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La sculpture religieuse et funéraire

A L’hommage aux grands hommes

4. La sculpture religieuse et funéraire

La création des cimetières hors ville, au début du XIXe siècle avait pour but de préserver la salubrité et représentait le début du culte des morts. « La mort est romantique par excellence »144 parce-que, la mort, la mélancolie, la nuit et les

tombeaux s’accordaient au Romantisme naissant.

Sous l’influence de Fréchet, Préfet de la Seine entre 1800-1812, les familles peuvent faire agrandir les tombeaux, construire des monuments, des chapelles funéraires145.

Le Père Lachaise reçoit alors les hommes illustres. Il y a aujourd’hui tant d’hommes célèbres que le cimetière se visite comme un musée. Il joue alors son rôle pédagogique de mémorial aux grands hommes pour la survie du défunt dans les siècles à venir.

Hugo écrit dans les feuilles d’Automne en 1831 :

C’est une plainte des morts ! Les morts pour qui l’on prie Ont sur leur lit de terre une herbe plus fleurie.

Prie ! Afin que le père, et l’oncle, et les aïeules, Qui ne demandent plus que nos prières seules, Tressaillent dans leur tombe en s’entendant nommer, Sachent que sur la terre, on se souvient encore, Et, comme le sillon qui sent la fleur éclore, Sentent dans leur œil vide une larme germer !146

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au sujet de David d’Angers dans BENOIST Luc, La sculpture romantique, Paris, Leroy-Jay Lemaistre, Gallimard, 1994, p 167.

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LENORMAND-ROMAIN Antoinette, Mémoire de marbre : la sculpture funéraire en France 1804-1914, Paris, bibliothèque historique de la ville de Paris, 1995.

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On mêle alors allégories et personnages historiques comme avec Les Victoires de James Pradier sur le tombeau de Napoléon, aux Invalides (1842-1861). A ce moment-là, l’allégorie est souvent La religion, comme sur le tombeau du duc de Berry par Cartellier : le duc de Berry expirant dans les bras de la religion et écartant la Justice (1821-1830, St Denis Crypte de la basilique).

La dépense importante de la réalisation de tels monuments nécessite une souscription ; il faut payer la maçonnerie, l’architecte, le ou les sculpteurs, les fondeurs, les peintres graveurs…sinon la tombe sera plus simple. Etex lance une souscription lorsqu’il trouve en 1837 la tombe abandonnée de Géricault.

La Douleur est une allégorie très présente sur les tombeaux. Toujours accablée, elle souffre, telle, celle sous les traits de la comtesse de Bourcke (1826) au Père- Lachaise de PJ David. Il peut y avoir des allégories spécifiques comme La Musique en pleurs sur la tombe de Chopin par Clésinger réalisée en 1850.

De nombreux monuments funéraires ont été conçus par Chapu, Laporte a pu les voir. Dans un dessin pour un projet de tombeau, on y voit deux anges portant un médaillon dans lequel se trouve le portrait du défunt. Le médaillon coûte plus cher mais reste à la mode pendant tout le siècle. Par exemple, Clapisson (1808-1866) par Jouffroy ou Duban (1797-1870) par Guillaume. Pour lui donner plus d’importance, on combine souvent ce médaillon avec une allégorie, douleur ou ange comme dans le monument à Affiac réalisé par Laporte.

Les frères Coustou ont également réalisé de grands médaillons funéraires : un ange tenant le médaillon du Maréchal d’Estrées par Guillaume Coustou et une allégorie féminine tenant dans ses bras le médaillon du prince de Conti147.

On trouve aussi des Bonté, des Charité. Il faut représenter au mieux ce qui définit le défunt. Sur la tombe de Falguière (vers 1900), réalisée par Laurent Marqueste, on peut voir la reproduction du Tarcisius, martyr chrétien.

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A la fin du siècle, les chefs de file de cette sculpture sont Chapu et Bartholomé. Avant de rejoindre les tombeaux, les œuvres sont d’abord exposées aux Salons. Le thème romantique de la séparation n’est plus dévolu uniquement aux cimetières. Sous l’influence de l’éclectisme, les allégories évoluent vers le symbolique, le mystérieux. Il y a de nombreux dessins de Chapu en ce sens, plein d’élégance et de mesure : La Jeunesse, La Pensée, l’Espérance, L’immortalité…

Parallèlement les artistes cherchent aussi le réalisme en représentant le défunt gisant comme ont pu le faire, Chapu et Dalou.

L’innovation vient encore de la sculpture funéraire avec le Monument aux Morts de A. Bartholomé, inauguré en 1899 au cimetière du Père-Lachaise : les personnages sont liés par l’enchaînement de leur geste. Ce monument bouleverse par ces deuils en cascade, qui ploient sous le poids de la douleur. Ces allégories volontairement évanescentes, peu explicites montrent le chemin de la sculpture moderne. Le Génie funéraire de Epstein, sur la tombe d’Oscar Wilde (1912) et Le Baiser de Brancusi148

en pierre (1909-1910) marquent la rupture avec le style funéraire hérité de la Renaissance.

La défaite et la souffrance qui frappe le pays dans les années 1870 aura une grande influence sur la statuaire. En effet, toutes les récompenses décernées aux sculpteurs des années 1874 à 1880 concernent cette catégorie.

L’art funéraire mis en exergue du fait de cet évènement douloureux pour le pays, devient un domaine de renouveau, d’audaces en matière d’art statuaire149. Ainsi, le

Gloria Victis (« la gloire des vaincus ») d’Antonin Mercié, médaille d’honneur en 1874, devient le cénotaphe officieux des victimes de la guerre contre la Prusse. Il est édité en bronze dans plusieurs villes.

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Tombe de T.Rachevskaïa, Paris, cimetière Montparnasse.

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PEIGNE Guillaume, « Néo-baroque et spiritualisme : autour du Génie de l’immortalité de Chapu » dans La

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Henri Chapu est lui aussi deux fois récompensé, pour son allégorie de La Jeunesse (1871) érigée en l’honneur du peintre Henri Regnault, mort sur le champ de bataille et pour La pensée (1873), destinée au tombeau de la comtesse d’Agoult. Pour le monument au général Lamoricière, qui exalte le courage militaire, Paul Dubois reçoit la médaille d’honneur du Salon de 1876. Chapu se distingue à nouveau avec le Génie de l’immortalité au Salon de 1880 : un corps de jeune homme qui se soulève et tend les bras vers l’infini, évoque l’éternité sans faire appel à des symboles chrétiens. Pour la première fois, une œuvre d’une puissante spiritualité ne fait aucune référence au religieux. De plus, l’épanouissement du courant néo- baroque s’accorde parfaitement avec les envolées des corps et l’aspect immatériel de la sculpture funéraire.

Comme Laporte, avec son monument Regrets, le religieux est exclu de son art funéraire. Il est l’exact opposé du sculpteur Henri de Triqueti, pour lequel le répertoire gothique imprègne un style chrétien omniprésent150. Celui-ci est très croyant et a

réalisé de nombreuses sculptures funéraires. Falguière aussi, a travaillé au début de sa carrière pour plusieurs églises151. Quant à David d’Angers, il a utilisé ce support

pour l’investir d’une fonction polémique : La jeune grecque déposant une couronne sur le tombeau de Botzaris152.

Le monument funéraire de Laporte, n’est ni religieux, ni polémiste, et en plus il semble être le seul monument funéraire que l’artiste ait sculpté.

Cette œuvre est intéressante car comme un secrétaire à multiples tiroirs, elle nous révèle peu à peu ses mystères. On voit tout d’abord, une tombe de forme rectangulaire sans symbole chrétien. Il n’y a ni Christ, ni croix.

Sur l’arrière une stèle décorée de volutes fleuries supporte une grande statue de marbre.

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LEROY-JAY LEMAISTRE Isabelle, Henry de Triqueti : 1803-1874 : le sculpteur des princes, Hazan, 2007.

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SCIUTTI Marion, L'œuvre sculpté de Falguière à Toulouse, mémoire de maîtrise, UTM 2, p11.

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Le dès de la statue représente un bonnet phrygien avec équerre et fil à plomb symbole d’égalité, des rameaux de chêne et un ruban où l’on peut lire liberté-égalité- fraternité153.

Le nom du défunt est inscrit sur la tombe ; il se nomme Affiac et juste au-dessus, on peut voir les lettres H et Z, entremêlées.

Affiac, est un nom courant dans la région et l’un d’entre eux est maire de la ville de Rieux-Minervois en 1871, et un autre prénommé Hippolyte est lui, conseiller municipal. Il paraît donc normal d’avoir ici les symboles de la République surtout en cette fin de XIXe siècle, où celle-ci est célébrée partout.

La femme au voile est placée contre une base de colonne et porte entre ses mains un médaillon à l’effigie du défunt. Les pupilles du sieur Affiac sont très creusées et crée un léger malaise à sa vue car il paraît vivant avec sa redingote boutonnée et sa barbe bien taillée.

La silhouette féminine, aux yeux mi-clos, porte une longue robe et un grand voile de deuil qui recouvre la totalité de son corps tel un manteau. Son visage est incliné vers le médaillon représentant Affiac. Comme une mère berce son enfant, son attitude est protectrice.

Le tissu très lourd des drapés de la robe se mêle au voile immense. Celui-ci est rejeté sur l’épaule droite et retombe en une vague de plissés dans le dos. Son beau visage intemporel de déesse antique, s’oppose au visage rondouillard d’Affiac, trop réel avec ses petites lunettes cerclées. On hésite entre le rire et la mélancolie.

Cette femme rêvée ne possède aucun signe vestimentaire caractéristique, on peut penser qu’il s’agit d’une Douleur. Elle est très proche physiquement du défunt. On retrouve souvent les médaillons près des douleurs, mais juxtaposés, ici ce geste protecteur est si surprenant et émouvant à la fois. En consultant les registres municipaux, on ne trouve pas trace du monument. Et pour cause ! Il s’agit d’une concession privée.

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On peut se demander pourquoi une place si importante est attribuée aux symboles de la République sur le socle de la statue. On découvre alors qu’Hippolyte Affiac était un libre penseur, peut-être franc-maçon et que sa veuve se prénommait Zénobie. En effet, le triangle symbole de la franc-maçonnerie se trouve bien en évidence avec ceux de la République sur le socle de la statue. Les deux initiales enlacées sont celles d’Hippolyte et Zénobie. Enlacés comme cette Douleur térébrante qui embrasse et protège Hippolyte jusque dans l’au-delà.

Quant à La vierge de Sceaux que nous venons de découvrir celle-ci est la seule sculpture religieuse que nous pouvons attribuer à Laporte.

Ce qui est étonnant, car pour l’époque l’iconographie religieuse est encore très présente dans l’enseignement de l’Ecole des beaux-arts. Falguière a beaucoup œuvré pour la statuaire religieuse, avec notamment son célébrissime Tarcisius, martyr chrétien.

Laporte était peut-être franc-maçon, ce qui expliquerait cette presque inexistence de symbole religieux dans son œuvre sculpté. Cette vierge au signe de la croix serait donc l’exception qui confirme cette hypothèse.

Nous avons pu voir combien la féminité de Marianne est naturelle ; son visage est expressif et ses formes généreuses. La vierge est à l’opposé de Marianne, alors on imagine cette vierge de Sceaux tout en retenue et humilité, très grande car mesurant 1m90. Elle a beaucoup impressionné ceux qui ont pu l’admirer par sa pureté de ligne, accentuée par la blancheur du marbre de Paros154.

Nous aurions aimé retrouver cette œuvre mais elle se trouve a priori dans une collection privée.

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