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1. Recherche de nouveaux médicaments

1.2. Processus général de R&D

1.2.1. Sélection d’une cible thérapeutique

Le processus de R&D s’amorce suite à l’émergence d’une maladie dans les populations. Les pathologies les plus répandues, touchant une large partie des populations, sont largement étudiées puisqu’elles représentent un besoin important en termes de réponse thérapeutique, associé également à un fort potentiel commercial. Les maladies neurodégénératives, le Syndrome d’ImmunoDéficience Acquise (SIDA) et les différents types de cancers font l’objet d’un effort de recherche important, largement financé par les gouvernements et l’industrie pharmaceutique. Inversement, les maladies dites « orphelines » touchent une faible partie des populations et représentent un besoin thérapeutique moindre, associé à un faible potentiel commercial, et tendent à être délaissées. Cependant, une pathologie pour laquelle il n’existe aucune réponse thérapeutique représente, économiquement, l’accès à un monopole de marché lorsque le processus de recherche aboutit à un traitement.

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Une fois le besoin thérapeutique défini, l’objectif est d’identifier une cible biologique pertinente dont on pourra moduler l’activité afin d’enrayer le processus pathologique. Les cibles thérapeutiques incluent principalement les protéines et plus rarement les gènes et les ARNs.10 D’après Overington et al.,10 la pharmacopée actuelle comprend plus de 21.000 produits médicaux. Cependant, lorsque l’on ignore les différentes formulations, formes salines, suppléments, adjuvants et vitamines, le nombre de composés actifs uniques est réduit à 1357, dont 1204 sont de type « petite molécule » et 153 sont de type « biologique ».10 Les médicaments de type « petite molécule » sont des composés chimiques ou des peptides, tandis que les médicaments de type « biologique » regroupent les anticorps, vaccins et interleukines. D’après cette même étude, le nombre de cibles thérapeutiques uniques de notre pharmacopée serait de 324, en ne considérant qu’un nombre très restreint de cibles principales par médicament (266 seraient des protéines et gènes humains, les 58 autres regroupent des cibles de pathogènes bactériens, viraux ou fongiques). Parmi les 1204 composés actifs uniques de type « petite molécule », 1065 devraient leur activité à une interaction avec une protéine.10 L’arsenal thérapeutique actuel serait donc constitué à 78% de composés actifs de type « petite molécule » ayant pour cible une protéine. Au cours de cette thèse, nous nous sommes concentrés majoritairement sur ce dernier cas.

Trois critères sont capitaux dans la définition du potentiel d’une protéine à devenir une cible thérapeutique : l’efficacité dans l’altération du processus pathologique lorsque l’on agit sur celle-ci, la sécurité du patient (l’altération du processus pathologique ne doit pas induire d’effets secondaires importants) et la « druggabilité » de la cible.5 Une cible est définie comme « druggable » lorsqu’il est possible de moduler son activité avec d’autres partenaires biologiques, en y liant de petites molécules ou d’autres agents à vocation thérapeutique.11 Ainsi, dans le cas des cancers, le paradigme thérapeutique est l’altération du processus de division cellulaire afin de prévenir la prolifération des cellules cancéreuses et la formation de tumeurs. Sur ce même exemple, la sécurité serait définie par le succès dans l’altération de la division cellulaire des cellules cancéreuses, sans affecter la division des cellules saines.

Différentes approches permettent d’identifier une cible thérapeutique. Le processus pathologique comporte généralement plusieurs cascades d’évènements, impliquant chacune plusieurs protéines et autres agents biologiques.10,12 L’objectif est donc de comprendre ces cascades de réactions, de la manière la plus complète possible, afin d’identifier des cibles thérapeutiques potentielles suivant les trois principes précédemment évoqués.

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La recherche bibliographique et la compilation des résultats scientifiques peuvent aboutir à l’identification de processus pathologiques et de cibles potentielles. L’exploration de la littérature, grâce aux approches bioinformatiques, permet le tri et l’exploitation de différentes sources de données par « text-mining » (publications, brevets) ou « data-mining » (données d’expression génétiques et protéomiques).12,13 L’étude de l’expression des ARNm ou des protéines permet également l’identification de cibles. Dans ces cas, des cohortes de patients peuvent être constituées. Il est possible, par exemple, de constituer un premier groupe de patients atteints par la pathologie étudiée afin de le comparer à un second groupe de sujets sains.14 Il est également possible d’établir des échelles de gravité, vitesse de progression, ou résistance à une pathologie, conduisant ainsi à la définition d’un plus grand nombre de groupes de patients et permettant la mise en œuvre de différentes méthodes statistiques.15–17 L’étude quantitative de l’expression des entités biologiques permettra de les corréler, ou non, à l’évolution de la pathologie étudiée. Si une protéine est identifiée comme surexprimée dans un groupe de patients atteints, par rapport au groupe contrôle, l’objectif pourra être de rétablir un niveau d’expression normal de cette protéine en agissant sur son processus de synthèse. Plus récemment, les études d’association entre les polymorphismes génétiques et le développement de pathologies de type GWAS (Genome Wide Association Studies)18 et eQTL (expression Quantitative Trait Locus)19 ont permis d’explorer de nouveaux processus pathologiques et d’identifier de nouvelles cibles thérapeutiques.5,13,19 L’importance des polymorphismes génétiques (Single Nucleotide Polymorphism ou SNP) dans le développement de pathologies peut être illustrée par le cas extrême de l’anémie falciforme, une pathologie entraînant des troubles de la circulation sanguine associés à un fort taux de mortalité.20 L’anémie falciforme se caractérise par une forme et une rigidité anormales des érythrocytes dues à une forme mutée de l’hémoglobine impliquant un unique SNP.21 Ce SNP induit la substitution d’une Glutamine en Valine en 6e position de la séquence de la β-globine et provoque la polymérisation de l’hémoglobine mutée, déformant ainsi les érythrocytes (Figure 2).21

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Figure 2. Une unique mutation est nécessaire pour provoquer le phénomène d’agrégation

observé dans l’anémie falciforme. (A) Représentation schématique des homomères d’hémoglobine mutée et de leurs agrégats en filaments. Les couleurs différencient α- et β-globines. (B) Représentation des structures. (C) Illustration de l’obstruction des vaisseaux sanguins par les érythrocytes déformés.22

Après avoir sélectionné une cible thérapeutique potentielle, il convient de procéder à sa validation pour s’assurer d’obtenir des effets bénéfiques lors de sa modulation. L’étape de validation de la cible peut s’effectuer par de nombreux outils in vitro et in vivo et être assistée par la bioinformatique.14 Par exemple, lorsque la protéine ciblée existe également chez la souris avec une bonne homologie, il sera possible de générer des animaux transgéniques pour lesquels le gène associé à la protéine cible est absent (Knock-Out d’un gène ou KO).23,24 On pourra alors observer les conséquences d’une modulation de l’activité de la cible, sur modèle animal, dans le cas extrême de son absence totale d’activité. Les animaux transgéniques permettent également d’observer les conséquences d’une surexpression de la protéine cible.25 Si une souris KO présente des signes d’amélioration dans l’évolution de la pathologie étudiée et que les effets délétères sont considérés comme acceptables, ou absents, la cible pourra être considérée comme valide.

Plusieurs études GWAS18 et eQTL19 conduites dans notre laboratoire ont permis d’identifier des protéines dont l’expression favorise la non-progression15,17 ou la progression rapide vers le SIDA.16 Au cours de cette thèse, nous avons exploré ces résultats à la recherche de cibles « druggables » et de « hits » potentiels (voir partie Résultats).