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LE SCHEMA NARRATIF DU PREMIER ET DU TROISIEME ROMANS

2.1 Octubre, octubre

2.1.1. Présentation du premier roman de la trilogie. Réflexion sur l’ordre d’apparition des personnages

Chacun des dix-sept chapitres composant l’œuvre est divisé en deux parties qui relatent deux récits différents. La première partie, invariablement

intitulée en capitales d’imprimerie OCTUBRE, OCTUBRE, embrasse la période

s’étendant du lundi 2 octobre 1961 au samedi 29 septembre 1962. Ce titre est toujours suivi d’un sous–titre en minuscules qui, lui, change chaque fois. Cette première partie est elle-même subdivisée en trois sous-parties : Luis, Ágata et

Quartel de Palacio (Quartier du Palais), dont l’ordre varie : les chapitres peuvent

commencer aussi bien par les parties intitulée Luis que par celles qui sont nommées

Ágata ou Quartel de Palacio. Elle présente la vie de plusieurs personnages, les plus importants étant Luis et Águeda, qui se fera bientôt appeler Ágata, éponymes des sous-titres. Ils vont faire connaissance, se plaire, se séduire, se séparer, avant de se retrouver enfin. Luis, qui revient à Madrid après une longue absence, vient d’être engagé comme journaliste ; Ágata, professeur de physique, fêtera ses trente ans dans le roman. La troisième sous-partie, « Quartel de Palacio », ne fait pas allusion à un seul personnage mais à de nombreux habitants de ce quartier.

La deuxième partie de chaque chapitre, intitulée PAPELES DE MIGUEL

(PAPIERS DE MIGUEL), a également un sous-titre en minuscules, lequel est variable également. Elle commence début septembre 1975 pour finir fin juin 1977. Le lecteur

découvre avec stupéfaction, dès le premier chapitre, que ce Miguel est l’auteur des

pages concernant la première partie : Octubre, octubre. Cela contraint le lecteur à

une distanciation à l’égard des personnages qu’il vient de découvrir et qui ne lui semblaient être, en aucun cas, de simples rôles sur papier. Miguel est à la fois le protagoniste et le narrateur, homme vieillissant qui vit à Madrid et s’apprête à changer d’appartement. Il a beaucoup voyagé. Si la première partie culmine avec l’amour du couple, la dernière s’achève sur la vision que l’on devine, même si elle n’est jamais exprimée explicitement, de la mort de Miguel. Aucun des deux desseins n’est surprenant : le lecteur sait, depuis le début, que Luis et Ágata recherchent l’amour et que Miguel tend vers la mort qui lui apportera, enfin, la quintessence de l’Amour. Les

personnages sont tendus vers ce but depuis le début, ce qui était déjà le cas pour La

vieja sirena. Le suspense ne se situe pas vraiment dans les faits. Le lecteur connaît la nature des personnages et les liens qui les unissent. Ce qui intéresse sans doute José Luis Sampedro, c’est d’amener son lecteur à s’intéresser à quelque chose qui lui semble, assurément, plus important : le dénouement au sens vraiment littéral, à savoir comment un écrivain peut démêler les fils qu’il a lui-même savamment entrelacés.

Sur une première page du chapitre, le titre, en majuscules, n’est autre que le sous-titre, en minuscules, de la première partie (OCTUBRE, OCTUBRE). Le sous-titre du chapitre, en minuscules et italique, devient le sous-titre de la deuxième partie (PAPELES DE MIGUEL). Un exemple ne serait peut-être pas superflu.

Nous pouvons lire, à la page 59,

Chapitre 2. ¡BABILONIA, BABILONIA !

A la sombra de Magda (A l’ombre de Magda)

A la page 61, la partie 1961 a pour titre : OCTUBRE, OCTUBRE

¡Babilonia, Babilonia !

et, à la page 91, le titre de la partie 1975 est indiqué ainsi : PAPELES DE MIGUEL

A la sombra de Magda

Cette présentation préliminaire des titres et des sous-titres, qui apparaissent, par conséquent, deux fois dans chaque chapitre, contribue à dessiner une spirale qui s’allonge tout au long du roman.

Seule la première partie est de forme polyphonique : elle est à la première personne du singulier, mais le narrateur change, ce qui permet, souvent, d’avoir deux visions distinctes d’un même événement. Quant à la deuxième partie, le titre, avec son complément du nom, exprime bien l’appartenance : c’est la partie de Miguel. Lui seul s’y exprime et il est sa principale source d’inspiration. Seul l’amour lui permet de s’ouvrir quelque peu à autrui.

Ce penchant pour l’introspection annihile, en partie, le rôle du lieu –qui ne varie pas beaucoup, tout tournant autour de Madrid- et de l’époque, moins présente que dans les deux autres romans.

Dans la première sous-partie, les personnages, qu’ils soient de première importance ou plus secondaires, sont très nombreux, d’autant plus que, outre les personnages du présent, apparaissent ceux du passé. Dans la seconde sous-partie, le narrateur étant toujours le même, les personnages, quoique nombreux, le sont beaucoup moins. Il est éclairant de voir comment l’auteur place ses pions sur l’échiquier narratif.

Octubre, octubre

Chapitre 1

Luis

Max apparaît, sous forme d’allusion : souvenir plutôt mauvais d’un proche trop sarcastique voulant l’écraser et le castrer,

puis 2ème fois : frère (et amant ?) de Marga

El padre Anacleto : mauvais souvenir lié à un prêtre enseignant d’une foi trop rigoriste pour être humaine

Marga : allusion, souvenir plutôt mauvais : elle s’est moquée de lui

Le concierge Teodomiro : présent, positif Tía Chelo : femme dure s’occupant sans amour, par devoir, du petit garçon qu’il était alors - Puis sa mort moquée par Max.

Souvenir qui concerne peut-être sa mère Tía Hélène, ses 3 enfants 1946 : bon souvenir

L’aveugle : souvenir

Águeda Don Rafael, le directeur : présent, honni.

Gloria : qu’elle ne nomme pas au début. Prénom et nom apparaissent plus loin, page 28 : Brunet de Lorca.

Gerta (Gertrudis) :souvenir, positif. Señor Urbano :présent, épicier

présence. Quartel de

Palacio

Pendant l’accident d’Águeda : pétrification de la scène ; une kyrielle de personnages, témoins de la scène, sont nommés.

Rogelio : tenancier du bar fréquenté par les personnages masculins.

Don Pablo : à plusieurs reprises ; occupation, cataracte.

Aquel hombre : Gil Gámez, sans doute, qui deviendra plus loin « el extraño hombre del

banco » (l’homme étrange assis sur un banc).

Beatriz : souvenir heureux et malheureux ; elle a passionnément aimé don Pablo, elle est morte de tuberculose.

Sa fille, María : présent et passé.

Doña Flora, dans la pensée de laquelle nous pénétrons : présent

Feli (l’aveugle) : présent

Curro, qui deviendra l’amoureux de Jimena : présent. Nous apprenons à la page suivante qu’il loge au rez-de-chaussée de chez Jimena, dans l’entrepôt de Mateo.

Jimena : fille des logeurs de Luis

Tere, Mateo : pour l’instant, nous apprenons seulement que Curro parlait avec eux

Don Ramiro : logeur de Luis et père de Jimena ; plus loin : Ramiro Gomes de Bozmediano ; présent.

Guillermo : présent. Aurait trouvé un locataire (Luis) à don Ramiro. Puis : son nom Lavilla, et c’est un parent éloigné de doña Emilia, la mère de Jimena.

Chapitre 2 Luis Ildefonso : présent et passé ; c’est le

concierge de l’immeuble, et il a connu les parents de Luis. Sa femme : Lorenza.

Madero.

Marga : désastre, sans doute sexuel = passé Tere : elle loge en face de chez Águeda ; présent

Águeda : celle de l’accident, loge au-dessus de chez don Ramiro, dans un studio ; présent Médisances entendues à propos de Gloria ou Claudia (il ne n’en souvient pas) : présent La tante Hélène était mariée avec l’oncle Augusto

Pablo a pour nom de famille Abarca

L’homme mystérieux s’appelle Gil Gámez +

métier et adresse + description :

renseignements donnés par le cabaretier à don Pablo ; présent

Un point commun entre Marga, Max et l’oncle Augusto : l’Occitanie.

Quartel de Palacio

Détails supplémentaires sur don Pablo, doña Flora : présent

Águeda A plusieurs reprises : Sor Natalia,

institutrice dans l’école privée que fréquenta Águeda : passé

L’oncle Conrado, juste nommé dans « la

fusta del tío Conrado » (la cravache de

l’oncle Conrado): passé.

« hija del rojo » (fille du rouge) : passé

Chapitre 3 Luis Aucun personnage nouveau.

Águeda Aucun personnage nouveau.

Quartel de Palacio

Roque : vécut avec Beatriz, mort pour ses idées anarchistes et pour fuir la vie sans celle qu’il aimait.

Papeles de Miguel

Chapitre 1 Allusion à Nerissa : passé

Luis-Ágata : allusion, puis mort : fiction (plusieurs allusions au cours du chapitre)

Mort de Miguelito : passé Hannah : passé

Tante Magdalena : passé Mort de Leonorcita : passé

Grossesse de Monique (sa femme) : passé Eduardo (mari de Nerissa) : passé

Chapitre 2 Tante Magda : passé

Allusion à son père : passé

Oncle Javier (mari de la tante Magda) : passé Hannah et Nerissa (par petites touches) : passé Madame Alberta : passé

Chapitre 3 Oncle Jacinto (frère du père et de la tante Magda,

mari de Claudia) : passé

Allusions à Luis, Ágata, don Pablo, Paco : fiction Allusions à Nerissa et Hannah : passé

Chapitre 12 A la fin du chapitre, Miguel fait la connaissance de

Pedro, qui travaille à l’hôpital que lui-même fréquente pour des problèmes respiratoires. C’est le cousin de sa logeuse, Eugenia : présent

Chapitre 13 Il fait la connaissance des enfants de Pedro,

Pedrito et Lucía, et de sa femme, Serafina.

Chapitre 14 A la fin du chapitre, Pedro lui propose ce qu’il

attendait : s’installer dans la petite pièce à côté de chez eux.

Chapitre 15 Changement d’orthographe : Serafina devient

Seraphita p.776

Il en ressort, tout d’abord, que tous les personnages font leur apparition, de manière directe ou indirecte, dès les premiers chapitres. Le plus souvent, ils se manifestent par allusions, sous forme de touches subtiles. Parfois, ils font l’objet d’un court récit, lorsqu’il s’agit d’un souvenir, ou bien ils nous sont présentés dans un dialogue, ce qui donne l’illusion au lecteur qu’il fait la connaissance des personnages en

même temps que le narrateur ou l’interlocuteur. L’auteur pose des jalons, les indices se préciseront au fil de la lecture et permettront d’avoir une connaissance plus approfondie des protagonistes.

Dans les premiers chapitres, Miguel est tourné exclusivement vers le passé ou ses œuvres de fiction. Peu à peu, le présent s’infiltrera dans le récit, pour jaillir avec force à partir du moment où il fera la connaissance de Seraphita, sa logeuse et amie qui sera son dernier amour. Il reste indiscutable que le passé est omniprésent dans le récit, aussi, dans un premier temps allons-nous analyser le rôle du souvenir dans la construction du schéma narratif. De grands pans de la mémoire surgissent-ils

comme dans La vieja sirena, nécessaires, tout au moins dans cette œuvre, pour la

construction de l’être ? Nous allons prendre pour exemple trois chapitres au hasard : le 1, le 5 et le 16. Nous observerons, dans un premier temps, les premières parties (« Octubre, octubre ») de ces trois chapitres, puis les deuxièmes parties (« Papeles de Miguel »), avant d’étudier le rapport éventuel entre les deux parties de chaque chapitre.

2.1.2. Le rôle de la mémoire dans la construction du récit : étude des chapitres 1,5 et 16.

Dans Octubre, octubre, la première partie -également nommée « Octubre,

octubre »- du premier chapitre s’intitule « En el principio el retorno » (Au début le retour) et s’ouvre clairement sur le sous-titre « Luis ». Elle est à la première personne du singulier. Le héros vient de se réveiller et, encore à la frontière entre le monde de l’onirisme et celui du réel, il se croit à Paris, chez sa logeuse. Il se répète des mots auxquels il tente de donner un sens. Serait-il en train d’essayer, comme Glauka, de reconstruire un passé mystérieux, antérieur à son étape parisienne ? Pour l’instant, il en parle lui-même, comme d’une vision récurrente, de même qu’il perçoit une haine presque palpable dont il serait l’objet. Ce mystère ne verra sa résolution que bien plus tard, au chapitre quatorze intitulé fort explicitement « El eunuco de

Solimán el Grande » (L’eunuque de Soliman le Grand) : il s’agira d’une situation que le

lecteur aura beaucoup plus de mal à admettre que la nature de sirène de Glauka. Elle n’est pourtant pas moins plausible ; elle est peut-être même moins invraisemblable et pourtant le lecteur n’y adhère pas un seul instant. Luis aurait eu une autre identité avant celle-ci.

attente de l’opération de la cataracte pour don Pablo, attente, mystérieuse, de Miguel, les analepses sont si nombreuses que s’attacher à les trier mène le lecteur à

un vertige temporel, comme le montre l’incipit51.

« Si abro los ojos se borrará todo, huirá este sueño, ¡y es revelador ! ¿shamán ? ¿semán ? tampoco era eso, ¡ no dejar escapar mi arcano entrevisto ! asomó ya en otros sueños, se aparecía el mismo lugar pero nunca estalló en las palabras, en ellos quiero decirme algo de mí, del fondo de mi pasado, ¿simán, simún ?…¡Simón, eso era ! seguro, Simón, ¿es…qué ? escrutar mi destino en ese abismo, ahora, ahora, antes de que madame Mercier toque el timbre y ahuyente la visión […] » (Si j’ouvre les yeux tout s’effacera, ce rêve s’évanouira, et comme il est révélateur ! shaman ? seman ? ce n’était pas cela non plus, ne pas laisser échapper l’arcane que j’ai entrevu ! il s’est déjà esquissé dans d’autres rêves, le même lieu apparaissait, mais il ne s’est jamais dévoilé dans les mots, dans ces rêves je veux me dire quelque chose de moi, du tréfonds de mon passé, siman, simun ? … Simon, voilà ! c’est sûr, Simon, c’est … quoi ? scruter ma destinée dans cet abîme, maintenant, maintenant, avant que madame Mercier n’appuie sur la sonnette, chassant ainsi la vision[…])

La phrase continue, et l’absence de ponctuation permet sans doute d’exprimer le cheminement tortueux de la pensée du personnage dont l’émotion apparaît dans la somme de points d’exclamation à l’intérieur de la phrase. Si nous examinons ce premier extrait, nous voyons la force du présent dans la répétition

notamment de l’adverbe de temps « ahora » (maintenant). Miguel s’accroche-t-il à ce

présent pour chercher une certitude et un apaisement ? Le présent apparaît de même

dans les verbes, comme le premier, « abro » (j’ouvre), puis « es » (c’est), mais au

milieu on trouve le futur « borrará » (effacera), qui sera bientôt suivi de l’imparfait

de l’indicatif « era » (était) et de l’infinitif atemporel « dejar » (laisser). Il est

curieux, en outre, de remarquer qu’il s’agit, ici, d’un « faux présent », puisque Miguel se croit chez madame Mercier alors que cette époque est révolue.

Cette divagation de l’esprit a lieu au moment du réveil, dans un moment flou où le sommeil n’a pas encore tout à fait laissé la place à une conscience claire, qui explique dans « un contexte appauvri », comme le nomme Boris Cyrulnik, qui explique en effet :

« Qu’elle soit sécurisante ou angoissante, l’émotion ne revient que dans des contextes appauvris : moments crépusculaires du réveil, ou du soir quand le jour décline, quand les volets se ferment et que la vie sociale ralentit ses pulsations. »52

Luis a beau tenter désespérément de ne pas se réveiller tout à fait, les souvenirs lui échappent inexorablement. La conscience ne peut effectivement pas l’aider à retrouver une identité enfouie antérieure à sa vie actuelle.

Ce passage, nous semble-t-il, montre déjà un processus important dans la recherche de l’essence de l’homme que poursuit l’auteur : comment démêler l’enchevêtrement des faits qui se déroulent dans l’esprit humain pour en faire un ensemble harmonieux et lourd de sens ?

51

Octubre, Octubre. Ibid. p.23.

52

En étudiant l’ensemble de ce premier chapitre, comme nous aurions pu le faire pour toute autre partie, nous pouvons compter, en ce moment d’écriture du 2 octobre 1961, environ dix allusions au passé et tout autant de retours au présent et deux projections dans un avenir non précisé. Le passé est clairement rejeté loin du présent par l’emploi, pour ne citer que quelques exemples, de l’adjectif démonstratif

« aquel » (ce), plusieurs fois utilisé53, des adverbes de temps comme « ahí » (là-bas)

54 ou de temps comme « nunca » (jamais) 55 . Nous ne saurions oublier les dates comme

« el cuarenta y seis » (en mille neuf cent quarante-six) 56.

Le rêve que Luis ne parvient pas à déchiffrer présente un aspect nébuleux qui est intimement lié au temps. Il fait l’objet d’une énigme dont la résolution est toujours repoussée par un leurre ou un effet dilatoire. Comme l’écrit Roland Barthes, « les termes herméneutiques structurent l’énigme selon l’attente et le désir de sa résolution. La dynamique du texte (dès lors qu’elle implique une vérité à déchiffrer) est donc paradoxale : c’est une dynamique statique. Le problème est de

maintenir l’énigme dans le vide initial de sa réponse »57. Les rares énigmes de ce

roman, qui reviennent de temps en temps pour « épaissir l’énigme en la cernant » 58

servent également de fil conducteur à l’œuvre. La révélation de l’énigme sera déterminante pour Luis.

Dans ce rêve, l’évocation du passé ne peut qu’être floue, puisqu’il ne lui revient que par bribes tout au long du livre et que Luis n’arrive à fixer ni dates, ni visages, ni noms précis. Quelle que soit l’importance que le lecteur accorde à la métempsycose, il a du mal à se laisser émouvoir par ce rôle d’eunuque endossé par Luis, qui s’avère son identité refoulée. Mais peut-être est-ce un rejet de notre part. En quelques paragraphes dont l’alinéa est toujours différent, le personnage nous entraîne tour à tour dans ce passé très lointain dont il essaie de retenir les images pour pouvoir l’appréhender, puis dans le Paris de cette fameuse Madame Mercier, sa logeuse. Il parle également de deux personnes, Magda et Max, qui seraient contemporains de l’époque de la logeuse et seraient responsables de la tentative de suicide de Luis vingt-cinq ans auparavant, lorsqu’il se jeta dans la Seine. Son retour à Madrid lui rappelle la tante Chelo de son enfance. C’est là que nous trouvons la phrase dont un extrait servira à fournir le titre :

« Pero ¡si esto es Madrid ! ¿estimuló eso el sueño, este retorno a mi origen ?»59 (Mais c’est bien Madrid ! Le rêve a-t-il stimulé cela, ce retour à mes origines ?)

La construction de la phrase, quelque peu compliquée, dénote le désarroi de

53

Octubre, Octubre. Ibid. p.18 et 21.

54

Octubre, Octubre. Ibid. p.18 et 21.

55

Octubre, Octubre. Ibid. p.18.

56

Octubre, Octubre. Ibid.. p.21.

57

BARTHES Roland; S/Z. Editions du Seuil. 1970. p.75.

58

BARTHES Roland. Ibid. p.62.

59

celui qui la prononce : le pronom démonstratif « eso » ne peut se rapporter qu’au sujet

rejeté après la virgule : « este retorno a mi origen » (ce retour à mes origines).

Cependant, l’adjectif démonstratif du groupe nominal sujet, « este », n’est pas en adéquation avec son pronom « eso », mais avec celui qui commence la phrase. Les trois démonstratifs ont pourtant le même référent, le lieu présent, le Madrid dans lequel Luis se retrouve maintenant. C’est le démonstratif parfait du « hic et nunc ». Luis se demande si le retour à Madrid est l’élément déclencheur de ce cauchemar récurrent, si, par conséquent, celui-ci ne plonge pas ses racines dans le Madrid de son enfance. Lecteur et personnage apprendront ensemble que, en fait, il s’agit bien de ses origines, mais bien antérieures à son identité actuelle. Son retour aux sources est donc un pas vers la solution, mais pas le pas définitif.

Tous les chapitres ont ainsi pour titre une citation tirée de leur corpus, ce qui confirme la présence du symbolisme du cercle : le chapitre tourne sur lui-même, intègre dans le titre une partie de son corpus et, tout ayant été ainsi rassemblé, la structure narrative peut avancer, le cercle devenant spirale.

Les souvenirs de Luis se mêlent dans son esprit et la confusion visible des alinéas ne fait que souligner sa propre confusion mentale. Les alinéas des paragraphes sont situés à des endroits très divers. Cette désorganisation si visible semble mettre en évidence le désordre mental du personnage évoqué, dont la mémoire court d’un souvenir à un autre, d’une époque à une autre.

De toute évidence, les premiers jalons temporels et narratifs sont posés, ici, dès les premières lignes : Luis opère sans cesse par sauts dans le passé, à des

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