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1.4 Les interventions en Afrique pour l’amélioration du recours aux soins

1.4.1 La sélection des indigents

1.4.1.1 La définition de l’indigence

L’indigence est difficile à définir à cause de son caractère multidimensionnel (Stierle et al., 1999). Elle revêt à la fois des aspects sociaux et des aspects économiques : « elle cumule de

façon interdépendante pauvreté et exclusion sociale » (Stierle et al., 1999). Le PNUD a défini

l’indigence comme étant l’extrême pauvreté. Une personne extrêmement pauvre au Burkina Faso vit avec un revenu inférieur à 42 000FCFA (100$) par année (PNUD, 1998).

Dans le secteur de la santé, certains auteurs comme De La Rocque et Galland (de la Rocque & Galland, 1995) ont défini l’indigence comme pouvant être une situation temporaire ou permanente. Les indigents sont les personnes qui sont exclues des soins parce qu’elles n’ont pas la capacité de payer les frais médicaux pour diverses raisons. Dans ces conditions, une personne non indigente pourrait se retrouver dans une situation d’indigence de façon temporaire.

Dans les centres hospitaliers régionaux du Burkina Faso, les agents de santé et des services sociaux ont des définitions variables de l’indigence (Ridde & Sombie, 2012; Schoemaker-Marcotte, Kadio, & Somé, 2010). Les infirmiers et infirmières la définissent comme le fait d’être malade sans soutien tout en étant une victime de la société (Ridde & Sombie, 2012). Les sages-femmes pensent plutôt que les indigents sont les personnes pauvres handicapées, malades et sans soutien (Ridde & Sombie, 2012). Les agents de santé en formation désignent les personnes âgées handicapées sans soutien familial comme étant les indigents (Ridde & Sombie, 2012). Les agents sociaux quant à eux, mettent en avant la vulnérabilité associée à la maladie et au handicap, le fait d’être exclu ou victime d’un désastre (Ridde & Sombie, 2012), ou encore le fait d’être dans une extrême pauvreté incapable de s’en sortir par soi-même (Schoemaker-Marcotte et al., 2010). Toutefois, tous convergent vers les difficultés d’ordre économique et les critères sociaux.

Au Ministère de l’Action Sociale et de la Solidarité Nationale du Burkina Faso, le comité de réflexion sur l’indigence l’a défini comme « un état de manque, de façon permanente ou définitive, de sources de revenus, lié à des facteurs structurels et/ou conjoncturels tels que la personne concernée ne dispose pas de moyens personnels ou intra familiaux pour satisfaire à ses besoins fondamentaux sans l’aide de tiers » (Ministère de l'Action Sociale et de la Solidartié Nationale du Burkina Faso MASSN, 2010).

Dans le cadre d’une recherche-action menée au Burkina Faso, les chercheurs, en accord avec les Comités Villageois de Sélection (CVS) et les agents de santé, ont élaboré en consensus une définition de l’indigent dans le but de les sélectionner pour une intervention. Pour les CVS, l’indigent est « une personne extrêmement défavorisée socialement et économiquement, incapable de se prendre en charge et dépourvue de ressources internes ou externes » (Ridde et al., 2009). Cette définition est celle qui est retenue pour la présente thèse.

La définition de l’indigence est l’étape préliminaire au choix d’une méthode de sélection. 1.4.1.2 Les méthodes de sélection

Il existe des difficultés à l’identification des personnes en situation d’indigence et diverses méthodes de sélections existent.

Il existe plusieurs méthodes de sélections utilisées par les organisations et les gouvernements de certains pays.

Le ciblage géographique permet de cibler des personnes en fonction du degré de pauvreté de leur région de résidence (Bigman & Fofack, 2000). L’inconvénient du ciblage géographique est qu’il peut faire bénéficier les non-pauvres des interventions alors que ces dernières sont destinées uniquement aux plus pauvres. Pour cela, il est mieux adapté aux régions qui ont des taux de pauvreté très élevés. L’utilisation de cette méthode de ciblage requiert peu de couts, ce qui explique son utilisation dans plusieurs pays (G C Aryeetey et al., 2012).

Le ciblage démographique permet de sélectionner des personnes en fonction de leurs attributs personnels comme le sexe, l’âge, la situation professionnelle (Van de Walle, 1995). Par exemple, il peut être décidé de sélectionner les enfants de moins de 5 ans, ou les femmes enceintes, car ils constituent des groupes vulnérables (Atchessi, Ridde, & Haddad, 2013; Ridde et al., 2012).

Deux autres types de ciblage sont: le Mean Testing (MT) et le Proxy Mean Testing (PMT). Le MT permet d’identifier les indigents à partir d’un seuil du revenu et des dépenses des ménages. Elle requiert la collecte d’informations détaillées sur les ménages et s’avère donc couteuse et fastidieuse. Cette méthode s’est révélée efficace (Coady et al., 2004) dans les milieux ruraux et urbains surtout dans les régions où le taux de pauvreté est faible (G C Aryeetey et al., 2012). Le Proxy Mean Testing diffère du Mean Testing par le fait qu’il se base sur des indicateurs du revenu plutôt que de rechercher l’information sur le revenu. Il s’agira par exemple d’identifier les besoins d’un ménage. Ces deux types de ciblage peuvent être effectués au niveau individuel ou au niveau du ménage.

➢ Le processus de ciblage

Le processus de ciblage est le mécanisme mis en place pour parvenir à la sélection des indigents en utilisant une méthode donnée. On distingue généralement le processus administratif et le processus communautaire. Le processus administratif est effectué par le personnel d’une structure sanitaire ou d’une organisation non gouvernementale alors que le processus communautaire est réalisé par des membres de la communauté désignés. Cette dernière méthode aurait été mise en place en raison de l’inefficacité du processus administratif (Ridde et al., 2009).

Elle est décentralisée et s’avère plus acceptable par la communauté, car les membres de la communauté ont une plus grande facilité à identifier les indigents vivants en leur sein (Conning & Kevane, 2002; Morestin et al., 2009). Mais elle ne fonctionne pas partout, comme le montre son échec dans les quartiers lotis de la capitale du Burkina Faso. (Ridde, Rossier, Soura, Bazié, & Kadio, 2014).

➢ Les expériences de ciblage

Une recension des écrits sur des pays d’Afrique Sub-Saharienne au sujet des critères d’identification des indigents a permis de retrouver 261 critères dans 68 études (Morestin et al., 2009). Ces critères peuvent être regroupés en onze dimensions de la pauvreté que sont : la possession de bien et de moyens de production, la composition du ménage, le revenu, les conditions d’habitation, le statut professionnel, la sécurité alimentaire, l’état de santé, la scolarisation, l’accès aux services de base et au crédit, les dépenses, l’apparence physique et l’habillement. En général, ces critères ne sont pas utilisés de façon isolée. Par exemple, en République Démocratique du Congo (RDC), un indigent est un individu porteur d’une maladie chronique ou un handicapé mental ou physique qui, en plus, ne possède aucun bien (Dijkzeul & Lynch, 2006). En Tanzanie, une personne indigente pourrait être soit un individu qui a un mauvais état de santé, soit une personne handicapée et âgée, soit une personne handicapée mentale qui en plus de toutes ces caractéristiques ne possède aucun bien et ne parvient pas à se nourrir (Narayang, 1997).

Au Burkina Faso, il n’existait pas en 2011 de critères précis pour l’identification des indigents (Ridde, Kadio, Ducandas, & Kafando, 2011). Dans les Centres Hospitaliers Régionaux (CHR), les agents des services sociaux sont chargés d’identifier les indigents parmi les patients qui se présentent aux soins. Ne disposant pas de directives claires, la sélection se fait à travers un entretien qui est basé sur des critères tels que la condition physique du patient (urgence de la maladie), sa condition sociale (orphelin, exclus sociaux) et sa condition économique (moyen de transport, source de revenus, profession). Aucune enquête n’est réalisée faute de moyen. La sélection est faite sur la base des affirmations du patient et sur la base du bon jugement de l’agent des services sociaux (Schoemaker-Marcotte et al., 2010). La récente

expérience de sélection à base communautaire a quant à elle été satisfaisante pour les parties prenantes, même si elle a été très stricte (Ridde et al., 2010).

Au Bénin, la sélection des indigents se fait au point de contact au centre de santé (Sieuleunou & Kessou, 2013). Dans un premier temps l’agent de santé en fait le constat en se basant sur les affirmations du patient et dans un deuxième temps un assistant social réalise une enquête sociale pour confirmer le statut d’indigent. Cette méthode de sélection exclut d’emblée les personnes qui ne se rendent pas au centre de santé à cause de la contrainte financière. La lourdeur administrative liée à cette sélection, le manque de ressources logistique pour réaliser l’enquête sociale, la méconnaissance par plusieurs agents de santé des procédures constituent les principales faiblesses de cette stratégie de sélection (Sieuleunou & Kessou, 2013). Même si l’effectif des personnes indigentes identifiées a presque doublé, en passant de plus de 8000 en 2006 à plus de 15000 en 2007, la sélection a révélé qu’un taux élevé de vrais indigents n’a pas été sélectionné (Sieuleunou & Kessou, 2013).

Au Mali, il n’existe aucun recensement des indigents (Touré, 2013). Aucune documentation n’est disponible pour informer sur les activités mises en place pour sélectionner les indigents. Pour les agents sociaux, ce sont uniquement les personnes qui font une demande d’aide institutionnelle qui sont enregistrées (Touré, 2013). Dans ce contexte il est difficile de faire une présentation exhaustive de la situation réelle.

➢ L’efficacité du ciblage/ de la sélection

L’efficacité du ciblage, c’est-à-dire la capacité à déterminer un vrai indigent fne dépend pas seulement des critères utilisés (Morestin et al., 2009). Le ciblage serait plus efficace, lorsque les critères choisis sont clairs et précis, lorsque plusieurs indicateurs sont utilisés pour désigner plusieurs dimensions de l’indigence et lorsque le processus communautaire est complété par le processus administratif. Le ciblage serait également efficace en l’absence de conflit entre l’identification des pauvres et la viabilité des services offerts et lorsque le ciblage tient compte du contexte local de pauvreté (Ridde et al., 2009).

Une ancienne synthèse des écrits sur le sujet a montré que dans la pratique, les erreurs de sélection sont fréquentes (Bitran & Giedion, 2003). Les stratégies les plus précises sont souvent très couteuses (G. C. Aryeetey, C. Jehu-Appiah, E. Spaan, I. Agyepong, & R. Baltussen,

2012). Il s’agit donc de trouver l’équilibre entre la précision du ciblage et son cout tout en évitant au maximum d’exclure les vrais indigents (Bitran & Giedion, 2003; Hanson, Worrall, & Wiseman, 2007).

Par ailleurs, le type de région où se déroule la sélection peut avoir une influence sur son efficacité (G. C. Aryeetey et al., 2012). Au Ghana, le Means testing (MT) s’est révélé plus efficace dans les régions urbaine et semi-urbaine alors que le ciblage géographique s’est avéré plus efficace dans les régions rurales où la pauvreté est répandue (G. C. Aryeetey et al., 2012; Jehu-Appiah et al., 2010).

Les recherches évaluant l’efficacité du ciblage sont très rares en Afrique, des études sur le sujet sont pertinentes, car il est important que les indigents bénéficient réellement des interventions qui leur sont destinées.