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Que sait-on de l'expérience des couples aînés qui doivent se séparer lors de

Chapitre 2 - Recension des écrits

2.2 Que sait-on de l'expérience des couples aînés qui doivent se séparer lors de

des partenaires?

Pour un aîné, quitter son domicile et sa communauté constitue une étape de vie comportant plusieurs défis à relever. Lorsque cette expérience implique la séparation de deux conjoints, il est raisonnable de penser que celle-ci comportera une forte charge émotionnelle, et ce, pour les deux membres de ce couple.

22 D'emblée, il faut spécifier qu'aucune recherche québécoise se concentrant exclusivement sur l'expérience des aînés devant se résoudre à se séparer de leur partenaire en perte d’autonomie n'a été retrouvée. De telles connaissances apparaissent pourtant essentielles. Une des explications plausibles à ce manque de données est que les personnes très âgées ayant toujours un partenaire de vie ne sont pas majoritaires dans les centres d'hébergement. En effet, en accord avec ce qui a été mentionné auparavant, ces ressources accueillent principalement des personnes en grande perte d'autonomie et très âgées. Or, l'écart d'espérance de vie entre les femmes et les hommes fait en sorte qu'il y a présentement une surreprésentation de femmes dans les groupes d'âge plus avancé. Plus précisément, il y a majoritairement des veuves dans le groupe d'âge des 75 ans et plus (Lefebvre, 2003). Ainsi, Charpentier et Soulières (2007a, p.14) rappellent « [...] que la vieillesse, surtout le grand âge, est un monde de femmes », et que cela s'observe dans les milieux d'hébergement.

Il y a tout de même une recherche canadienne qui étudie l'expérience des membres de la famille lors du déménagement d'un proche en centre d’hébergement. En effet, à l'aide d'entrevues semi-dirigées, Flynn Reuss, Dupuis et Whitfield (2008) ont recueilli des données auprès de 21 proches dont cinq étaient des conjoints. Ils les ont interrogés entre quatre et huit semaines après le déménagement. Ce bref délai semble judicieux pour connaître les émotions en lien avec ce changement. Plusieurs sentiments contradictoires ont été exprimés par les répondants. Certains ont évoqué le soulagement de savoir leur proche en sécurité et qu'il recevait les soins appropriés. D’autres récits d'entrevues ont fait état de pertes de relations significatives, notamment celui d'un

23 couple qui était séparé pour la première fois après 54 ans de mariage, ce qui est un bon exemple de la problématique du présent mémoire. D’autres répondants ont affirmé qu'ils se sont sentis seuls et submergés par la responsabilité qu'impliquait une telle décision (c'est-à-dire le « placement ») et qu'ils ont ressenti de la culpabilité. Ce sentiment est d’autant plus compréhensible que les Québécois ont en général des représentations négatives des milieux d'hébergement collectif.

Certains écrits mettent d’ailleurs en évidence que de telles représentations contribuent à rendre plus difficile la transition entre le domicile et ce type de ressource.

Par exemple, dans un rapport sur l'état actuel du système d'hébergement, Soulières et Ouellette (2012, p.13) remarquent qu'au départ, ces milieux sont considérés comme un

« échec du maintien à domicile et non comme un service parfois essentiel [...] ». Elles ajoutent qu'un sentiment de méfiance est présent avant l'admission, ce qui entraîne de l'anxiété, de l'inquiétude et des doutes chez le futur résident et sa famille. En fait, ces connotations négatives sont associées à tous les types de ressources d’hébergement, qu’elles soient privées, publiques ou communautaires (Charpentier & Soulières, 2007b).

De surcroît, il semble que la couverture médiatique est presque exclusivement réservée aux côtés négatifs des milieux d'hébergement. Il serait donc souhaitable que l'on rapporte aussi les expériences positives vécues dans certaines de ces ressources, de même que les avantages que les aînés associent à leur recours. Par exemple, une étude qualitative de Grenier et Pelland (2014) rapporte que des aînées québécoises ont évoqué des motifs les ayant incitées à changer de milieu de vie. Parmi ceux-ci, il y a la volonté de briser la solitude, le besoin de sécurité, le soutien à l'autonomie, ainsi que la présence

24 rassurante de personnel soignant œuvrant dans les résidences collectives. Cependant, il ne faut surtout pas nier que plusieurs de ces milieux comportent leur part de problèmes au niveau des infrastructures et des services. Cela serait contraire à un objectif d’amélioration constante de la qualité de vie des personnes qui y résident, car force est de constater que la vie en hébergement implique plusieurs difficultés. C'est ce qui semble ressortir de l'étude de Bickerstaff-Charron (2006) dont le thème est le sens que donnent les résidents à leur vie en milieu institutionnel. Cette recherche a recueilli des données avec des observations participantes lors d'activités, et ce, dans trois CHSLD de Montréal. Des entrevues non dirigées d'environ une heure ont également été faites auprès de six résidents qui y demeuraient depuis au moins un an, ce qui a permis de porter un regard critique sur leur vécu. En effet, bien que cet échantillon soit limité, il demeure que les propos recueillis donnent un bon aperçu de la vie en hébergement. De façon générale, les personnes interrogées ont mentionné des insatisfactions reliées au fait que les CHSLD ont un fonctionnement institutionnel. Ils ont, entre autres, déploré l'aspect routinier et ennuyant, la vie collective imposée et certaines rencontres avec des résidents ayant des comportements dérangeants, de même que le peu de contact avec l'extérieur. De plus, des aînés ont mentionné certains facteurs contribuant au fait qu'ils ne se sentent pas chez soi comme l'obligation de partager une chambre et de ne pas pouvoir manger ce qu'ils veulent alors que le repas est une de leurs principales activités.

De plus, Bickerstaff-Charron (2006) observe que les soins prodigués impliquent une perte d'intimité (p. ex., être déshabillé devant un étranger).

25 Ainsi, les conjoints aidants pourraient éprouver un sentiment de culpabilité et d'échec face à l’admission de leur partenaire de vie dans un centre d’hébergement collectif. On peut donc se demander s’ils se sentiront à l'aise de visiter régulièrement celui-ci dans un milieu qu'ils auraient probablement souhaité éviter. Ces constats permettent de prendre conscience de la problématique des aînés hébergés qui sont toujours en couple. Comment peuvent-ils continuer à partager des moments intimes, chaleureux et réconfortants dans un milieu qui y est peu propice et qu'ils ne considèrent pas comme un chez-soi? Ainsi, la dernière partie de cette recension d’écrits explorera si les milieux d'hébergement peuvent être adaptés afin de favoriser des contacts intimes satisfaisants entre conjoints.

2.3 Les couples âgés peuvent-ils continuer à partager des