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Pourquoi un sas de fin de mission ?

A. Le sas de fin de mission de Chypre

1. Pourquoi un sas de fin de mission ?

Afin de faciliter le retour de nos soldats, et de prévenir certains effets indésirables du stress opérationnel, l’Armée de Terre a mis en place un dispositif de désengagement progressif, en s’inspirant des expériences et dispositifs des armées étrangères.

Le sas est un temps psychologique particulier où le besoin de fermer une page rencontre l’appréhension d’en ouvrir une autre (grand empressement à vouloir regagner le domicile alors que réapparaîtront les questions laissées en suspens au moment du départ).

Ce dispositif participe donc du désengagement progressif des troupes. Il permet de prévenir certains effets du stress opérationnel, d’amorcer une réadaptation graduelle à un rythme de vie normal au sein du régiment mais également auprès de la famille.

C’est généralement à partir du concept de stress que sont pensés les effets psychiques constatés au cours et au retour des missions opérationnelles. Si l’on appréhende ce concept en termes de capacités adaptatives (« Syndrome Général d’Adaptation » de SEYLE, 1930), il suffirait de renforcer le potentiel propre à chaque militaire, et de le « décompresser » à l’issue.

L’effet de stress et des modalités adaptatives mises en œuvre se mesurent au retour, à la difficulté rencontrée pour reprendre une vie quotidienne normale.

Les difficultés identifiées de réadaptation à la vie civile sont :

- Risque de repli sur soi et sentiment d’incommunicabilité, même au sein d’un couple, souvent dans un souci mutuel de ne pas mettre l’autre en difficulté ; mais ceci laisse parfois se construire dans le couple un mur d’incompréhension.

- Risque d’un sentiment de décalage avec l’entourage après une vie en groupe à très forte cohésion. Ce sentiment est accentué par la longueur et le renouvellement des missions.

- Risque d’émergence de traits obsessionnels (perfectionnisme, psychorigidité, volonté de contrôle) avec irritabilité, voire autoritarisme après une mission où l’attention au moindre détail, où l’obéissance, le respect de la discipline, la répétition des protocoles et des gestes opérationnels étaient d’importance vitale.

- Risque de conduite automobile dangereuse en roulant au milieu de la route de manière brusque et en forçant les passages, après des sorties en convois où il s’agissait de minimiser le risque d’être à proximité d’un IED.

- Risque d’anxiété généralisée et d’hypervigilance avec sursauts exagérés voire impulsivité (risque d’agressivité inadaptée), difficultés d’endormissement, après une vigilance élevée et quasi constante (nécessaire état d’alerte, de réactivité).

- Risque d’abus d’alcool, à visée festive (désinhibitrice), consommation « sociale » mais répétée (évocation de souvenirs entre vétérans), ou anxiolytique, ou encore sédative, après des mois de restriction (consommation limitée à une bière par jour).

- Risque de fausse idée de nécessité d’avoir une arme en permanence à proximité, après des mois de danger imminent et ubiquitaire.

- Risque de détachement affectif, d’émoussement émotionnel perçu comme une insensibilité après des mois de contrôle émotionnel au combat.

- Risque de trouver un caractère insipide et inutile aux activités de garnison.

On note que ces difficultés ne se résument pas au Syndrome de Stress Post Traumatique.

L’équipe de l’Hôpital d’Instruction des Armées lyonnais Desgenettes s’interroge sur la place de ces nouvelles difficultés du retour (« home-coming reentry trouble ») (SIMSON et al. 2011 (129)) : « L’exposition à une situation prolongée de menace vitale pourrait s’avérer proche de la confrontation à un événement à portée traumatique au vu des conséquences psychiques observées. Le retour à une réalité apaisée peut être générateur de souffrance avec le développement de symptômes de la dimension anxieuse (hypervigilance, sursaut, trouble du sommeil, irritabilité). Sans symptôme de répétition franc ni confrontation directe à un événement traumatique, peut-on rattacher cette entité au psychotraumatisme, ou bien simplement au trouble de l’adaptation dans le cadre d’une situation de stress prolongé ? »

« Basculer d’une situation opérationnelle à la vie ordinaire en quelques heures peut être difficile, pour le militaire comme pour sa famille » explique le Lieutenant Colonel RODRIGO.

En Indochine, le retour, par bateau, prenait un mois, avec de multiples escales, et il était constaté une nette différence entre l’état des hommes au départ et leur état à l’arrivée à destination. Mais relier l’Afghanistan à Paris ne prend désormais plus que quelques heures en avion, ce qui rend la transition nettement plus brutale. Le terme de « projection » traduit bien la succession brutale de deux univers radicalement différents.

Dans son rapport de 2004, A. MARIN (94) rapporte qu’ un soldat canadien a indiqué s’être trouvé sur le terrain de sa maison, avec ses enfants, moins de vingt heures après avoir quitté le théâtre des opérations, et qu’en jetant un coup d’œil à ses bottes, il se serait aperçu qu’elles étaient encore couvertes de sang. »

Cela illustre bien la nécessité d’aménager un espace de transition.

De son expérience de psychiatre militaire auprès des forces engagées, Jean-Philippe RONDIER (2010 (114)) rapporte que « le temps du retour est très différent selon que le déploiement a duré trois ou douze mois, ou qu’il se renouvelle après une courte période de pause. »

Les déploiements en Afghanistan –qui sont systématiquement de six mois- sont vécus comme des missions particulièrement longues et difficiles.

Le Professeur H. BOISSEAUX (2010 (13)) résume « On souligne aujourd’hui l’intérêt d’un temps de « décompression », en fin de mission, pour aider au retour et à la reprise

de la vie quotidienne, là où le stress opérationnel a imposé au combattant un mode de fonctionnement psychique très spécifique. La difficulté à tourner la page de cette expérience expose à tout un ensemble de problèmes qui peuvent parfois nécessiter une aide. Si la médicalisation systématique d’un tel processus psychique n’est pas souhaitable, il est opportun de dégager, à ce moment, un temps de débriefing technique qui permette de marquer un véritable terme à la mission en lui donnant son sens. »