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Sélection du terrain, collecte et analyse des données 179

Le design de recherche retenu supposait une différenciation des points de vue au sein d’un secteur professionnel extrêmement varié, où interagissent des acteurs publics et privés (Sous-section 1). Si les techniques de collecte ont varié selon la nature des données (Sous- section 2), leur analyse a reposé sur des bases méthodologiques similaires (Sous-section 3).

La première question est de savoir si l’étude consistait en une étude de cas unique – le terrain étant, en l’espèce, le secteur de l’assurance – ou en une succession d’études de cas. Le résultat est hybride : il s’agit d’une étude portant sur un secteur d’activité unique, mais envisagé dans sa diversité et selon différents points de vue.

En matière de sélection du terrain, le champ des possibles était extrêmement vaste. Nous avons déjà souligné la variété des organismes d’assurance, leur diversité de forme juridique, de taille et d’activités pratiquées. Mais le caractère réglementaire de la réforme étudiée pouvait aussi nous conduire vers la sphère publique : institutions européennes, autorités de supervision, pouvoirs publics. La dimension institutionnelle de notre travail conduit à s’intéresser aussi aux organisations professionnelles, françaises et européennes, qui représentent la profession. Enfin, il ne faut pas négliger l’écosystème de l’assurance et notamment tous les prestataires de services intellectuels : cabinets de consultants, d’auditeurs ou d’actuaires-conseil ont transformé l’exercice Solvabilité II en opportunité commerciale de grande ampleur.

Là encore, la dimension processuelle de notre démarche de recherche a été déterminante. L’objet était d’appréhender le mouvement par lequel le secteur de l’assurance reconstruit les conditions de son auditabilité. Selon le point de vue, la démarche par les cas retenue peut être qualifiée de collective ou d’intrinsèque. Selon Stake (2000), une étude collective prévaut quand la multiplication des points de vue peut donner une meilleure explication d’un phénomène. Au contraire, dans le cas des études intrinsèques, l’approfondissement d’un cas unique constitue l’objet de la recherche. Nous sommes ici dans une situation intermédiaire : notre recherche est centrée sur la transformation du dispositif prudentiel de l’assurance (étude intrinsèque d’une branche professionnelle en particulier), mais l’appréhension du secteur passe par l’examen de différents cas de figure (étude collective d’un ensemble d’entreprises).

S’agissant d’une Directive de l’Union européenne, l’échelon institutionnel de la Commission s’est rapidement imposé comme la première étape de l’investigation des motivations du changement. C’est au sein de la Commission européenne, en coordination avec l’ensemble des parties prenantes, que le projet de Directive a été élaboré. En

l’auteur de la plupart des documents étudiés.

Nous avons écarté les deux autres instances clés de l’Union : le Conseil et le Parlement. Si certaines orientations du Conseil ont été déterminantes, il n’a pas joué un rôle opérationnel dans la conception du dispositif. Le Parlement aurait pu constituer un niveau d’étude moins riche que la Commission, mais intéressant ; la période d’examen du texte en 2008-2009 (lors des présidences française puis tchèque sous laquelle la Directive a finalement été adoptée) ne cadrait malheureusement pas avec le timing de la recherche.

En ce qui concerne l’enquête auprès de professionnels, qui visait à recueillir les perceptions du secteur, le critère déterminant a été la représentativité. Comme prévu dans le périmètre initial, les structures rencontrées devaient être françaises ou implantées en France, dans la mesure où il n’était pas prévu d’introduire des variables nationales ou culturelles dans le champ de l’étude. L’échantillon devait contenir au moins dix assureurs et au maximum vingt (quinze organismes ont finalement été interviewés), pour intégrer toutes les familles professionnelles en évitant autant que possible les représentations uniques. Comme nous le verrons, les interlocuteurs rencontrés devaient être, ou directement en charge, ou étroitement associés à la mise en œuvre du projet de réforme au sein de leur organisation. Tous ont été contactés par l’intermédiaire du réseau professionnel – en dépit d’une disponibilité inégale, aucun refus de se soumettre au jeu de l’entretien n’a été constaté. Le dernier cas, qui visait l’observation d’un organisme en particulier, était le plus délicat à sélectionner. Deux critères se sont imposés. Le premier était d’identifier une entreprise qui n’avait pas été rencontrée lors de la phase d’enquête, de manière à bénéficier d’un retour de perception supplémentaire. Second critère : privilégier une structure réputée fortement impactée par la réforme. Pour cette raison, les secteurs de la mutualité ou les entités de taille moyenne ont paru mieux adaptés aux questions de recherche. A contrario, les grandes sociétés d’assurance où la réforme a été anticipée semblaient moins à même d’apporter des réponses concrètes à la question des conséquences institutionnelles et techniques du nouveau contrôle des risques. Après cela, comme nous le verrons dans la présentation de ce cas, le choix de la mutuelle santé anonymisée sous le nom de « MUG » relève d’une opportunité professionnelle.

recueil particulières.

Sous-section 4.2.2 - Collecte des données

La nature des données entraîne des techniques de collecte particulières pour l’étude documentaire (a), l’enquête auprès de professionnels (b) et l’observation (c).

(a) Étude documentaire – Le plus simple a été le recueil des données relatives à la conception de la Directive. Dans un souci de transparence, la Commission européenne met en ligne l’ensemble des documents préparatoires des textes qu’elle rédige. Toute la documentation de l’exercice Solvabilité II est ainsi accessible en ligne. Les documents sont parfois uniquement disponibles en anglais, mais il existe souvent des versions dans les langues des principaux États membres. La collecte des données a donc consisté ici à télécharger systématiquement les fichiers .pdf des différentes notes, rapports, consultations ou documents de travail disponibles. Ce corpus a paru suffisamment dense et cohérent pour ne pas être complété par des interviews des auteurs de ces documents.

(b) Enquête auprès des professionnels – En ce qui concerne l’étude d’une population de professionnels issus d’entreprises différentes, nous avons procédé par interviews. Quinze entretiens ont ainsi été réalisés dans le cadre de cette deuxième phase. Le caractère processuel de notre recherche a conduit à des entretiens individuels semi- directifs. L’entretien individuel a été privilégié, car le but n’était pas, à ce stade, de recueillir des visions différentes au sein d’une même organisation. Le caractère non directif favorise une expression libre de l’interlocuteur et permet d’éclairer les questions de recherche à différents niveaux (Evrard, et coll., 1993, p. 91).

En revanche, l’utilisation d’un guide d’entretien permet de maintenir une comparabilité entre les entretiens. Comme nous le verrons dans la présentation du panel, le questionnaire a été constitué en lien direct avec le cadre théorique. En pratique, les questions ont été posées selon les catégories suivantes :

‐ reformulation des enjeux : perception générale, coûts et apports de la réforme, préparation des acteurs du marché ;

importance des impacts organisationnels perçus, approche retenue en matière de modélisation (interne / standard) ;

‐ prévision des changements institutionnels et organisationnels : transformation du secteur, besoins de ressources humaines et matérielles, adaptation du management, orientations stratégiques.

(c) Observation – L’observation a été la dernière technique utilisée pour compléter notre vision du processus de conception et de mise en œuvre de la réforme du contrôle prudentiel. Au sein des méthodes qualitatives, l’observation suppose que le chercheur « observe de lui-même, de visu, des processus ou des comportements se déroulant dans une organisation, pendant une période de temps délimitée » (Thiétart et coll., 2003, p. 244). On distingue traditionnellement l’observation participante ou non participante en fonction du degré d’implication du chercheur dans l’environnement qu’il étudie.

L’apport concret de cette méthode pour le projet de recherche était de compléter l’approche statique de la phase précédente (entretien en face à face avec un seul acteur) par une vision dynamique où les salariés d’une entreprise interagissaient entre eux.

Durant la période de l’étude, cela a permis de réaliser des enregistrements en situation de travail dans le cadre de quatre comités de pilotage, huit entretiens bilatéraux entre la direction du contrôle interne et d’autres directions, une réunion de cadrage avec des membres du directoire, quatre réunions de travail avec l’équipe projet et trois réunions externes avec des parties prenantes (cabinet de conseil et organisation professionnelle). Soit vingt réunions qui ont permis d’interagir avec dix-sept professionnels dans différents services.

Dans la mesure où j’encadrais un groupe de stagiaire de l’École nationale d’assurances en mission au sein de cette structure de janvier à juin 2009, j’avais une implication indirecte et ponctuelle dans le projet. C’est la raison pour laquelle cette phase d’observation peut être qualifiée de semi-participante. En plus des enregistrements en situation réelle, la phase d’observation a été l’occasion de collecter de la documentation que l’on peut, avec Baumard et coll. (2003), qualifier de « données secondaires ».

Le premier enjeu de l’analyse des données est de favoriser la traçabilité de la réflexion. Cette chaîne des preuves (Miles et Huberman, 1994) vise à permettre de remonter des conclusions proposées jusqu’aux questions de recherche. Dans cette perspective, les renvois théoriques de la grille d’entretiens présentée dans la section suivante jouent un rôle clé. Enfin, les données ont été analysées au fil de la recherche. En particulier, chaque étape de la démarche d’investigation a fait l’objet d’une analyse séparée avant de passer à la phase suivante.

Pour la catégorisation, qui constitue selon Glaser et Strauss (1967) l’élément fondamental d’une démarche de recherche, nous avons distingué trois modalités : la définition a priori des catégories (cadre du codage), la catégorisation initiale (codage des données selon les catégories définies initialement) et la reformulation des catégories (rédaction d’une première restitution des données ordonnée autour d’un plan pour permettre la compréhension du cas par un observateur extérieur).

À ces trois modalités correspondent trois étapes d’analyse des données qui s’inspirent de la démarche proposée par Miles et Huberman (1994)12 :

‐ définition des catégories et condensation des données (a) ; ‐ codage et catégorisation des données (b) ;

‐ première présentation des données (c).

(a) Définition des catégories et condensation des données – Pour l’analyse des données de chacun des trois cas, des arborescences avec des catégories simples ont été établies. Les documents et les entretiens ont fait l’objet d’une lecture ou d’une écoute complète. Pour les enregistrements, il a été procédé à une retranscription partielle. Pour les quelques cas où nous ne disposions pas d’enregistrement – refus des interviewés ou problème technique –, nous avons utilisé des comptes-rendus d’entretiens ou de réunions.

(b) Codage et catégorisation des données – Sur cette base, les données ont fait l’objet d’un codage manuel. Un moment envisagé, le recours à un logiciel d’analyse de données n’a pas été retenu. D’une part parce que les premiers essais ont été peu

12. Dans la démarche proposée par Miles et Huberman, les deux premières étapes sont regroupées sous l’intitulé

adapté à l’hétérogénéité des données collectées.

Conformément au design de recherche, nous avons opté pour une catégorisation spécifique à chaque phase de la démarche de recherche, comme le montrent les trois figures ci-dessous :

Figure 20 - Arborescence étude de cas MUG

(c) Première présentation des données – Après chaque étude, nous avons formalisé une première restitution des données. Chaque fois que cela était possible, la restitution était soumise à un avis extérieur. En particulier, l’analyse des conditions d’élaboration de la Directive Solvabilité II a fait l’objet d’une présentation dans le cadre d’un colloque et d’une publication dans la presse professionnelle.

Le reporting régulier des études de cas permettait d’ordonner les données sélectionnées en fonction des questions de recherche posées. Par exemple, pour l’observation au sein de la MUG, la restitution des données se déroule en trois parties : « Conséquences institutionnelles et techniques de la réforme», « Perceptions de la réforme du contrôle des risques » et « L’organisation face à Solvabilité II ».

La formalisation des données était l’occasion de dégager de premières conclusions. Soulignons que ces apports provisoires sont souvent d’une portée limitée : c’est bien

de la combinaison des résultats des trois phases de la démarche de recherche que doivent émerger les réponses aux questions de recherche.