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Une autre série d'objections se rattache étroitement à l'impression à laquelle vous n'avez pas échappé vous-mêmes, à savoir que beaucoup de

Dans le document Introduction àla psychanalyse (Page 166-169)

Incertitudes et critiques

2. Une autre série d'objections se rattache étroitement à l'impression à laquelle vous n'avez pas échappé vous-mêmes, à savoir que beaucoup de

solu-tions que nous sommes obligés d'accepter à la suite de nos interprétasolu-tions paraissent forcées, artificielles, tirées par les cheveux, donc déplacées et souvent même comiques. Les objections de ce genre sont tellement fréquentes que je n'aurais que l'embarras du choix si je voulais vous en citer quelques-unes je prends au hasard la dernière qui soit venue a ma connaissance. Écou-tez donc : en Suisse un directeur de séminaire a été récemment relevé de son

poste pour s'être occupé de psychanalyse. Il a naturellement protesté contre cette mesure, et un journal bernois a rendu public le jugement formulé sur son compte par les autorités scolaires. Je n'extrais de ce jugement que quelques propositions se rapportant à la psychanalyse : « En outre, beaucoup des exem-ples qui se trouvent dans le livre cité du Dr Pfister frappent par leur caractère recherché et artificieux... Il est vraiment étonnant qu'un directeur de séminaire accepte sans critique toutes ces affirmations et tous ces semblants de preu-ves. » On veut nous faire accepter ces propositions comme la décision d'un

« juge impartial ». Je crois plutôt que c'est cette « impartialité » qui est « arti-ficieuse ». Examinons d'un peu plus près ces jugements, dans l'espoir qu'un peu de réflexion et de compétence ne peuvent pas faire de mal, même à un esprit impartial.

Il est vraiment amusant de voir la rapidité et l'assurance avec lesquelles les gens se prononcent sur, une question épineuse de la psychologie de l'incon-scient, en n'écoutant que leur première impression. Les interprétations leur paraissent recherchées et forcées, elles leur déplaisent ; donc elles sont faus-ses, et tout ce travail ne vaut rien. Pas une minute l'idée ne leur vient à l'esprit qu'il puisse y avoir de bonnes raisons pour que les interprétations aient cette apparence et qu'il vaille la peine de chercher ces raisons.

La situation dont nous nous occupons caractérise principalement les résul-tats du déplacement qui, ainsi que vous le savez, constitue le moyen le plus puissant dont dispose la censure des rêves. C'est à l'aide de ce moyen que la censure crée des formations substitutives que nous avons désignées comme étant des allusions. Mais ce sont là des allusions difficiles à reconnaître com-me telles, des allusions dont il est difficile de trouver le substrat et qui se rattachent à ce substrat par des associations extérieures très singulières et souvent tout à fait inaccoutumées. Mais il s'agit dans tous ces cas de choses destinées à rester cachées, et c'est ce que la censure veut obtenir. Or, lors-qu'une chose a été cachée, on ne doit pas s'attendre à la trouver à l'endroit où elle devrait se trouver normalement. Les commissions de surveillance des frontières qui fonctionnent aujourd'hui sont sous ce rapport beaucoup plus rusées que les autorités scolaires suisses. Elles ne se contentent pas de l'exa-men de portefeuilles et de poches pour chercher des docul'exa-ments et des dessins : elles supposent que les espions et les contrebandiers, pour mieux déjouer la surveillance, peuvent cacher ces objets défendus dans des endroits où on s'attend le moins à les trouver, comme, par exemple, entre les doubles semelles de leurs chaussures. Si les objets cachés y sont retrouvés, on peut dire qu'on s'est donné beaucoup de mal pour les chercher, mais aussi que les recherches n'ont pas été vaines.

En admettant qu'il puisse y avoir entre un élément latent du rêve et sa substitution manifeste les liens les plus éloignés, les plus singuliers, tantôt comiques, tantôt ingénieux en apparence, nous ne faisons que nous conformer aux nombreuses expériences fournies par des exemples dont nous n'avons généralement pas trouvé la solution nous-mêmes. Il est rarement possible de trouver par soi-même des interprétations de ce genre ; nul homme sensé ne serait capable de découvrir le lien qui rattache tel élément latent à sa substi-tution manifeste. Tantôt le rêveur nous fournit la traduction d'emblée, grâce à une idée qui lui vient directement à propos du rêve (et cela, il le peut, car c'est chez lui que s'est produite cette formation substitutive), tantôt il nous fournit

assez de matériaux, grâce auxquels la solution, loin d'exiger une pénétration particulière, s'impose d'elle-même avec une sorte de nécessité. Si le rêveur ne nous vient pas en aide par l'un ou par l'autre de ces deux moyens, l'élément manifeste donné nous reste à jamais incompréhensible. Permettez-moi de vous citer à ce propos encore un cas que j'ai eu l'occasion d'observer récem-ment. Une de mes patientes, pendant qu'elle est en traitement, perd son père.

Tout prétexte lui est bon depuis pour le faire revivre en rêve. Dans un de ces rêves, dont les autres conditions ne se prêtent d'ailleurs à aucune utilisation, son père lui apparaît et lui dit : « Il est onze heures un quart, onze heures et demie, midi moins le quart. » Elle put interpréter cette particularité du rêve en se souvenant que son père aimait bien voir ses enfants être exacts à l'heure du déjeuner. Il y avait certainement un rapport entre ce souvenir et l'élément du rêve, sans que celui-là permît de formuler une conclusion quelconque quant à l'origine de celui-ci. Mais la marche du traitement autorisait le soupçon qu'une certaine attitude critique, mais refoulée, à l'égard du père aimé et vénéré, qui n'était pas étrangère à la production de ce rêve. En continuant à évoquer ses souvenirs, en apparence de plus en plus éloignés du rêve, la rêveuse raconte qu'elle avait assisté la veille à une conversation sur la psychologie, conversa-tion au cours de laquelle un de ses parents avait dit : « L'homme primitif (der Urmensch) survit en nous tous. » Et maintenant, nous croyons la comprendre.

Il y eut là pour elle une excellente occasion de faire revivre de nouveau son père. Elle le transforma dans son rêve en homme de l'heure (Uhrmensch) 1 et lui fit annoncer les quarts de l'heure méridienne.

Il y a là évidemment quelque chose qui fait penser à un jeu de mots, et il est arrivé souvent qu'on ait attribué à l'interprète des jeux de mots qui avaient pour auteur le rêveur. Il existe encore d'autres exemples où il n'est pas du tout facile de décider si l'on se trouve en présence d'un jeu de mots ou d'un rêve.

Mais nous avons déjà connu les mêmes doutes à propos de certains lapsus de la parole. Un homme raconte avoir rêvé que son oncle lui avait donné un baiser pendant qu'ils étaient assis ensemble dans l'auto (mobile) de celui-ci. Il ne tarde d'ailleurs pas à donner l'interprétation de ce rêve. Il signifie auto-érotisme (terme emprunté à la théorie de la libido et signifiant la satisfaction érotique sans participation d'un objet étranger). Cet homme se serait-il permis de plaisanter et nous aurait-il donné pour un rêve ce qui n'était de sa part qu'un jeu de mots? Je n'en crois rien. A mon avis, il a réellement eu ce rêve.

Mais d'où vient cette frappante ressemblance? Cette question m'a fait faire autrefois une longue digression, en m'obligeant à soumettre à une étude approfondie le jeu de mots lui-même. J'ai abouti à ce résultat qu'une série d'idées conscientes est abandonnée momentanément à l'élaboration incon-sciente d'où elle ressort ensuite à l'état de jeu de mots. Sous l'influence de l'inconscient, ces idées conscientes subissent l'action des mécanismes qui y dominent, à savoir de la condensation et du déplacement, c'est-à-dire des pro-cessus mêmes que nous avons trouvés à l'œuvre dans le travail d'élaboration : c'est uniquement à ce fait qu'on doit attribuer la ressemblance (lorsqu'elle existe) entre le jeu de mots et le rêve. Mais le « rêve-jeu de mots », phénomè-ne non intentionphénomè-nel, phénomè-ne procure rien de ce plaisir qu'on éprouve lorsqu'on a réussi un « jeu de mots » pur et simple. Pourquoi ? C'est ce que vous appren-drez si vous avez l'occasion de faire une étude approfondie du jeu de mots. Le

1 Jeu de mots :Urmensch (homme primitif) etUhrmensch (homme de l'heure).

« rêve-calembour » manque d'esprit ; loin de nous faire rire, il nous laisse froids.

Nous nous rapprochons, sur ce point, de l'ancienne interprétation des songes qui, à côté de beaucoup de matériaux inutilisables, nous a laissé pas mal d'excellents exemples que nous ne saurions nous-mêmes dépasser. Je ne vous citerai qu'un seul rêve de ce genre, à cause de sa signification historique.

Ce rêve, qui appartient à Alexandre le Grand, est raconté, avec certaines va-riantes, par Plutarque et par Artémidore d'Éphèse. Alors que le roi assiégeait la ville de Tyr qui se défendait avec acharnement (322 av. J.-C.), il vit en rêve un satyre dansant. Le devin Aristandre, qui suivait l'armée, interpréta ce rêve, en décomposant le mot « satyros » en [en grec dans le texte] (Tyr est à toi) ; il crut ainsi promettre au roi la prise de la ville. A la suite de cette interprétation, Alexandre se décida à continuer le siège et finit par conquérir Tyr. L'inter-prétation, qui paraît assez artificieuse, était incontestablement exacte.

3. Vous serez sans doute singulièrement impressionnés d'apprendre que

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