point important, souvent ignoré, est qu’un plus grand optimisme technologique ne se traduit pas mécaniquement par un moindre coût social des politiques, dès lors que l’on tient compte de l’ensemble des interdépendances au sein d’une économie. Très simplement, ceteris paribus, si le couple taxe carbone-baisse des cotisations sociales produit un double dividende économique, alors une érosion rapide de la base sur laquelle est prélevée la taxe carbone conduit à un amenuisement de ce double dividende.

Pour comprendre les liens entre hypothèses technologiques et impact macroéconomique d’une fiscalité carbone, nous supposerons dans un premier temps des variations des potentiels de décarbonisation des seuls systèmes de production, puis de ces mêmes potentiels pour les ménages, à chaque fois sous l’option de ratio constant de la dette publique au PIB (RDPC). Nous adopterons deux hypothèses contrastées : d’une part un doublement du potentiel ultime de ‘décarbonisation’ et de la sensibilité de la réalisation de ce potentiel aux prix de l’énergie, d’autre part une rigidité absolue des technologies de production et d’usage final des énergies.

Un plus grand optimisme sur la décarbonisation de la production induit une amélioration significative de l’impact sur la consommation effective des ménages, qui progresse fortement—de 2,9%, contre 1,8% dans notre paramétrage central (Tableau 7). Le mécanisme qui préside à ce résultat mérite d’être détaillé, puisqu’on enregistre une légère hausse du prix de production composite (+0,8%) dont on s’attendrait à ce qu’elle nuise au PIB par comparaison avec la variante centrale, où ce même prix baissait de 1,2%. L’induction d’une hausse des prix de production par un surcroît de flexibilité, a

priori contre-intuitive, traduit une force de rappel bien réelle : une plus grande flexibilité est cohérente

avec une plus forte augmentation de l’intensité en travail de la production ; cette augmentation (de 1,4 points par rapport au cas central) entraîne une demande et un PIB supérieur, ce qui induit une baisse du chômage et, par le jeu de la boucle salaire-chômage, une hausse du salaire nominal assez forte pour augmenter les coûts de production. La légère perte de compétitivité internationale qui en résulte ne se traduit pas par une croissance plus faible parce qu’elle est plus que compensée par la croissance de la demande domestique qui résulte de la hausse de la masse salariale.

Recyclage Baisse des cotisations

Option budgétaire RDPC

Potentiel de décarbonisation (production) Nul Central Doublé

Emissions totales de CO2 -16,4% -41,5% -58,1%

Produit intérieur brut réel +2,0% +2,1% +2,5%

Emploi total (éq. temps plein) +3,2% +4,1% +5,2%

Prix de production composite -2,8% -1,2% +0,8%

Intensité en travail du bien composite +0,1% +1,6% +3,0%

Cons. effective des ménages avec GEE +1,0% +1,8% +2,9%

Cons. composite des ménages +0,9% +1,9% +3,3%

Volume des exportations de bien composite +1,6% +0,7% -0,4%

Proportion de bien composite importée -2,5% -1,0% +0,7%

Pression fiscale (pts de pourcentage) -0,30 -0,40 -0,52

RDPC : ratio de la dette publique au PIB constant

Tableau 7 Sensibilité des effets d’une taxe carbone de 400€/tCO2 au potentiel de

décarbonisation des systèmes de production

En cas d’hypothèse pessimiste sur la décarbonisation des systèmes de production, ces mêmes mécanismes jouent mais en sens inverse, cependant ils débouchent sur une hausse du PIB à peine inférieure au cas central. Ceci est dû au fait que la base fiscale de la taxe s’érode bien moins rapidement ; il en résulte une hausse des prélèvements sur les revenus non salariaux qui permet une baisse significative du prix de production du bien composite (-2,8%). Cette baisse permet une amélioration notable du commerce extérieur, mais pas au point de contrebalancer l’effet négatif de la hausse des prix de l’énergie pour les ménages, dont la consommation effective ne croît que de 1% au lieu de 1,8% dans le cas central.

Si un plus grand optimisme technologique du côté de l’appareil de production conduit bien à une hausse du bilan net de la fiscalité carbone (par des mécanismes moins triviaux qu’il n’y paraît), les tests de sensibilité sur les ménages (Tableau 8) confirment quant à eux les liens compliqués entre optimisme technologique et bilan macroéconomique : ils débouchent sur des résultats paradoxaux puisque l’hypothèse optimiste d’une flexibilité doublée débouche sur des hausses du PIB (+1,0%), de l’emploi (+3,5%) et de la consommation effective des ménages (+1,0%) inférieures à celles du cas central. Le mécanisme de fond est que tout surcroît de flexibilité préserve certes le pouvoir d’achat des ménages, mais entraîne en même temps une plus forte érosion de la base fiscale que constituent leurs émissions de carbone, donc une limitation du transfert de charge au cœur du dispositif, soit une moindre baisse des coûts de production, une moindre hausse des gains de compétitivité, etc.

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Recyclage Baisse des cotisations

Option budgétaire RDPC

Potentiel de décarbonisation (ménages) Nul Central Doublé

Emissions totales de CO2 -25,4% -41,5% -52,6%

Produit intérieur brut réel +3,5% +2,1% +1,0%

Emploi total (éq. temps plein) +5,0% +4,1% +3,5%

Prix de production composite -3,1% -1,2% +0,4%

Intensité en travail du bien composite +1,8% +1,6% +1,4%

Cons. effective des ménages avec GEE51 +2,6% +1,8% +1,0%

Cons. composite des ménages +0,3% +1,9% +3,2%

Volume des exportations de bien composite +1,7% +0,7% -0,2%

Proportion de bien composite importée -2,7% -1,0% +0,4%

Pression fiscale (pts de pourcentage) -0,33 -0,40 -0,45

RDPC : ratio de la dette publique au PIB constant

Tableau 8 Sensibilité des effets d’une taxe carbone de 400€/tCO2 au potentiel de

décarbonisation des ménages

En sens inverse, dans l’hypothèse pessimiste, la résistance de la base fiscale autorise des transferts de charges plus importants vers les revenus non salariaux, ce qui permet une forte baisse des prix de production et une forte amélioration de la compétitivité internationale, ainsi qu’une forte hausse de l’intensité en emploi donc de l’emploi total. Bien sûr, la consommation de composite des ménages est bridée par l’absence de substitution en sa faveur (+0,3% contre +1,9% dans le cas central), mais précisément le maintien des consommations d’énergies, ainsi que la hausse de la consommation publique individualisable, permettent à la consommation effective de progresser plus que dans le ca central (+2,6% contre +1,8%).

Au total, si on combine maintenant les variations de flexibilité des ménages et des entreprises au lieu de les traiter séparément, on débouche sur la conclusion que le bilan macroéconomique de la réforme est relativement robuste aux hypothèses de décarbonisation (Tableau 9). Dans les versions

optimistes, la persistance d’un gain significatif permet de répondre aux inquiétudes concernant l’érosion de la base fiscale. Quant au résultat macroéconomique plus positif des hypothèses

pessimistes, il faut garder à l’esprit qu’il est réalisé au détriment de l’objectif de réduction des émissions. Mais il importe pour les débats de politique économique dans la mesure où il montre qu’une fiscalité carbone dûment recyclée peut jouer un rôle positif même au sein de visions du monde pessimistes sur l’efficacité de son signal : sans effet sur les émissions elle peut continuer de se justifier pour réduire les coûts d’une décarbonisation qui passerait alors essentiellement par des normes techniques pour l’efficacité énergétique et un volontarisme du côté de l’offre. Aucun économiste ne souscrira à une réforme ainsi construite, mais nous l’envisageons dans la volonté d’aller jusqu’au bout de la logique des sceptiques vis-à-vis de l’effet signal : même en l’absence d’effet signal il faudra bien réarranger la fiscalité, sauf à croire que la décarbonisation par normes et réglementations est gratuite.

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Les 5% de gain d’efficacité énergétique associés au potentiel central sont annulés dans le cas pessimiste, et ré-estimés à 7,3% dans le cas optimiste (estimation conservatrice calculée pour permettre le maintien de la consommation effective du scénario central lorsqu’on lui impose les consommations d’énergie fortement réduites du potentiel optimiste).

Recyclage Baisse des cotisations

Option budgétaire RDPC

Potentiel de décarbonisation (production et ménages) Nul Central Doublé

Emissions totales de CO2 +0,0% -41,5% -69,0%

Produit intérieur brut réel +3,4% +2,1% +1,4%

Emploi total (éq. temps plein) +4,0% +4,1% +4,5%

Prix de production composite -5,0% -1,2% +2,1%

Intensité en travail du bien composite +0,2% +1,6% +2,6%

Cons. effective des ménages avec GEE52 +1,3% +1,8% +2,1%

Cons. composite des ménages -0,8% +1,9% +4,4%

Volume des exportations de bien composite +2,9% +0,7% -1,1%

Proportion de bien composite importée -4,4% -1,0% +1,8%

Pression fiscale (pts de pourcentage) -0,25 -0,40 -0,59

RDPC : ratio de la dette publique au PIB constant

Tableau 9 Sensibilité des effets d’une taxe carbone de 400€/tCO2 au potentiel de

décarbonisation de la production et des ménages