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Un paramètre sous-estimé : impact sur la propension à l’embauche

V. La question de la compétitivité et des effets sectoriels

V.2. Un paramètre sous-estimé : impact sur la propension à l’embauche

La fiscalité carbone a potentiellement comme ‘effet collatéral’ la baisse du risque à

l’embauche en baissant le coût relatif du travail.

Pour comprendre comment, il faut partir du fait que la plupart des industries sont techniquement dimensionnées pour fonctionner en surcapacité (les capacités sont utilisées à 80% en moyenne). Cette surcapacité n’est pas seulement liée à un contexte de crise ; elle correspond, en temps normal, au désir des entreprises de conserver des marges de manœuvre au cas où elles rencontreraient une demande supérieure. Elle concerne également des entreprises, comme ce fut le cas de Renault il y a trois ans, qui feraient le pari délibéré de retarder la sortie de certains produits pour améliorer leur qualité et ainsi les rendre ultérieurement plus compétitifs. Une partie de la surcapacité est en quelque sorte volontaire, une autre est le pur produit de la conjoncture économique.

Le problème est donc d’arbitrer entre deux risques lorsque l’on décide des capacités de production puis du niveau d’embauche : perdre des recettes parce qu’on a sous-estimé la demande future, ou subir les coûts d’une surcapacité en cas de ventes inférieures aux prévisions. Dit autrement,

84 Si le travail était un facteur totalement flexible, cette incertitude ne jouerait ici aucun rôle et seul compterait le dimensionnement des équipements. Or le travail est rendu partiellement rigide à la fois par le droit qui le régit, et par le fait que les entreprises doivent, en période de baisse de leurs ventes, conserver le capital humain nécessaire pour faire face à toute reprise. De ce point de vue, asseoir l’essentiel du financement de la protection sociale sur le travail est un frein à l’offre d’emploi.

On peut le vérifier à partir d’un exercice numérique simple, à vocation purement heuristique, où les ordres de grandeur sont calés sur le cas de l’industrie automobile (Encart 8).

L’exercice numérique proposé simule l’impact de la réforme dans une option PFC hors compensation, sur le site de production d’un grand constructeur automobile français, dont nous avons pu obtenir les données précises de masse salariale. Nous avons alors pu reconstruire la structure de coût du site à partir des poids que représentent les différents coûts dans la production de la branche automobile du TES de l’INSEE. Les simulations de l’option PFC présentées section II.1 nous ont en outre indiqué quelle diminution des taux de prélèvement sur le travail pouvait être financée par différents niveaux de taxe généralisée, ainsi que les variations des différents prix de production provoquées par la réforme63.

Nous simulons dans un premier temps l’impact de cette réforme sur le coût unitaire par unité produite, qui nous semble un bon indicateur de compétitivité, si l’unité de production se fait « surprendre » par une diminution de ses ventes. Pour illustrer ensuite notre propos sur le risque d’embauche, nous considérons le même site de production, dirigé par un entrepreneur représentatif, qui souhaite investir dans une capacité donnée. Cette capacité ne fonctionne pas en général à plein régime. Ainsi pour une capacité de 100, l’emploi de référence de cette capacité, c’est-à-dire l’activité de l’entreprise, est de 80. Un certain nombre d’hypothèses s’avèrent par ailleurs nécessaires. D’une part nous supposons qu’une partie de la main d’œuvre (disons 15%) est « fixe », c’est-à-dire qu’en cas de baisse de l’activité, seule 85% de la masse salariale varie proportionnellement avec l’activité de l’entreprise. D’autre part, l’entrepreneur est supposé prendre une décision d’investissement dans un univers incertain : il sait que la demande sera en moyenne inférieure à celle de l’année en cours (puisque nous nous plaçons en période de crise), mais que la demande réelle sera comprise dans un certain intervalle centré autour de cette moyenne espérée. Il ne connaît donc pas l’avenir mais il est capable d’attribuer un ensemble de probabilités aux niveaux de demande qu’il juge plausibles. Deux écueils sont possibles : soit il sous-estime sa demande future et perd des recettes (son prix de production étant fixé à la période actuelle) si la demande effective est supérieure à sa capacité; soit il surestime cette demande et se trouve en situation de surcapacité; il doit alors payer le coût des sureffectifs évoqué précédemment.

Encart 8 Offre d’emploi dans l’incertain, une simulation à vocation heuristique

En cas de taxe de 400€/tCO2 dans l’option PFC, le basculement d’une partie des prélèvements

sur le travail permet de faire baisser le taux de prélèvement (cotisations sociales et patronales) sur la masse salariale nette de 53% à 33%, conduisant ainsi à une diminution des coûts salariaux d’environ 13%. À ce gain se rajoute la baisse du coût des consommations intermédiaires hors énergie, ce qui conduit à une baisse de 2,2% du coût variable par unité produite.

Si les ventes ne sont pas au niveau espéré, le coût variable (hors amortissement des équipements) par unité reste fixe en cas de flexibilité totale du travail. Si le travail est totalement rigide, en revanche, pour une baisse de 50% des ventes ce coût augmente de 12,5%. Mais cette hausse

est ramenée à 11% dans l’hypothèse où une taxe de 400€/tCO2 aurait permis de baisser les coûts

salariaux.

63

Les résultats utilisés sont ceux obtenus dans l’hypothèse d’un recyclage par ajustement des cotisations sur le travail (cf Tableau 27 p.106), sous hypothèse de maintien de la pression fiscale.

On a donc là deux sources de gain de compétitivité provenant de l’instauration d’une taxe carbone : une baisse du coût variable par unité produite en période normale du cycle des affaires, et une moindre augmentation de ce coût en cas de baisse non anticipée d’activité.

Prenons alors l’exemple d’une entreprise qui, ayant dimensionné son équipement pour un niveau de vente de 80, reconsidère son niveau d’embauche en tenant compte d’une hypothèse des ventes plus pessimiste que prévue dans un contexte de crise ; supposons qu’elle intègre le fait que les ventes pourraient être jusqu’à 60% seulement des prévisions tout en continuant à retenir comme possible le retour à un niveau de ventes saturant ses capacités de production, fixé à 100. Dans ce cas, si elle considère les hypothèses basses et hautes comme équiprobables, son nouvel optimum de production, donc d’embauche est de 70 sans taxe carbone. Si, entretemps, un basculement fiscal a lieu qui allège le coût du travail, cet optimum se situe à 75, soit une offre d’emploi de 6% supérieure. Ces chiffres, qui reposent sur une distribution de probabilités et une prise en compte du risque très frustes, sont bien sûr purement illustratifs. Mais ils permettent d’illustrer pourquoi, en baissant le coût des sureffectifs donc de la surestimation de la demande future, une taxe carbone déplace le curseur de l’offre d’emploi à un niveau supérieur.

Ce résultat ne peut donc être généralisé mais l’ordre de grandeur obtenu est significatif. Il suggère, sous bénéfice de plus ample examen, que l’effet de baisse du risque d’embauche, non pris en compte dans les simulations précédentes, pourrait constituer un paramètre très important de renforcement du cercle vertueux que nous avons mis en évidence. Mais bien sûr il ne vaut pas avec la même force pour tous les secteurs ; il concerne essentiellement la partie centrale de l’activité

française et les PME, pour lesquelles le risque d’embauche est prégnant. Il joue de façon plus

marginale pour les industries lourdes dont nous avons vu qu’elles sont les plus vulnérables à une fiscalité carbone unilatérale.

V.3. Industries grandes consommatrices d’énergie : les vrais déterminants des