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savant et diplomate brésilien, discours prononcé devant

la Conférence générale de

l’Unesco à Montevideo, le 16

novembre 1954.

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Scientifique positiviste, inspiré par la pensée d’Auguste Comte, Paulo de Berrêdo Carneiro a participé activement à la fondation de l’Unesco, auprès de laquelle il a occupé pendant de nombreuses années le poste de Délégué permanent du Brésil. Il a notamment contribué à la sauvegarde des monuments de Nubie et au vaste projet d’édition de l’Histoire du développement scienti- fique et culturel de l’Humanité. Ses engagements au Brésil, notam- ment pour la sauvegarde des cultures des peuples autochtones, illustrent et reflètent ses convictions humanistes.

En 1954, la Conférence générale de l’Unesco se tient à Montevideo, capitale de l’Uruguay. Paul de Berrêdo Carneiro y intervient en tant que représentant du Brésil.

« Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, l’Unesco, en décidant de se réunir cette année à Montevideo, paye un tribut mérité aux vertus civiques, à l’esprit international et aux grandes réalisations culturelles du peuple uruguayen.

Nulle part nous n’aurions trouvé une atmosphère intellec- tuelle et morale plus favorable aux accomplissements de notre travail. Tout, autour de nous, porte l’empreinte inspirante et anoblissante de la liberté. Tout, autour de nous, porte la pers- pective d’un avenir plus heureux pour l’humanité. Aux expres- sions de sympathie et d’admiration transmises au gouvernement d’Uruguay par tous les membres de cette assemblée, j’aimerais ajouter les salutations fraternelles de mon pays.

12. Source : Actes de la Conférence générale, Montevideo 1954, compte- rendu des débats pp. 112-114.

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Le programme proposé, présenté à cette assemblée par le Directeur général est, je pense, digne des plus grands éloges. […]

La délégation brésilienne soutiendra vos propositions avec le plus grand enthousiasme et approuve sans réserves l’augmentation budgétaire que vous proposez. […]

Il est malheureux que, du fait de ses ressources limitées, l’Unesco n’ai pas été en mesure encore de faire correspondre son programme aux besoins et aspirations de la plupart de ses États membres. La grande disparité entre nos ressources et nos buts, au lieu de diminuer, croît chaque jour de façon plus marquée.

[…] L’Unesco n’a pas encore atteint le seuil de son efficacité. Pour pouvoir exercer une influence quelconque sur le monde chaotique autour d’elle, elle doit étendre sa machinerie – ses ressources financières doivent être augmentées. […]

Le continent dont vous êtes les invités en ce moment, Mesdames et Messieurs, vous invite à considérer les problèmes d’éducation, de science et de culture sur une échelle correspon- dant à sa vaste étendue, ses stocks prodigieux de richesses inex- ploitées et sa population en augmentation rapide. Depuis nos champs, nos villes, nos usines et nos écoles, s’élèvent les accents du Cantique de l’Espoir que vous avez entendu jaillir des lèvres des étudiants, des ouvriers et des paysans d’Uruguay, le jour où notre session a été inaugurée : un chant de joie mais aussi une litanie chargée des souffrances des humbles et des obscurs.

L’Amérique du Sud offre les contrastes étranges et spec- taculaires d’un monde en devenir. Ses villes sont en train de pousser et de s’étendre avec une vitesse à couper le souffle ; sa population double d’une génération à la suivante ; un nouveau type d’homme, fort et vigoureux, émerge peu à peu du mélange des races et des peuples qui sont venus jusqu’ici depuis toutes les régions du globe, attirés par les richesses de son sol et par l’accueil amical qui les y attendait partout. L’Amérique du Sud est destinée à devenir l’un des plus vastes greniers du monde, et une source inépuisable de matières premières vitales pour toutes les sortes d’industries. Mais, derrière cet essor stupéfiant, derrière cette riche promesse pour l’avenir, il reste encore une masse d’ hommes, de femmes et d’enfants vivant dans le plus

complet dénuement, sans écoles, sans livres, sans professeurs, manquant de tout accès à l’éducation et à la culture, errant sur le bas-côté de notre civilisation et de notre époque. Dans beaucoup de nos pays, la moitié de la population ne sait ni lire ni écrire. Il est dans l’intérêt de nous tous, dans votre intérêt aussi bien que dans le nôtre, de les aider sans relâche à s’éduquer, à se former et à s’équiper, premièrement afin de leur permettre de mettre à contribution leurs capacités naturelles de valeur au service de la communauté humaine, et deuxièmement afin de les aider à exploiter leurs ressources naturelles.

Les mêmes besoins et les mêmes exigences existent, j’en suis conscient, dans de nombreuses autres parties du monde également – raison de plus pour les prendre en compte soigneu- sement en planifiant l’avenir.

Lorsque nous passons en revue les besoins culturels les plus urgents de tant de peuples et de régions et que nous les compa- rons avec les services insuffisants que nous pouvons leur donner, nous ne pouvons ressentir qu’une inquiétude aiguë. En effet, afin de vraiment porter ses fruits, chacun des grands projets de notre programme exigerait pour lui-même l’essentiel de nos ressources budgétaires. Les esprits critiques nous accusent d’élever des espoirs qui vont bien au-delà de nos possibilités de réalisations, et ils croient que nous somme condamnés à caresser des illu- sions, sans avoir rien à offrir au monde que de petits échantillons d’éducation, de science et de culture.

Devons-nous accepter un verdict si radical et nous résigner à l’inaction parce que le travail qui nous revient se révèle trop ardu ? Je répugne à le croire. La loyauté que nous devons à notre Constitution, les responsabilités qui pèsent sur nos épaules, et les dangers qui menacent une grande partie du monde, sans défense face à l’ignorance et à la pauvreté, font qu’il nous incombe de chercher un chemin de salut, quoi qu’il en coûte.

Il y a un an, le Président Eisenhower, dans un discours prononcé devant l’Assemblée générale de l’ONU, a parlé de la profonde inquiétude de son pays et de son gouvernement pour les besoins culturels de notre époque. En lien avec l’utilisation de l’énergie atomique pour des usages pacifiques, il nous a donné

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un aperçu des trésors culturels et de l’abondante richesse dont l’ensemble de l’humanité pourrait jouir si seulement la menace planant sur le monde était dissipée. Les mots du chef d’État américain méritent d’être enregistrés dans les Actes de cette Conférence, comme un message de réconfort et d’espoir.

Il est, hélas, encore trop tôt pour penser à abolir notre budget militaire pour financer le travail culturel pacifique dans lequel nous sommes engagés. Mais il pourrait déjà être possible pour tous les pays, l’Orient comme l’Occident, d’apporter leur contribution à la création d’un Fonds Culturel International visant à répondre aux véritables besoins du monde, concernant l’éducation, la science, la philosophie, les arts et les lettres, la formation technique et industrielle, les bibliothèques, les livres, les écoles, et les bourses de voyage et d’étude. Une somme équi- valente à seulement 1 % des budgets militaires actuels suffirait à mettre sur pied un fonds suffisant pour fournir à l’Unesco les outils pacifiques dont elle a besoin pour l’accomplissement de sa mission.

Permettez-moi, Monsieur le Président, de rappeler à cette assemblée d’hommes d’État, d’éducateurs, de sociologues et de scientifiques l’avertissement solennel qu’Artigas, un jour, a donné à ses concitoyens :

"La cause des peuples n’admet pas, Messieurs, le moindre retard".

Puisse cette Conférence générale suivre le conseil du sage fondateur de notre nation, et poursuivre son action constructive en allant de l’avant. […]

Nous ne pouvons pas perdre l’occasion offerte par cette Conférence de discuter le cœur de nos problèmes et de nous embarquer dans une action conjointe […]. Si ce débat est conduit avec la bonne volonté et la tolérance qui caractérise nos assem- blées, je suis confiant que la Conférence de Montevideo consti- tuera le berceau de notre renaissance. La création d’un Fonds Culturel International nous permettrait de nous préparer avec confiance à l’avènement d’une nouvelle ère caractérisée par des entreprises visant à remplir les vrais besoins de l’ humanité. L’équilibre entre les forces du bien et du mal, la vie et la mort,

l’espérance et le désespoir, serait ainsi rétabli. […] Avec seule- ment 1 % des ressources jusque là consacrées à cette folie de sa propre destruction, cela serait facile à l’humanité d’assurer le triomphe des buts et idéaux de notre Constitution, et de donner à des millions de laissés pour compte une vie matérielle et spiri- tuelle bien remplie, de même que nous-mêmes, avec la richesse de notre civilisation, nous sommes maintenant capables de l’offrir à tous, sans distinction de classe, de race, de croyance religieuse ou d’idéologie politique.

Cette victoire est à notre portée ; nous n’avons qu’à étendre les mains pour la saisir ».

Dans ce discours, Paulo de Berrêdo Carneiro développe de nombreuses pistes qu’a suivies l’Unesco jusqu’à nos jours. Ainsi, il évoque l’impératif de dialogue entre Orient et Occident : quelques années plus tard, en 1957, l’Unesco a lancé le « Projet majeur pour l’appréciation mutuelle des valeurs culturelles de l’Orient et de l’Occident », projet décennal qui durera jusqu’en 1966. De même, dans ce discours, Berrêdo Carneiro propose la création d’un « Fonds culturel international » : or, justement, en 2005, l’Unesco créera un Fonds international pour la diversité culturelle, pour mettre en œuvre la Convention sur la diversité culturelle adop- tée cette année-là. Enfin, dans son discours, l’orateur déplore la grande pauvreté qui frappe alors les masses d’Amérique latine : aujourd’hui, l’Unesco s’attache à lutter contre cette pauvreté dans ses domaines de compétence, faisant valoir notamment que la pauvreté dans le monde serait divisée par deux si tous les adultes pouvaient achever leurs études secondaires.

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