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2 Chapitre : La philosophie pour enfants et la prévention de l’endoctrinement

2.3 La philosophie pour enfants : aux antipodes de l’endoctrinement

2.3.3 Une prévention

2.3.3.1 Se préserver de l’endoctrinement

Être capable de se préserver de l’endoctrinement signifie notamment avoir la capacité de remettre en question ce qu’on nous enseigne. Lorsqu’un instituteur ou plus largement une institution endoctrine, elle étouffe l’autonomie intellectuelle, notamment en inculquant un système de croyances qui ne peut être remis en question. Une personne capable de se préserver de l’endoctrinement est donc une personne qui ne peut pas accepter qu’on lui impose des croyances irrévocables par le biais d’un enseignement. Pour arriver à

développer une telle faculté, nous pensons que la pensée critique, la pensée créative et la pensée attentive développées en philosophie pour enfants sont d’un grand secours.

2.3.3.1.1 La pensée critique

À nos yeux, le lecteur en est sans doute très conscient maintenant, la pensée critique permet, notamment, de déterminer ce qu’on ne doit pas croire. En ce sens, être doté d’une pensée critique nous parait être un atout majeur pour pouvoir lutter contre l’endoctrinement. Pour Lipman, la pensée critique repose sur des critères, elle est autocorrective et soucieuse du contexte309. De cette manière, elle permet de déterminer ce qui est plausible, ce qui

semble se rapprocher du vrai. Ainsi, elle donne lieu de s’interroger sur les certitudes et les connaissances qu’on peut tenter de nous inculquer. Elle invite à une certaine prudence vis- à-vis de ce qui pourrait être présenté comme nécessairement vrai. De ce fait, la pensée critique peut être considérée, tel que le souligne Matthew Lipman, comme un « bouclier contre un lavage de cerveau qui ne laisserait aucune place à la recherche personnelle310 ».

Il semble bien alors qu’elle permette à ceux qui en sont dotés de se préserver de l’endoctrinement. Or l’approche de Lipman et Sharp vise notamment à développer la pensée critique grâce à la recherche mise en place au sein de la communauté de reche rche philosophique.

2.3.3.1.2 La pensée créative

La pensée créative, quant à elle, est un mode de pensée disposé au doute et à l’imagination de solutions alternatives autres que celles proposées habituellement. Si l’endoctrinement vise à instaurer des croyances incontestables, la pensée créative semble s’y opposer radicalement puisqu’elle est par définition non conventionnelle. Elle est un mode de pensée qui parait permettre d’ébranler et de défier les certitudes qu’on pourrait tenter d’imposer. Les personnes qui pensent de manière créative sont des individus indépendants puisqu’ils essayent de penser librement, sans considération pour l’opinion générale : « avant de

309 Ibid., p. 205. 310 Ibid., p. 57.

s’exprimer, ils étudient soigneusement le problème pour ne pas répondre de façon mécanique, sans réfléchir311 ». Par ailleurs, la pensée créative est également non

conformiste du fait qu’elle est l’expression de l’originalité de celui qui l’exprime. La manière dont on pense à un objet, lorsqu’on le fait de manière créative, exprime à la fois l’objet mais aussi la façon spécifique dont on l’envisage, marquée par ce que nous sommes. Or l’endoctrinement implique généralement une pensée impersonnelle, puisqu’elle résulte de croyances imposées, qui ne sont pas propres à celui qui subit l’endoctrinement. Ainsi, la pensée créative, qui est un mode de pensée qui encourage particulièrement à l’expression du doute et l’expression de soi, est radicalement opposée à ce que tente de produire l’endoctrinement. Une personne qui pense de manière créative aura la propension à ne pas se laisser endoctriner. La pratique de la philosophie avec les enfants en communauté de recherche vise notamment à développer ce mode de pensée spécifique, en encourageant les enfants à exprimer leur individualité, à imaginer des solutions alternatives à celle couramment proposées et à douter. De cette manière, la philosophie pour enfants semble équiper les enfants afin de les rendre à même de se protéger de l’endoctrinement.

2.3.3.1.3 La pensée attentive

En développant sa pensée attentive, on est appelé à accorder une importance grandissante à ce que l’on ressent et à ce qui éveille effectivement notre intérêt. Ainsi, lorsqu’on pense, on le fait en ayant conscience du rapport qu’on entretient avec l’objet de notre pensée. L’une des sous-catégories de la pensée attentive est la pensée appréciative. Ce mode se manifeste, explique Lipman, quand on prête attention à ce qui compte pour nous312. La

pratique de la philosophie avec les enfants y engage notamment lors de la période de questions, où les enfants sont invités à faire part de leurs intérêts pour certains sujets évoqués dans le texte. Ils apprennent donc à prendre conscience de leurs préoccupations et à les énoncer. De ce fait, la philosophie pour enfants, notamment en développant la pensée attentive, permet d’éveiller l’enfant à l’écoute des inclinations de sa pensée et notamment à penser à ce qui l’intéresse. Ainsi, on peut croire que celui qui bénéficie d’une telle éducation sera capable de dresser en rempart contre l’endoctrinement – soit

311 Ibid., p. 235. 312 Ibid., p. 253.

l’inculcation de convictions et de croyances inéluctables. Puisque le système de pensées résultant d’un endoctrinement est imposé par des moyens extérieurs, il ne répondra pas à l’appréciation personnelle de celui qui le reçoit.

Ainsi, l’alliance de la pensée critique, de la pensée créative et de la pensée attentive en philosophie pour enfants semble offrir les outils nécessaires pour développer une pensée qui soit capable de se protéger face à la possibilité de l’endoctrinement. Nous pensons, en outre, que la philosophie pour enfants permet de se préserver d’être endoctrinant.