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Une science jeune

Dans le document Histoire de la géographie au Québec (Page 52-55)

Livre II Les caractères généraux de l’évolution de la géographie québécoise

Chapitre 1 Une science jeune

Il faut rappeler avant toute chose le caractère récent de la géographie au Québec. M. Dagenais le soulignait en 1953 : « les principaux responsables des tendances données à l’enseignement géographique sont relativement jeunes, en grande partie des moins de quarante ans. Ils n’ont pas l’avantage de s’appuyer sur les travaux accomplis ou amorcés par la génération

précédente. Avec le prosélytisme du jeune apôtre, ils dépensent une bonne partie de leur énergie à combattre des préjugés, à vaincre des difficultés matérielles, à poser les fondements de l’édifice et à former des successeurs qui assureront la pérennité de la discipline. Ils

sacrifient souvent du même coup la délicate satisfaction personnelle et l’auréole que seuls des travaux de recherche d’envergure peuvent apporter aux scientifiques »109.

La lourdeur des tâches d’enseignement incombant aux premiers géographes universitaires de la province se mesure à l’état de la géographie dans l’enseignement secondaire, dans tout le Canada : en 1950 encore, dans l’étude qu’il réalisé pour le Canadian National Science Research Council, D. Stamp110 déplorait « the neglect of geography in Canadian high schools » – et il est vrai aussi « the similar, even worse, position in the United States » ! La géographie en effet souffrait de son association à l’histoire dans l’enseignement global des « social studies », les enseignants formés surtout à l’histoire négligeaient la géographie. Au Canada prévalait encore un système d’enseignement rigide, avec manuel imposé. Selon Dudley Stamp, on enseignait surtout une géographie des « caps et des baies », insistant sur l’effort de mémoire plus que sur la compréhension des relations.

Certes à l’époque tous les responsables sont persuadés de la nécessité d’un changement. Mais les générations d’étudiants qui arrivent à l’Université ont tout à apprendre. Cela pourrait n’être pas trop grave si le personnel universitaire était en nombre suffisant. Or, le manque d’enseignants a longtemps été le problème majeur des départements de géographie,

expliquant l’appel systématique à des professeurs invités et le recours à des enseignants de spécialités voisines, sciences naturelles par exemple. Les enseignants canadiens, promus souvent très tôt à des postes astreignants, submergés de tâches administratives, n’ont parfois pas terminé leurs études et surtout leur recherche (par exemple F. Grenier, L. Trotier n’ont pas complété leurs études de doctorat). Cette « maladie de jeunesse » rend compte en partie du petit nombre des thèses de doctorat (une dizaine de Ph D seulement ont été soutenus à Montréal depuis la création du département).

Si la situation s’est améliorée à Montréal et à Laval, où la plupart des professeurs ont au moins un Ph D, un petit nombre de chargés d’enseignement n’ont encore que la maîtrise. A MC Gill, des étudiants gradués deviennent souvent « lecturer » ou « assistant professor » tout en préparant leur Ph D. Le fait est encore plus sensible dans les nouvelles universités de Sherbrooke et du Québec, où le tiers ou la moitié seulement des enseignants possèdent le Ph D. Un cinquième n’ont que le B.A. à l’Université du Québec – cette dernière a dû recruter

109

- DAGENAIS P. : art. cité.

110

- STAMP D. : Geography in Canadian universities. Ottawa, Canadian National Science Research Council, 1951, 75 p.

rapidement pour ses établissements dispersés dans tout le Québec et n’offre encore

d’enseignements qu’au niveau du premier cycle. Mais la moyenne des âges des enseignants, qui s’échelonnent entre 25 et 48 ans, n’y était que de 32 ans en 1972111.

Une certaine stérilisation de la recherche a donc résulté de la nécessité d’imposer de trop lourdes tâches d’enseignement à de jeunes géographes. Il s’y ajoute la multiplicité des responsabilités administratives – la rapide succession des directeurs de département à

Montréal en est une illustration – ou « professionnelles », comme le montrera plus loin l’étude de la participation des géographes universitaires à des travaux pour les commissions

gouvernementales ou le secteur privé (voir livre III).

Une autre conséquence de cette situation est l’établissement à l’intérieur des départements, de relations entre collègues peu habituelles. Dans un modèle traditionnel de l’Université, l’on s’attend à trouver des « patrons » et un certain clivage « chronologique » dans des équipes de chercheurs d’âge et de niveaux de compétence nettement hiérarchisés : or à Montréal en 1969 par exemple, on trouvait parmi les enseignants jusqu’à cinq niveaux de rapports professeur- étudiant (l’un ayant enseigné à l’autre qui a enseigné le suivant, etc…). Selon certains, cette confrontation de gens du même âge favorise la jalousie, les clivages d’ordre politique, et l’absence de hiérarchie ne permet pas que se détache un leader. D’autres voient là une des raisons de l’absence d’« école » de géographie proprement québécoise, faute de l’existence d’un « patron » qui ait pu en être le chef de file. Le problème est ressenti avec plus d’acuité à Montréal et sans doute dans les universités nouvelles qu’à Laval, où M. Hamelin a tenté de coordonner les activités du département, ou qu’à Mc Gill où des professeurs plus âgés assument la direction, et où de toutes façons le style anglo-saxon l’emporte dans les rapports humains.

Ces géographes dans l’ensemble assez jeunes, surtout dans les premiers temps de l’histoire des départements, sont confrontés dans leurs activités de recherche à une discipline toute récente : en 1957 L.E. Hamelin écrivait : « Malgré les travaux fondamentaux de M. R. Blanchard sur l’Est, le Centre et l’Ouest du Québec méridional, nombreux sont encore les problèmes géographiques canadiens qui attendent leur première génération de chercheurs. Il en est particulièrement ainsi dans le Québec qui n’est pas laurentien, c’est-à-dire à la fois le Québec central ou subarctique et le Québec Nord ou arctique. Pour ces régions, aucune synthèse géographique ; l’on en est encore soit à la simple reconnaissance de grandes régions à l’aide des photographies aériennes – soit à l’examen d’un site local ou d’une question précise »112.

Non seulement les travaux d’envergure manquent en géographie, mais aussi les analyses fondamentales dans la plupart des sciences sociales : ainsi le colloque organisé en 1962 par le département de sociologie de Montréal et publié dans la revue Recherches

Sociographiques113, insiste par exemple sur la rareté des études démographiques. Les recensements ne sont pas exploités, les structures de l’emploi et des activités

socioprofessionnelles sont mal connues, bien souvent, une phase obligatoire de la recherche, et l’absence de références générales a freiné, de façon cumulative, son développement.

L’état lacunaire de la documentation est particulièrement ressenti par les cartographes, lors de la collecte des données préalable à l’établissement d’une carte : les études de base n’ayant été réalisées que pour une paroisse ou un comté ici et là, la couverture d’une région complète sans extrapolation est difficile114.

111

Source : Répertoire de la géographie canadienne. Ottawa, Comité National Canadien de Géographie, 1972.

112

HAMELIN L.E. : les tourbières réticulées… C.G.Q., oct. 1957, n°3.

113

DUMONT F., MARTIN Y. : Etat de la recherche sur le Canada français. Recherches sociographiques, 1963.

114

Même les matériaux cartographiques fondamentaux ont manqué quelque temps : en 1958 20% seulement de la superficie du Québec était couverte par les cartes géologiques115. Il a fallu un certain temps également avant que soient éclaircies toutes les contradictions entre les nouvelles cartes topographiques et les tracés des arpenteurs dont les erreurs n’avaient pas toujours été rectifiées sur le terrain.

Ces documents de base ont fait principalement défaut aux premiers géographes qui – pour leur enseignement ou en guise d’introduction à leur recherche – souhaitaient donner une vue d’ensemble d’une question : ainsi P. Dagenais, dans une contribution à un ouvrage sur

l’agriculture de la province de Québec écrivait en 1943 : « le climat de la province de Québec n’a pas encore été l’objet d’une étude d’ensemble approfondie. Une telle étude suppose un long et pénible travail préliminaire de calculs de moyennes et d’observations sur le terrain que nous n’avons pu faire qu’en partie. Loin de nous, donc, l’ambition de présenter ici un travail décisif »116. Plus tard, des géographes devaient s’atteler à ce « travail de bénédictin », comme J.J. Boisvert en 1964 dans ses « Données climatologiques pour les postes météorologiques choisis de la province de Québec ».117

On pourrait multiplier les exemples. Cette jeunesse n’est toutefois pas toujours conçue comme un handicap : ainsi des techniques très modernes ont pu être adoptées d’emblée, pour la cartographie topographique par exemple qui s’est faite au Canada directement à l’aide des photographies aériennes118 après la guerre. Même les études de géographie peuvent être stimulées par des conditions de nouveauté : « C’est surtout dans les pays neufs que la

géographie offre un intérêt pratique, on a besoin de connaître les « suggestions de la nature » et le géographe devient un ingénieur-conseil qui prépare la connaissance et l’humanisation des régions vierges ».119

Mais, qu’elle retarde les progrès ou stimule la recherche, la jeunesse est un état passager, qu’ont connu au début de leur existence toutes les écoles de géographie et qui ne saurait plus affecter durablement la géographie québécoise. Plus originale et sans doute plus persistante est la deuxième remarque que l’on peut faire à propos de cette géographie : elle a été très fortement marquée par des courants de pensée géographique venus de l’étranger.

115

Rapport général du ministère des mines de la province de Québec pour 1957. Compte-rendu par R. BERGERON, C.G.Q., 1958.

116

DAGENAIS P. : Le climat de la province de Québec, in L’agriculture, Etudes sur Notre Milieu, coll. dirigée par E. Minville. Montréal, Fides, 1943, 555 p.

117

Université Sherbrooke. Compte rendu dans R.G.M., 1964, n°1, p. 115.

118

HARE F.K. : Reexploration of Canada. C.G., 1951, n°4.

119

Dans le document Histoire de la géographie au Québec (Page 52-55)