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L'hébergement collectif et la séparation involontaire des couples aînés

Chapitre 1 - Problématique

1.3 L'hébergement collectif et la séparation involontaire des couples aînés

Comme mentionné auparavant, les politiques québécoises destinées aux aînés sont orientées vers le maintien à domicile. Les centres d'hébergement de soins de longue durée (CHSLD) sont désormais réservés aux personnes en grande perte d'autonomie. Il faut donc comprendre qu’une plus grande offre de services à domicile contribuerait à diminuer l’épuisement des aidants, mais ne permettrait pas nécessairement d’éviter le recours à ces centres. Ainsi, en 2012, le Vérificateur général du Québec observait que les résidents de ces ressources nécessitaient en général plus de trois heures de soins par jour.

Le niveau d'autonomie fonctionnelle est d'ailleurs le principal critère — pour ne pas dire

11 l'unique — guidant l'évaluation pour déterminer l'admissibilité en centre d'hébergement.

Bien que cette façon de procéder favorise l’objectivité lors de l'évaluation de l'admissibilité des aînés en centre d'hébergement avec soins, les décisions qui en résultent ne tiennent pas nécessairement compte de leurs besoins relationnels. Ainsi, selon Regueur et Charpentier (2008, p. 47), les grilles d'évaluation d'autonomie fonctionnelle correspondent à une « organisation de ségrégation et de ruptures sociales » dont les conséquences néfastes sont loin d'être négligeables. Parmi celles-ci, on peut mentionner qu’une entrée tardive en résidence collective contribue aux représentations négatives de ces milieux de vie qui n'accueillent alors que des personnes en grande perte d'autonomie. De plus, cela fait en sorte que le déménagement de l'aîné s'effectue souvent lors d’une période de crise et que la plupart du temps, il ne s’agit pas d’un choix fait par celui-ci. Le changement de milieu de vie se fait également au moment où les capacités d'adaptation sont moindres.

Ces aspects soulèvent également un questionnement en ce qui a trait aux couples âgés dont les conjoints ont des besoins très distincts de soutien au niveau de l'autonomie;

quel sort leur réserve-t-on? Pour y répondre, il faut d’abord faire le constat que bien qu’on demeure plus longtemps à domicile, il y a présentement un manque important de places disponibles dans les ressources d’hébergement publiques. En effet, Charpentier et Soulières (2007a, p.9) expliquent que le « [...] virage milieu, que l'on peut qualifier de pro-domicile et d'anti-institution [...] » a eu pour effet d'occulter la nécessité d'investir davantage dans des milieux d'hébergement qui répondraient aux besoins de la clientèle âgée. Ainsi, Soulières et Ouellette (2012) constatent qu'en 2010, il y avait 6 000

12 personnes en attente d'une place en CHSLD et que ce nombre devrait augmenter dans les prochaines années compte tenu du vieillissement de la population. Cette pénurie est une autre raison justifiant qu’au Québec, l'admissibilité dans de tels centres publics d'hébergement est basée principalement sur un important besoin de soutien à l'autonomie.

Tout ceci explique aussi que présentement, une place en hébergement collectif de type CHLSD ne peut être accordée à un conjoint aîné dont le profil d'autonomie ne correspond pas aux critères d'admission de ces milieux. Ainsi, les couples de personnes âgées à profils d'autonomie très différents sont confrontés à une situation de séparation involontaire. Des statistiques sur ce phénomène social ont donc été recherchées. Aucune donnée permettant d'en préciser l'ampleur n'a été retrouvée au sein de centres de recherche canadiens et québécois, tels que Statistique Canada et l'Institut de la statistique du Québec. Pourtant, il ne semble pas s’agir de quelques cas isolés puisque le gouvernement canadien a prévu des mesures fiscales spécifiquement dédiées aux couples qui ne peuvent vivre ensemble pour des raisons « indépendantes de leur volonté ». D’ailleurs, une des situations mentionnées pour bénéficier de cet avantage fiscal est l'emménagement d'un des conjoints dans un établissement de soins prolongés (Gouvernement du Canada, 2010, p.11).

En fait, les seules données retrouvées permettant d'estimer approximativement l'ampleur de ce phénomène proviennent d'une recherche québécoise évaluant de nouvelles formules d'hébergement (NFH) pour les personnes âgées. Cette dernière effectuée par Dubuc et al. (2009) rapporte que dans les 22 CHSLD qu'ils ont étudiés,

13 environ 20 % des résidents étaient encore mariés, alors que seulement un peu plus de 1 % de ceux-ci demeuraient avec leurs conjoints. Ces auteurs expliquent que même s'il y avait suffisamment de places en CHLSD, l’aspect financier est un des facteurs décourageant un époux de quitter son domicile pour aller y vivre. Le conjoint devrait alors payer une somme importante pour des services dont il n’a pas besoin. Considérant que les ressources privées avec soins sont encore plus dispendieuses, il est plutôt improbable que plusieurs couples aînés puissent y recourir. Il ne faudrait pas pour autant conclure que la séparation involontaire est une problématique causée uniquement par des moyens financiers insuffisants pour accéder à un milieu de vie permettant de poursuivre la cohabitation. En effet, il semble que les ressources qui offrent la possibilité d'héberger ensemble les partenaires d’un couple qui n’ont pas le même profil d’autonomie, et ce, à coût raisonnable, ne soient pas une solution convenant à la majorité des conjoints aînés.

Ainsi, un des faits surprenants rapportés dans l'étude de Dubuc et al. (2009) est que cela ne correspond pas nécessairement au désir des couples âgés. La cohabitation des partenaires était un des objectifs des nouvelles formules d’hébergement québécoises (NFH) qu’ils ont évaluées. Ces chercheurs ont fait le constat que la cohabitation « n’était pas nécessairement souhaitée » (p. xxvi) et qu’une des raisons est le désir du conjoint plus autonome de continuer à jouir d’une liberté pour vaquer à ses occupations. En fait, ils ont observé que ce n'est que lorsque les conjoints « [...] éprouvent des problèmes de santé au même moment » (p.xxvi) que cette option est envisagée.

Ainsi, pour la plupart des couples dont un seul des partenaires nécessite une admission en hébergement offrant des soins, il en résultera bien souvent une séparation.

14 Il s'agit d’une problématique non négligeable, car elle concerne des conjoints qui ont partagé parfois plus de 50 ans de vie commune. Cette séparation constitue sans doute un deuil qui s'ajoute à d'autres pertes. Grenier (2011, p.47) observe que la diminution de l'autonomie d'un aîné peut signifier « l'abandon forcé d'activités », des « pertes de rôles - et de reconnaissance » et peut entraîner « le deuil de soi avec ses capacités antérieures ».

Et, pour les aînés vivant en couple, la perte d'autonomie d'un des conjoints peut impliquer le deuil de leur vie commune telle qu'ils la connaissaient. Il apparaît donc important de chercher à mieux connaître les changements au niveau de la vie de couple entraînés par la perte d'autonomie d'un conjoint aîné de même que les stratégies pouvant être utilisées par les partenaires pour continuer à avoir des contacts significatifs et réconfortants, et ce, même en situation de séparation involontaire. Telles sont les idées directrices de la recension des écrits.