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Section 2. Stratégies et manoeuvres des acteurs professionnels

2.1. Les scènes de consensualisme local

Dans cette partie du texte, nous allons étudier le discours des membres du dispositif mais également deux articles de journaux concernant les CISPD de la C.C.J et de Pont-à- Mousson. Nous pourrons alors constater qu’autour du CLSPD gravite une rhétorique valorisant le consensus.

2.1.1. Des discours producteurs de consensus

Nous avons vu dans la section précédente, que le contrat permettait la tenue d’arènes,

de scènes de débat public qui enclenchaient le partenariat. La tenue de différentes arènes

locales due à la localisation des politiques contractuelles se traduit donc par des échanges de perspectives, des alliances locales et des reconnaissances mutuelles. Les échanges sont accompagnés de discours valorisant le « consensus », « le partenariat », etc. Jacques De Maillard interroge cette inflation discursive. « Ne63 faut-il pas y voir une rhétorique légitimante s’inscrivant dans une recherche de production de sens et d’attachement collectif, nécessaire au pilotage contemporain de l’action publique ? » ; il s’agit pour l’auteur de

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Jacques de Maillard, Réformer l'action publique. La politique de la ville et les banlieues, Paris, LGDJ (Collection droit et société), 2004

considérer que cette politique correspond à « des modalités d’organisation de compromis plus

qu’à la mise en place d’un illusoire consensus local. », (De Maillard, 2004 : 188). En effet,

les coopérations territorialisées s’accompagnent de discours qui amplifient certains traits et en minimisent d’autres. « D’un côté, le caractère collectif, consensuel, participatif de l’action

menée est valorisé. De l’autre, les aspects hiérarchiques, les filtrages, les controverses dont ces politiques doivent faire l’objet sont atténués. », (De Maillard, 2004 : 189). Ces discours

ont en commun de nier les éventuels conflits, de souligner le caractère élargi du partenariat mobilisé et d’accentuer les synergies territoriales. Selon l’auteur, ils se structurent en trois topiques : la participation, le consensus et le territoire.

La première thématique, la participation, souligne l’ouverture dont fait preuve le dispositif partenarial. Il valorise l’enrichissement mutuel, le conflit comme un élément moteur. « On se satisfait de ne pas être exclusivement entre techniciens, fonctionnaires et

élus. ». Ainsi, Jean Courcoux, maire de la commune de Labry et Vice-président aux services

publics de la Communauté de Communes du Jarnisy se félicite d’avoir composé un CISPD avec des membres aux sensibilités et aux statuts différents.

« La force du CISPD c’est quand même de réunir des

habitants, des directeurs d’asso, le Commissariat, des technocrates etc. […] C’est sûr tout le monde ne sera pas d’accord tout le temps surtout au début, mais au moins ça fera discuter. […] Ah oui, il est plus facile de se réunir à trois et de décider pour tout le monde mais ce n’est pas dans l’air du temps. »

De même, madame Marie-Christine Pernin, directrice du CISPD de Pont-à-Mousson, durant l’entretien, avait tendance à valoriser les projets qui étaient issus de partenariat qu’elle qualifiait « d’étendu ». En revanche, les difficultés qu’elle pouvait rencontrer lors de la définition d’un projet n’apparaissaient pas. Seule la participation active et consensuelle des partenaires était perceptible dans le discours de la directrice.

« Bon, le projet sur la prévention des dépendances et des

comportements à risque, c’est six mois de coordination, des coups de téléphone par dizaines etc ; mais au final on est arrivé à fédérer l’ensemble des partenaires et à créer un réseau étendu.

[…] Bien évidemment, les discordes étaient nombreuses et certaines persistent encore aujourd’hui notamment sur la définition des comportements à risque. […] Mais en même temps c’est ce qui dynamisme le réseau. »

La seconde thématique de cette rhétorique est le consensus qui tend à souligner le caractère collectif et non conflictuel du dispositif partenarial. Les acteurs mettent en avant dans leur discours les finalités du dispositif. Selon Jacques De Maillard, cette action s’accompagne de la constitution d’une culture politique de la ville. « Une identité64

collective dépasserait les différentes appartenances individuelles, provoquant ainsi des modes de coopération territorialisée entre les différents protagonistes. », (De Maillard,

2004 : 189). On retrouve l’idée développée précédemment qui énonçait le fait que les hiérarchies, les filtrages, les controverses sont niées dans les discours. Dans ce sens, Marie- Christine Pernin, directrice du CISPD de Pont-à-Mousson, interprète l’ensemble des rigidités qu’elle peut rencontrer dans la démarche partenariale « non pas comme des freins, mais

comme des coups d’accélérateur ».

Questions : Comment gérez vous les différents conflits entre les partenaires, j’entends par conflits par exemple les concurrences entre associations et institutions.

M.C Pernin : « je ne considère pas les concurrences entre associations comme des conflits, c’est le jeu politique. Mais globalement le CISPD tourne bien. Chacun y à trouvé sa place et on est tous dans le registre du faire ensemble mieux que tout seul. »

De même on retrouve dans le diagnostic local de sécurité du CISPD de la communauté de communes Jarnisy, le caractère collectif et consensuel du dispositif. Ainsi il est écrit que l’objectif est de parvenir à « favoriser65 l’enrichissement mutuel des intervenants en échangeant sur les actions effectuées. Ces échanges doivent avoir pour objectifs de décloisonner les pratiques professionnelles et de dégager des projets fédérateurs derrière lesquels le consensus existe mais la coordination manque. ». De plus, les partenaires eux-

mêmes vont être dans la valorisation du consensus et de la mutualisation. Ainsi dans les fiches

64 Ibid 65

de présentation des différents membres du CISPD du Jarnisy, Monsieur Romuald Gueusquin, directeur adjoint du C.I.A.S66 de la C.C.J, évoque les notions de mutualisation, de coordination, etc. Or, comme nous le verrons par la suite, la mise en place de projets concernant une multitude d’acteurs entraîne bien souvent des rivalités, des concurrences et donc un risque de déclassement pour les structures.

« Le développement67 d’échanges et de liens entre les structures pourrait être un bon commencement dans l’objectif d’une mutualisation des efforts de chacun. La mise en place du C.I.S.P.D pourrait permettre d’instaurer une instance de coordination afin de rendre cohérentes et pertinentes les actions mise en œuvre. ».

Enfin, le troisième topique des discours qui forment cette illusion du consensus local s’articule autour des dynamiques et des synergies territoriales à l’œuvre. C’est la spécificité du territoire qui se trouve pointée. La réussite de l’action entreprise repose sur un ancrage spécifique au territoire local. Pour Jacques de Maillard, « ce pourvoyeur d’identité, d’attachement collectif, génère des logiques d’actions, compatibles au sein de l’espace urbain. », (De Maillard, 2004 : 189). Le territoire devient « référentiel » et permet le

rassemblement des différents partenaires, il unit. Le territoire parfois permet également de dépasser certaines oppositions. Dans ce sens, nous lirons avec une attention particulière le discours d’André Okon, directeur du club jeune SNCF, qui réside depuis sa naissance à Jarny et qui porte un fort attachement à l’identité de ce territoire et à son patrimoine.

« À la limite, ce que je trouve bien dans le CISPD c’est

que au moins, c’est des gens du Jarnisy. Si tu ne connais pas l’histoire de Jarny, tu ne peux pas travailler, sur l’équilibre des ados. Il faut comprendre l’effet qu’a produit la fermeture des mines, des relais SNCF. […] C’est pour ça que je viens aux réunions, on a une légitimité à parler ensemble des problèmes du territoire. »

66

Centre Intercommunal d’Action Sociale 67

Romuald Gueusquin, directeur adjoint du CIAS de la CCJ in Diagnostic Local de Sécurité, du CISPD de la CCJ, Julien Ginoux, Juin 2007

Dans le même ordre d’idée, nous retrouvons la pensée du Vice-président aux services publics. Ce dernier évoque le fait que la priorité pour tous les acteurs du CISPD, ne serait-ce qu’en fonction de leurs objectifs professionnels respectifs, est de contribuer à un développement harmonieux du territoire. Dans ce sens, les oppositions n’ont plus de sens et s’effacent au profit du territoire. Le Vice-président, également maire d’une commune de la communauté de communes compare les collaborations au sein du dispositif CISPD aux collaborations entre les maires de la communauté de communes du Jarnisy.

« Je sais que tous les professionnels sont dans plusieurs partenariats. Mais au final leur boulot, c’est de travailler au développement du territoire et je ne pense pas que les oppositions même entre Le Gouverneur (service jeunesse de la ville de Jarny) et Okon (directeur du club jeune SNCF) cassent le truc. […] C’est comme en bureau communautaire, on n’est pas tous d’accord mais on s’arrange. On fout pas en l’air la communauté de communes. […] (Si on le faisait) on serait certainement tous perdants »

Nous retiendrons donc que les contrats ne sont pas de simples documents techniques qui récapitulent des objectifs communs et échelonnés sur un calendrier. Pour Jacques de Maillard, « ils sont imprégnés par une représentation implicite, effaçant la conflictualité et

valorisant les stratégies collectives des acteurs institutionnels et opérationnels. Au travers des termes synthèse, mise en œuvre conjointe, stratégie concertée, engagement commun, se construisent de nouvelles façons de dire l’action publique contemporaine. », (De Maillard,

2004 : 190).

2.1.2. Les articles de journaux comme porteurs de la doxa

consensualiste

Nous allons à présent, nous intéresser aux articles de journaux concernant les CISPD du Jarnisy et de Pont-à-Mousson. Nous verrons que ces derniers font fi des conflits, des concurrences, mais concourent à la production d’une doxa consensualiste. Pour commencer, regardons le titre de l’article publié à l’occasion de la mise en place le 19 décembre du CISPD

du Jarnisy. « Élus68, professionnels et État mutualisent les moyens d’action ». L’article se

poursuit en rappelant que le CISPD aura un « rôle d’avis, de conseil mais pas de décision ». Pour le journaliste, la séance plénière a été « une occasion pour chacun de livrer leur vision

de la société actuelle dans le prisme de l’exercice de leur métier ». A plusieurs reprises, nous

pouvons noter que l’article s’appuie sur le champ sémantique du consensus, de l’accord. « Propos confirmés par le préfet», « sur la même longueur d’onde le Président

Zanardo a poursuivi », « à l’issue d’un premier tour de table, une évidence s’impose à tous »,

« avis partagé par Jean-Paul Burkic, inspecteur de l’éducation nationale », « confirmation de

Thierry Le Gouverneur du service jeunesse ».

En ce qui concerne Pont-à-Mousson, nous citerons, suite à un entretien avec le Président du CISPD, les phrases reprises par le journaliste et mises en gras dans son article69 : « en finir avec la fâcheuse habitude de travailler chacun de notre côté », « nous

avons mis un réseau sur le secteur et le CISPD collabore avec l’ensemble des intervenants »,

« c’est vraiment un travail en commun », « je pense que le mieux serait de travailler

ensemble ».

2.2. Une mobilisation partenariale construite sur la plasticité des