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II. Quels futurs possibles pour la biodiversité en milieu agricole ?

1. Les scénarios, un outil de prédictions

Face aux changements globaux et devant des besoins croissants, la biodiversité et les services écosystémiques associés ont un devenir très incertain, avec des conséquences tout aussi incertaines sur les sociétés humaines. Récemment, la communauté scientifique a pris conscience qu’il y avait un besoin évident d'accroître notre capacité à prédire les conséquences des changements environnementaux. Sutherland a fait une synthèse des différentes méthodes utilisées pour faire des prédictions des conséquences écologiques des changements environnementaux (Sutherland, 2006). Parmi celles-ci on retrouve l’extrapolation, méthode utilisée par exemple par les modèles d’enveloppes climatiques (Thomas et al., 2004a). Ces modèles déterminent les conditions climatiques qui expliquent la répartition actuelle des espèces et ensuite utilisent des modèles climatiques pour prédire la région où ces conditions se rencontreront dans l'avenir (Huntley et al., 2004). L’un des avantages de l’extrapolation est sa simplicité, mais c’est également la faiblesse de l’approche. En effet des changements de conditions ou des comportements non-linéaires de la dynamique étudiée ne peuvent, le plus souvent, pas être pris en compte par les extrapolations, qui sont par conséquent des approches souvent insatisfaisantes (incertitudes non négligeables) dans le cas des problèmes complexes (Sutherland, 2006). De ce fait, ce type d’approche est souvent utilisé en combinaison avec d’autres méthodes de prédictions écologiques telles que les scénarios.

Les scénarios quantitatifs, en particulier, deviennent un outil majeur pour évaluer l’impact des trajectoires futures de développement socio-économique sur la biodiversité et les services écosystémiques (Pereira et al., 2010). Les projections de trajectoires futures plausibles de la biodiversité, que nous appelons, au sens large, scénarios de biodiversité, sont généralement basées sur le couplage de plusieurs composants complexes (Figure 17). i) Des scénarios socioéconomiques de diverses trajectoires possibles de développement des sociétés humaines, comme par exemple les scenarios d’émissions de gaz à effet de serre développés par le GIEC - Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (voir Encart 6, Figure 18) ; ii) des projections des effets de ces trajectoires sur les pressions majeures exercées sur la biodiversité , comme par exemple les changements d’occupations des sols grâce au modèle IMAGE (Encart 7, Figure 19); iii) des projections des impacts de ces pressions sur la biodiversité,

le fonctionnement des écosystèmes et les services écosystémiques associés, comme par exemple les modèles d’enveloppe climatique (abordés ci-dessus).

Figure 17. Présentation des méthodes et des modèles couramment utilisés pour la construction de scénarios de biodiversité (Pereira et al., 2010). Certains modèles incluent plusieurs composantes de cette figure, c’est le cas par exemple du modèle d'évaluation intégrée IMAGE (Alcamo et al., 1994). Les flèches noires indiquent les principaux liens considérés dans les scénarios de biodiversité. Les flèches grises en pointillés indiquent les liens qui sont absents dans les scénarios actuels de biodiversité. Dans certains cas, les impacts sur les services écosystémiques peuvent être médiés par des changements de condition abiotique des écosystèmes (flèche fine des facteurs directs vers les services écosystémiques).

Les scénarios peuvent donc être un outil utile pour examiner les meilleures réponses à l'évolution des mondes complexes avec de multiples inconnues. Ses défenseurs suggèrent qu’ils favorisent la pensée générale, améliorent la capacité de réagir au changement plutôt que

Encart 6 . Les différents scénarios d’émissions de gaz à effet de serre (SRES - IPCC)

La famille de scénarios A1 décrit un monde futur dans lequel la croissance économique sera très rapide, la population mondiale atteindra un maximum au milieu du siècle pour décliner ensuite et de nouvelles technologies plus efficaces seront introduites rapidement. Les principaux thèmes sous-jacents sont la convergence entre régions, le renforcement des capacités et des interactions culturelles et sociales accrues, avec une réduction substantielle des différences régionales dans le revenu par habitant. La famille de scénarios A1 se scinde en trois groupes qui décrivent des directions possibles de l'évolution technologique dans le système énergétique. Les trois groupes A1 se distinguent par leur accent technologique : forte intensité de combustibles fossiles (A1FI), sources d'énergie autres que fossiles (A1T) et équilibre entre les sources (A1B)*. * "Equilibre" signifie que l'on ne s'appuie pas excessivement sur une source d'énergie particulière, en supposant que des taux d'amélioration similaires s'appliquent à toutes les technologies de l'approvisionnement énergétique et des utilisations finales.

La famille de scénarios A2 décrit un monde très hétérogène. Le thème sous-jacent est l'autosuffisance et la préservation des identités locales. Les schémas de fécondité entre régions convergent très lentement, avec pour résultat un accroissement continu de la population mondiale. Le développement économique a une orientation principalement régionale, et la croissance économique par habitant et l'évolution technologique sont plus fragmentées et plus lentes que dans les autres scénarios.

La famille de scénarios B1 décrit un monde convergent avec une population mondiale culminant au milieu du siècle et déclinant ensuite, comme dans le canevas A1, mais avec des changements rapides dans les structures économiques vers une économie de services et d'information, avec des réductions dans l’exploitation des ressources et l'introduction de technologies propres et utilisant les ressources de manière efficiente. L'accent est sur des solutions mondiales orientées vers une viabilité économique, sociale et environnementale, y compris une meilleure équité, mais sans initiatives supplémentaires pour gérer le climat.

La famille de scénarios B2 décrit un monde où l'accent est mis sur des solutions locales dans le sens de la viabilité économique, sociale et environnementale. La population mondiale s'accroît de manière continue mais à un rythme plus faible que dans A2, il y a des niveaux intermédiaires de développement économique et l'évolution technologique est moins rapide et plus diverse que dans les familles de scénarios B1 et A1. Les scénarios sont également orientés vers la protection de l'environnement et l'équité sociale, mais ils sont axés sur des niveaux locaux et régionaux.

Figure 18. Projections relatives au réchauffement mondial pour les différents groupes de scénarios (source : quatrième rapport du GIEC, 2007). Les courbes en trait plein correspondent aux moyennes mondiales multi-modèles du réchauffement en surface (par rapport à la période 1980-1990) pour les scénarios A2, A1B, A1 de SRES, dans la continuité des simulations relatives au XXe siècle. La courbe orange correspond au cas où les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère se maintiendraient aux niveaux de 2000. Les barres à droite de la figure indiquent les valeurs les plus probables (zone foncée) et les fourchettes probables selon les six scénarios SRES de référence pour la période 2090-2099 par rapport à 1980-1999. Ces valeurs et ces fourchettes tiennent compte des projections établies à l’aide des modèles de la circulation générale couplées atmosphère-océan (MCGAO) (partie gauche de la figure) ainsi que des résultats d’une hiérarchie de modèles indépendants et des contraintes liées à l’observation.

Encart 7 . Les scenarios de changements environnementaux globaux au 21e siècle

IMAGE est un modèle écolo-environnemental qui simule les conséquences environnementales des activités humaines à travers le monde. Il représente les interactions entre la société, la biosphère et le système climatique pour évaluer les questions de durabilité, comme le changement climatique, la biodiversité et le bien-être humain. L'objectif de la version 2.4 du modèle IMAGE (MNP, 2006) - utilisée dans les travaux de recherche de cette thèse - est d'explorer la dynamique à long terme du changement global comme le résultat de l'interaction des facteurs démographiques, technologiques, économiques, sociaux, culturels et politiques.

En regardant le haut du schéma de la Figure 19, nous voyons une description des principales forces motrices de base, incluant la démographie, l'approvisionnement énergétique et la demande, ainsi que la demande agricole, le commerce et la production. Tous ces facteurs affectent les systèmes terrestres, les cycles biogéochimiques, etc., à travers l'utilisation des terres et les émissions. Ensuite, des éléments importants dans la modélisation biophysique de la couverture terrestre et l'utilisation des terres sont également considérés, à savoir l’usage des sols, la couverture du sol contemporaine et historique, les cycles du carbone et de l’azote, suivi par le climat et la variabilité du climat, y compris ses interactions avec la couverture terrestre. Enfin, les données et les informations provenant du modèle IMAGE sont utilisées comme entrée pour des outils d’exploration politique plus large, pour évaluer par exemple la biodiversité mondiale (modèle GLOBIO3, Alkemade et al., 2009) ou pour analyser des stratégies et des politiques mondiales d’atténuation des changements climatiques (voir par exemple den Elzen and Lucas, 2003).