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2 Chapitre : La philosophie pour enfants et la prévention de l’endoctrinement

2.2 La philosophie pour enfants : présentation

2.2.3 La pratique de la philosophie avec les enfants : la communauté de recherche

2.2.3.2 Les questions

Les romans philosophiques pour enfants tels que ceux écrits par Lipman sont les stimulus de la recherche. Ils sont organisés dans le but de susciter le questionnement chez les enfants qui composent la communauté. La lecture du texte a, par conséquent, aussi pour fonction d’inspirer les questions qui vont animer la recherche. Ainsi, les romans contiennent en eux-mêmes de nombreux éléments problématiques telles que les questions soulevées par les personnages mais aussi des concepts mal définis263. Le but est qu’à l’issu de cette

lecture, les enfants soient « embarrassés et désemparés 264». L’animateur ou l’animatrice

de la communauté de recherche doit profiter de la perplexité des élèves pour les inviter à formuler des questions.

Le moment du questionnement est aussi un moment capital de la communauté de recherche. On invite les élèves à entamer une réflexion au sujet du texte qu’ils ont lu et à transformer cette réflexion en une question. De cette manière, les élèves sont encouragés à s’interroger sur ce qui a pu retenir leur attention ou ce qui leur a semblé particulièrement problématique265. Ainsi ils sont poussés à considérer leur propre ressenti par rapport à la

lecture. Ils sortent de la position passive que l’on peut avoir face aux manuels scolaires dans l’enseignement classique. Ces textes ont, au contraire, pour vocation de faire réagir leurs lecteurs. De cette manière, la lecture et le moment de questionnement qui amorcent la recherche dans la pratique de la philosophie en communauté de recherche nourrissent l’étonnement des enfants. L’accent est mis sur leur tendance à se questionner et cette aptitude est valorisée. En outre, durant cette période, les élèves sont invités à s’exprimer sur le texte et aussi à en discuter entre eux, afin de préparer ensemble la formulation de leur question respective. Cela peut se faire avec le voisin ou la voisine ainsi qu’en petit

263 Ibid., p. 154. 264 Ibid., p. 102.

groupe. Il y a donc un premier échange direct qui se fait entre les élèves, mettant aussi en lumière la possibilité d’entraide.

Suite à cette période de réflexion sur le texte, arrive le choix de la question. Les différentes questions sont recueillies et inscrites au tableau, accompagnées du nom de leurs auteurs. La mention du nom est importante car en plus de rendre l’élève qui voit son nom au tableau fier, cela permet de le faire se sentir responsable de ses idées266. En outre, écrire le nom

des élèves peut les encourager à vouloir exprimer leur questionnement puisqu’ils en tirent un certain honneur et ils se sentent appartenir à la communauté. Il se peut, enfin, qu’au moment de la cueillette des questions, leurs différents auteurs soient conduits à les clarifier, afin qu’elles soient comprises par tous. De cette façon, les élèves sont une première fois mis au défi de l’exercice d’habiletés de pensée, notamment celles de la formulation de questions et celle de la clarification. Ces exigences de clarté ne sont pas seulement exprimées par la personne en charge de la communauté ; l’incompréhension des pairs révèle aussi le besoin d’éclaircissement dans une communauté de recherche. Ainsi, avant même que la recherche à proprement parler ait commencé, les élèves sont déjà en train de mobiliser certains outils de la pensée.

Une fois que les questions ont été écrites au tableau, les membres de la communauté doivent élaborer ensemble un agenda, soit l’ordre dans lequel les différentes questions vont être abordées. Cet agenda doit rendre compte de l’intérêt des élèves pour les différentes questions267. Le choix des questions doit donc être fait de manière démocratique. Si le choix

des questions revient à l’animateur ou à l’animatrice, il se pourrait que ce soit perçu comme un relent d’autoritarisme268. Il est donc important que cette décision soit le fruit d’un accord

de l’ensemble des membres de la communauté dont l’animateur ou l’animatrice fait également parti. Cela peut se faire par délibération, vote, tirage au sort, etc. l’essentiel est que la décision soit démocratique.

La question et la période de questionnement permettent donc d’amorcer la recherche. Elles marquent le début de la réflexion des élèves, puisqu’ils sont encouragés à s’interroger sur le texte qu’ils ont lu. Le questionnement a, en outre, pour vertu de créer le doute dans les

266 Matthew Lipman, À l’école de la pensée, op cit., p. 102. 267 Ibid., p. 105.

esprits. Prendre le temps de se questionner, de réfléchir à la lecture qui vient d’avoir eu lieu, c’est laisser place aux doutes. En accordant un statut aussi élevé aux questions, en les écrivant au tableau et en les discutant, on vient « légitimer le doute269 ». Le doute, amené

comme nous l’avons vu par l’étonnement et la créativité, est ce qui permet la recherche. Il est donc important que celui-ci soit valorisé chez les enfants. Dans l’enseignement traditionnel il n’est pas nécessairement bien vu de douter, puisque ce qui est estimé c’est le savoir et l’acquisition de connaissances. Les questions, en plus de laisser les élèves maîtres de leur propre recherche et du sujet de leur étude, permettent de redonner son importance au doute qui amène à l’ouverture du dialogue et de la recherche.