• Aucun résultat trouvé

L’Ariège et la Garonne

A L’hommage aux grands hommes

3. L’Ariège et la Garonne

67

En 1890, Joseph Thillet, propose la construction d’une fontaine sur le mur de clôture entre les deux facultés de Médecine et de Pharmacie construite par lui-même trois ans plus tôt. En juin 1893, la maçonnerie de brique et de pierre est achevée, Thillet propose de loger dans cette niche un groupe représentant L’Ariège et la Garonne. Il suggère à la commission des grands travaux d’employer Alexandre Laporte, élève de Falguière. L’architecte et le sculpteur se connaissent bien car Laporte a déjà réalisé un des deux frontons de la faculté de Médecine et de Pharmacie. Thillet est un membre influent de la vie politique locale : il est architecte du département, professeur à l’Ecole des beaux-arts et membre élu, de 1889 à 1894138, au Conseil de

perfectionnement de l’Ecole. Il est né en 1850 comme Laporte.

En octobre, un compte à demi est demandé à l’Etat pour financer l’œuvre. En 1895, le sculpteur demande que la pierre de Pons, initialement prévue soit remplacée par la pierre de Tercé, demi-dure en provenance du Poitou, moins onéreuse et plus résistante au gel mais aussi plus difficile à travailler139. La maquette réalisée par

Alexandre Falguière, a été retrouvée dans l’atelier de Laporte et se trouve aujourd’hui au Musée du Vieux Toulouse. Celle-ci est bien différente de l’œuvre finale : En effet, sur l’esquisse de Falguière on peut voir deux personnages debout, l’un de face et l’autre de dos.

Sur l’œuvre finale, Laporte a choisi de représenter La Garonne de face et L’Ariège modestement agenouillée à ses pieds. Laporte en 1893, est un des chefs de file de la sculpture toulousaine. Il est probable qu’il n’ait pas souhaité suivre à la lettre le modèle du maître, il a certainement voulu garder la paternité de l’œuvre. Les deux œuvres ont en commun, les arabesques baroques, chères à Falguière, le maître. On voit l’allégorie de La Garonne écartant de ses bras la roche des Pyrénées où elle prend sa source. L’Ariège agenouillée verse son eau via une cruche symbolisant son

138

HOPMAN Vincent, Joseph Thillet, architecte…,op.cit.

139

Fontaines toulousaines, Archives municipales de Toulouse, exposition du 19 septembre au 27 décembre

68

rôle d’affluent. Les deux allégories sont très différentes l’une de l’autre, l’artiste a voulu jouer de ce contraste.

La Garonne est puissante, ses formes sont amples comme chez Michel-Ange. L’artiste joue sur la nuance entre la pierre grossièrement épannelée et les corps lisses des statues. C’est Rodin qui a le plus joué sur ces contrastes, brut contre poli jusqu’à la brillance140.

La puissance de La Garonne est rendue par la poussée des bras aux muscles apparents mais aussi par l’aspect sauvage de sa chevelure. Les longs cheveux, jaillissent et se mêlent aux cascades de rochers tandis que le haut de la niche est recouvert de bandeaux de pierre en éventail. Tout se mêle et donne un effet mouvementé à l’œuvre. La Garonne a un beau visage, au nez droit, aux lèvres pulpeuses qui regarde droit devant elle. Les pupilles sont creusées, pour créer la vie. Les hanches larges, la poitrine généreuse, elle pousse la roche de son corps tout entier. Son pied gauche est bien planté dans le sol, tandis que sa jambe droite est cachée par un lourd tissu, sur lequel repose timidement la main de L’Ariège. Celle-ci possède un corps plus frêle, de jeune fille, on voit son profil grec, lever les yeux pleins d’admiration vers La Garonne. Ses cheveux sont coiffés en chignon aux longues mèches retombant harmonieusement dans son dos. Son visage très classique est plus impersonnel et ses pupilles sont à peine creusées. L’aspect trop classique que pourrait avoir son visage est atténué par un coup de griffe donné par l’outil du sculpteur sur le visage de L’Ariège141. De sa main droite elle retient la

cruche qui verse un mince filet d’eau.

Ce renouveau baroque dans le traitement de la chair et du mouvement, sont inspirés par Rude et Carpeaux142. Carpeaux était l’ami de Falguière à la villa Médicis. Très

140

LENORMAND-ROMAIN Antoinette, Rodin, Paris, Flammarion, 1997. 141

Il semblerait que la restauration du groupe en 2012 ait un peu gommée ces stries sur le visage de l’Ariège, voir illustration p 208.

142

PEIGNE Guillaume, La sculpture néo-baroque en France de 1872 à 1914, thèse sous la direction de Bruno Foucart, Paris Sorbonne, 2005.

69

influencé par Michel-Ange, Carpeaux se rendait fréquemment à la chapelle Sixtine. Ce sont les damnés qui l’ont inspiré pour les formes torsadées de son Ugolin.

En 1982, l’administration municipale de Toulouse décide de restaurer le monument qui perd sa fonction de fontaine et devient uniquement décoratif. Elle est aujourd’hui placée sur un mur pignon de la place Lafourcade (166 Grande rue Saint-Michel). On a rajouté une illumination nocturne et un toit en tuiles creuses. En 1998, la pierre est traitée afin de la sauvegarder.

Depuis L’Ariège et la Garonne a encore souffert des intempéries. Les manques attiraient le regard du spectateur et une nouvelle restauration a été réalisée en 2012, par la ville.

La force de ce groupe vient aussi de sa grande simplicité, de son manque d’effets décoratifs. Ici pas de drapés virevoltants, ni de grande expressivité. A part, le traitement de la roche, le tout est très sobre. Cette simplicité, caractéristique de l’art antique, redeviendra à la mode après 1905 avec Maillol. A côté de l’exubérance de l’art moderniste des années 1905 à 1940, il y a aussi une aspiration à un art classique, lui aussi riche en productions. Pour comprendre cette renaissance classique, il faut voir La Méditerranée de Maillol présentée au Salon d’Automne de 1905. Maurice Denis saluait ainsi La Méditerranée :

C’est cette statue classique qui est l’œuvre d’art la plus neuve de tout le Salon d’Automne. Admirons-là ; et apprenons d’elle le néant des subtilités143.

143

JARASSE Dominique, « Retour à l’ordre ou Retour de Rome ? Le maniérisme des Prix de Rome dans l’entre-deux-guerres » dans Du Romantisme à l’Art Déco, lectures croisées, sous la direction de Jean-François Luneau, Université de Rennes, 2011, p 259.

70