• Aucun résultat trouvé

On l’a vu, la clinique post-traumatique a varié au cours de l’Histoire.

Les cas d’hystérie de la Grande Guerre, avec les cécités ou myodésopsies, aphonies/

miaulements/ aboiements/ bégaiements/ jactations/ hoquets spasmodiques, surdités ou acouphènes, paralysies, contractures, camptocormies, convulsions, anesthésies, hyperalgies, tremblements, tics, astasie-abasie, et autres symptômes conversifs (se fixant généralement sur une partie du corps antérieurement « atteinte » -sans lésion organique-), ont disparu.

Les militaires qui rentrent traumatisés des théâtres d’opérations contemporains présentent plus sournoisement une intoxication alcoolique, une agressivité, un repli sur eux-mêmes, des idéations et passages à l’acte suicidaire, …

Tout l’enjeu est alors de dépister, derrière ces symptômes aspécifiques, le syndrome psychotraumatique qu’il faudra s’attacher à dénouer par une méthode cathartique.

Les psychiatres français restent très attachés à la dimension psychopathologique du trauma, et distinguent la clinique du trauma de celle du stress.

Avec la dénomination d’« état de stress post-traumatique », le DSM met l’accent sur la dimension biophysiologique du trouble, tout en introduisant une confusion entre stress et trauma.

Aussi le Général CROCQ lui préfère-t-il l’appellation « Syndrome psychotraumatique », tout en précisant qu’il recouvre en fait tout le panel des états pathologiques immédiats, post-immédiats ou différés, éphémères, transitoires ou durables, pauci- ou plurisymptomatiques, modérés ou sévères, plus ou moins invalidants, qui sont causés par un traumatisme psychique

(31).

1. Définitions

Le trauma (ou « traumatisme psychique ») est le phénomène d’effraction psychique et de débordement des défenses causé par la survenue d’un événement menaçant la vie ou l’intégrité (physique ou psychique) d’un individu, qui y est exposé en tant que victime, témoin ou acteur. Cette expérience est ressentie dans l’effroi, l’horreur et l’absence de secours.

Issu du vocable chirurgical, il reprend l’idée de l’irruption d’un corps étranger au sein de l’appareil psychique, provoquant des efforts d’assimilation ou d’expulsion.

Les catastrophes, du latin catastropha, lui-même du grec ancien καταστροφή (composé de κατά « vers le bas » et στροφή « tour ») sont des événements destructeurs et soudains, causant un grand nombre de victimes et provoquant une désorganisation sociale (par altération des réseaux de transport, de communication etc). Elles génèrent chez les impliqués un sentiment de grande détresse associé à la perte de contrôle de son destin.

L’homme y a longtemps vu la colère des dieux. La mythologie en rapporte d’ailleurs de multiples exemples, comme le rappelle le médecin-général Louis CROCQ dans ses ouvrages (33) :

• Le mythe de Sisyphe condamné par Zeus à recommencer sans cesse un effort épuisant et vain, vient faire écho au « syndrome de répétition » développé plus loin. Pour avoir confronté la mort dans le face à face avec Thanatos, et lui avoir échappé, Sisyphe incarne l’expiation de la faute du rescapé (« culpabilité du survivant »).

• Le mythe platonicien d’Er est celui d’un soldat autorisé par les dieux à revenir des enfers pour témoigner de la vision d’horreur des châtiments imposés aux âmes impies.

• Le mythe d’Orphée met en scène la perte itérative et le deuil impossible. À l’image d’Orphée, le traumatisé perd de sa présence au monde par le souvenir traumatique qui s’impose à lui de manière répétitive, harcelante et incoercible.

Le Professeur de psychiatrie militaire C. BARROIS (1988 (7)) voit dans l’orphisme une référence au traumatisme originaire, -ce chaos dont nous extrait la naissance-, et dans le vécu traumatique en cas de catastrophe, une menace de retour vers le néant, le non-humain. À l’instar des héros mythologiques revenus des enfers, les traumatisés psychiques auraient entr’aperçu le chaos originel, le non-sens, le néant.

Le stress est la réaction bio-physio-psychologique immédiate, d’alarme, de mobilisation et de défense de l’individu face à une agression ou une menace. C’est une réaction réflexe qui met en œuvre un processus neurobiologique complexe (axes catécholaminergique et corticotrope, peptides opiacés et système immunitaire), et qui est utile et adaptative, bien qu’accompagnée de symptômes neurovégétatifs gênants (sudation, tachycardie, tremblement, pâleur, …).

D’après le DSM IV-TR (4), le trouble de l’adaptation peut être retenu devant une souffrance marquée et une altération durable du fonctionnement relationnel en lien avec un stress environnemental. Il peut être associé à une symptomatologie thymique, anxieuse et/ou comportementale. Les symptômes surviennent dans les trois mois qui suivent l’apparition du facteur de stress, et ne durent pas plus de six mois après la disparition de ce facteur.

Selon la CIM 10 (108), les troubles de l’adaptation sont des états de détresse et de perturbation émotionnelle entravant le fonctionnement et les performances sociales, qui surviennent au cours d’une période d’adaptation à un changement existentiel important ou à un événement stressant. Les délais d’apparition et de durée sont les mêmes que dans le DSM IV-TR, mais la CIM 10 insiste sur la prédisposition et la vulnérabilité individuelle, précisant cependant que le trouble ne serait pas advenu en l’absence du facteur de stress en cause.

2. État de Stress Aigu

Dans la conception interactionnelle de LAZARUS et FOLKMAN (1984 (79)), le stress est le résultat d’une relation dynamique entre les contraintes ou exigences de l’environnement, les ressources individuelles et sociétales pour faire face à ces demandes, et la perception par

À l’instant t d’un événement stressant, les auteurs décortiquent la réaction de stratégie adaptative d’un individu en deux temps :

- « l’évaluation primaire » où l’individu se demande quels sont les enjeux dans cette situation de stress. (perte, menace, …)

- et « l’évaluation secondaire » où il considère les différentes options qui s’offrent à lui (acceptation, fuite, …)

On distingue également les stratégies centrées sur le problème de celles qui sont centrées sur les émotions.

Cependant, si cette réaction est trop intense, trop prolongée ou répétée à de trop courts intervalles, elle devient une réaction inadaptative de « stress dépassé », telle que sidération, agitation, fuite panique ou comportement automatique.

Cela correspond à la phase aiguë, immédiate, appelée Etat de Stress Aigu (ESA) (DSM IV TR).

En situation opérationnelle, on emploie également la dénomination américaine de Combat Stress Reaction (réaction de stress de combat).

S’ensuit la période post-immédiate, pendant laquelle peut s’opérer un retour à la normale, ou l’installation torpide d’un syndrome psychotraumatique par la fixation du souvenir brut de l’événement.

Les ESA qui correspondent à une réaction de stress dépassé sont plus à risque de se chroniciser sous la forme d’un ESPT (Etat de Stress Post Traumatique), mais la correspondance n’est pas absolue.

Si la dissociation péri-traumatique est le plus fort prédicteur d’ESPT, l’étude de BRYANT de 2003 (21) note cependant que 56% des patients de l’étude présentant un ESPT n’avaient pas été diagnostiqués avec un ESA, soit une majorité des cas.

« La forme et l’intensité des troubles psychiques aigus de guerre ne sont pas des indicateurs pronostiques fiables. » écrit CLERVOY en 2008 (26).

3. État de Stress Post Traumatique

Selon les publications, 10% (STECKLER et RISBROUGH 2012 (130)) à 30 % (NICE et NHS 2005 (106)) des individus exposés à un événement traumatique développeraient un ESPT.

Dans environ 15% des cas (106), les symptômes apparaissent de manière différée, après une phase de latence, bien connue des cliniciens du XIXe siècle (S. FREUD, JM CHARCOT, P. JANET) qui l’appelaient phase d’incubation, méditation, contemplation ou rumination.

Il s’agit d’une période de quelques jours à plusieurs mois, asymptomatique ou paucisymptomatique (« queue de stress ») avec parfois des décharges émotionnelles liquidant la tension anxieuse réprimée en phase aiguë (notamment en cas d’action).

C’est donc parfois de façon différée que s’observe le trouble chronicisé communément appelé PTSD (Post Traumatic Stress Disorder), ou ESPT en français, qui correspond à la triade « reviviscence, évitement, hyperactivation neurovégétative » :

" Les reviviscences sont des intrusions involontaires et itératives, à type de cauchemars, hallucinations, flashbacks. Elles constituent un « syndrome de répétition » qui est pathognomonique de l’ESPT. Le sujet revit alors pleinement l’événement traumatogène, assorti de toute sa charge affective et sensorielle.

" Le comportement d’évitement concerne tous les stimuli évocateurs du trauma (couleur, son, situation –de foule par exemple-, lieu, …). À terme, il aboutit fréquemment à une modification durable de la personnalité avec irritabilité, détachement émotionnel (le terme anglosaxon de « emotional numbing »), repli sur soi (majoré par le sentiment d’incommunicabilité de l’expérience), marginalisation, parfois assortie de troubles des conduites (agressivité, troubles du comportement alimentaire), mais également de troubles psychosomatiques.

S. SIMMEL (1918) parlait d’« ensevelissement de la personnalité » et de

« changement d’âme » ; A. KARDINER (1941) de « nouvelle personnalité établie sur les ruines de l’ancienne » ; CF SHATAN (1972) de « transfiguration de la personnalité », et L. CROCQ (1974) de « personnalité traumatico-névrotique ».

" L’hyperactivation neurovégétative (hyperarousal en anglais) se manifeste essentiellement par des sursauts, des troubles du sommeil, un état d’alerte permanent.

Ces atteintes sont désormais dépistées et quantifiées (JACOBSON et TRUAX 1991 (70)) par différentes échelles standardisées telles que l’IES (Impact Event Scale : Echelle d’Impact de l’Evénement) d’HOROWITZ (64) (20) révisée, et la PCL-S (PTSD CheckList Scale : Echelle de critères d’Etat de Stress Post Traumatique).

À côté de cette triade symptomatique, il ne faut pas négliger tous les troubles co-morbides, au premier rang desquels se trouvent les conduites addictives (alcool, drogues), les syndromes dépressifs avec haut risque suicidaire, mais également les troubles du spectre anxieux.

On comprend aisément combien l’ESPT impacte la vie sociale, professionnelle et familiale, du sujet, et constitue par là un lourd handicap (KESSLER 2000 (74)).

Pourtant, malgré une détresse majeure, il existe souvent un important retard au diagnostic de l’ESPT de par la réticence des personnes concernées à évoquer leurs difficultés, ou par le diagnostic différentiel des troubles co-morbides. (106)

Sous un regard psychodynamique, l’altération de la personnalité peut être appréhendée comme un blocage de la triple fonction du moi :

! dans sa fonction de filtration de l’environnement

! dans sa fonction de présence dans le monde

! dans sa fonction de relation à autrui.

Le Professeur LEBIGOT, psychiatre militaire, rappelait, dans son allocution lors de la Journée de l’Alfest le 31 mais 2012, que l’image traumatique, qui est une image de néantisation, envahit le psychisme et repousse hors du champ de la conscience le signifiant.

Dépouillé du « parlêtre » lacanien (i.e. dépouillé du langage), le sujet traumatisé vit une expérience de déshumanisation, avec les éprouvés de honte et d’abandon qui y sont associés.

Il est confronté à ce réel de la mort, qui selon FREUD, avait été initialement refoulé de l’appareil psychique.

Il est à noter que les anomalies biologiques de l’ESPT diffèrent de celles du stress chronique : Il y a dans l’ESPT des altérations spécifiques de l’axe corticotrope (hypothalamo-hypophyso-surrénalien) qui sont inverses de celles observées dans le stress prolongé.

Même si la menace vitale est constante, il faut bien distinguer le stress opérationnel –qui peut engendrer des difficultés de réadaptation-, du trauma dont le risque est l’ESPT.

La logique est adaptative dans le cas du stress opérationnel (stress linéaire), avec la possibilité pour le sujet de tenter de reculer son point de rupture, mais elle est celle du « tout ou rien » dans le cas du traumatisme psychique, où l’événement traumatique convoque le sujet face à sa propre mort (provoquant une rupture radicale dans la vie du sujet).

Néanmoins, le trauma subi en situation opérationnelle l’est dans un contexte d’exposition à tout un ensemble de facteurs de stress qui peuvent avoir un effet de fragilisation.

(BOISSEAUX 2010 (13))