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6. ANALYSE SOCIALE

6.6 Sécurité alimentaire et nutritionnelle

D’après l’ensemble des organisations des Nations Unies pour l’alimentation, la santé et l’enfance, « l’Afrique subsaharienne demeure la région où la prévalence de la sous-alimentation est la plus élevée, avec un taux alarmant de 22,7 % de la population en 2016 » dont 25, 8 % pour l’Afrique centrale, (FAO et al. 2017 : 7). Le continent africain est ainsi « l’une des régions où l’insécurité alimentaire prend de l’ampleur, plus particulièrement en Afrique subsaharienne, où l’on a constaté une progression de près de trois points de pourcentage de 2014 à 2016. » (FAO et al. 2017 : 10)

La définition de la sécurité alimentaire de la FAO selon laquelle la « chacun a, à tout moment, un accès matériel, social et économique à une nourriture suffisante, saine et nutritive de nature à satisfaire ses besoins et préférences alimentaires et peut ainsi mener une vie saine et active », renvoie au Cameroun à des situations insatisfaisantes. Suivant cette définition, on peut distinguer quatre dimensions de la sécurité alimentaire : disponibilités alimentaires, accès économique et matériel aux aliments, utilisation des aliments et stabilité dans le temps.

Il convient tout d’abord de préciser que les statistiques ne permettent pas de distinguer les zones cacaoyères des autres zones hormis le clivage clair qui existe entre les régions de l’Extrême Nord et du Nord qui sont des zones septentrionales caractérisées par la rigueur du climat soudano-sahélien, une économie précaire et qui vivent surtout des situations de conflits politiques graves. De mêmes que les régions anglophones du Sud et du Nord-Ouest, ainsi que la région de l’Est qui connaissent respectivement des crises politiques récentes et des afflux de réfugiés. Ces situations biaisent les données statistiques. D’une autre manière, pour les régions du Centre et du littoral, les statistiques des deux principales villes de Yaoundé et Douala masquent, quand elles sont englobées dans l’ensemble des données, la réalité des phénomènes, notamment celle des zones rurales.

Le Cameroun est classé 153ème sur 188 pays selon l’Indice du développement humain (IDH) (2016) et 38 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté national. La pauvreté est plus importante en zone rurale (en 2014, plus de 90 % de l’ensemble des pauvres du pays vivaient en zone rurale) et dans les provinces septentrionales (56% des pauvres se concentrent dans les régions du Nord et de l’Extrême- Nord).

Le Comprehensive Food Security and Vulnerability Analysis (CFSVA 2017) montre qu’en général l’insécurité alimentaire est plus élevée en zone rurale (22 %) qu’en milieu urbain (10,5 %) avec des fortes disparités entre les régions. « Déjà avant la crise liée à Boko Haram, la région de l’Extrême-Nord était la plus touchée par l’insécurité alimentaire avec un taux de prévalence de 17,8 %. Suite à la crise ce pourcentage a augmenté et est passé à 33,7%. Les données disponibles montrent une augmentation sensible de l’insécurité alimentaire également dans l’Est et l’Adamaoua (..) et une détérioration dans l’Ouest du pays (Ouest, Nord-Ouest et Sud-Ouest) ».

Depuis les années 1995, les accords de Marrakech que le Cameroun a signés, la création de l’OMC, la libéralisation des marchés agricoles qui jusque-là étaient protégés de la concurrence pure et sans entraves, ont profondément modifié les rapports entre la production alimentaire du Cameroun, les importations, les exportations, la croissance de la population et son urbanisation, au détriment de la sécurité alimentaire de la population. « En 1996, plus de la moitié de la population totale consommaient moins des 2 400 calories par jour prescrits par la FAO comme étant le seuil minimum. À Douala et à Yaoundé, les revenus par tête ont baissé de l’ordre de 31 et 52 % respectivement, alors qu’en milieu rural ceux des paysans, déjà structurellement bas, s’écroulaient à cause de la défaillance des mécanismes mis en place dans le but de soutenir les prix d’achat aux producteurs à l’occasion de la chute des cours mondiaux. L’austérité budgétaire et la privatisation entreprises par les pouvoirs publics n’ont donné lieu ni à une amélioration des revenus des populations ni à un secteur privé apte à prendre la relève en termes d’investissements, de création d’emplois et de richesses. Bien au contraire, elles se sont accompagnées du développement de la corruption qui a largement profité aux catégories sociales les plus proches du pouvoir en place » (Ngoufo et Tsalefac, 2006).

Aussi, nous constatons que, pour les populations, aussi bien rurales qu’urbaines, l’autosuffisance alimentaire s’est dégradée et s’est donnée à voir de façon dramatique dans les émeutes urbaines de 2008, faisant 40 morts au Cameroun.

En 2005, il était rappelé qu’en « « 25 ans et après une période de croissance soutenue, la production agricole s'est accrue modestement et à un rythme inférieur à celui de la population du pays. Malgré une légère amélioration observée récemment, la production agricole par habitant est de près de 16 % inférieure à ce qu'elle était au milieu de la décennie 70, et se situerait à un niveau à peine supérieur aux seuils de consommation à partir desquels on considère que les populations sont sous-alimentées (SDSR, 2005 : 62) ». Le Cameroun se situe parmi les pays en développement les moins performants. La ration alimentaire actuelle (2.260 calories/jour/hab.) y est à peine supérieure à la ration moyenne estimée pour l'Afrique subsaharienne (2.200 calories) et reste bien inférieure à celle calculée pour l'ensemble des pays en voie de développement (2.680 calories) – (SDSR, 2005).

Nous constatons 10 ans plus tard, avec P. Tsamoye (2013 : 247) que dans un pays comme le Cameroun, il peut y avoir des déséquilibres quantitatifs, bien que grâce à sa configuration naturelle et climatique mais surtout à sa stabilité politique, il reste « à l’abri de la rupture absolue de la nourriture ». Mais selon les deux critères de la FAO : la disponibilité énergétique et l’apport en protéines, le Cameroun est « un pays caractérisé par la sous-alimentation » (Tsamoye 2013 : 260).

Etat nutritionnel au Cameroun

Description Chiffres

Nombre d’enfants atteints de malnutrition chronique + 3 millions Retard de croissance7: pourcentage d’enfants de moins de 5 ans qui se

situent en dessous de moins 2 écarts-type (modéré et sévère)

31,7 % Emaciation8: pourcentage d’enfants de moins de 5 ans qui se situent en

dessous de moins de 3 écarts-type (sévère) de la médiane poids-pour-taille du standard de l’OMS

1,3 %

Proportion de décès causés par la malnutrition 2 sur 5 Nombre d’enfants de moins de 5 ans affectés par la malnutrition sévère

aigüe en 2015 Près de 50 000

Unicef 2015

L’indicateur retenu pour évaluer l’état nutritionnel d’une population est le poids de l’enfant par rapport à son âge. La prévalence de l’insuffisance pondérale est passée de 16% à 22% entre 1991 et 1998, avant de connaître une légère baisse à 19% entre 1998 et 2006. Selon EDS III (Etudes démographiques de santé, 2004), les enfants de moins de 5 ans présentant une insuffisance pondérale sont évalués à 18,1%. Près d’un enfant sur 5 âgé de moins de 5 ans au Cameroun souffre d’insuffisance pondérale modérée et 4% d’insuffisance pondérale sévère. Ces proportions sont nettement supérieures à celles attendues dans une population en bonne santé et bien nourrie (Sources : standard NCHS/CDC/OMS cité in INS et ORC Macro 2004). Les enfants des zones rurales sont les plus affectés. Aucune région ne présente une insuffisance pondérale satisfaisante ; le Nord et l’Extrême Nord étant les plus affectés.

Le nombre d’enfants de moins de trois ans accusant un retard de croissance est un indicateur révélateur des dysfonctionnements dans la répartition des denrées alimentaires et de leur disponibilité. Ce taux est « estimé à

7 Définition du retard de croissance : Taille (stature en cm) rapportée à l’âge (en mois) inferieure d’au moins deux écarts-types à la valeur médiane des normes OMS de croissance de l’enfant de 2006. Une faible taille par rapport à l’âge traduit les effets cumulés de la dénutrition et des infections depuis la naissance, voire avant. Elle peut résulter de privations nutritionnelles sur une longue durée, d'infections récurrentes et d'un manque d'eau et d'infrastructures d'assainissement.

8 Définition de l’émaciation : Poids (en kg) rapporté à la taille (en cm) inferieur d’au moins deux écarts-types à la valeur médiane des normes OMS de croissance de l’enfant de 2006. Un faible poids par rapport à la taille indique une forte perte de poids ou l’absence de prise de poids et peut résulter d’un apport alimentaire insuffisant et/ou de maladies infectieuses, notamment la diarrhée.

23% en 1991, il a atteint en 1998 et 2004, respectivement 29 et 30% » (Tsamoye, 2013 : 260). Des disparités sont importantes en regard des milieux de vie (rural/urbain) et des régions et peuvent expliquer l’augmentation. Selon la FAO, la définition de la Sécurité nutritionnelle est la suivante : « situation dans laquelle on a à la fois un accès sans danger a une alimentation nutritive appropriée, d'une part, et, d'autre part, un environnement sanitaire et des services de santé et de soin adéquats, qui assurent une vie saine et active pour toute la famille. La sécurité nutritionnelle se distingue de la sécurité alimentaire en ceci qu'elle ne prend pas seulement en compte l'alimentation, mais aussi les usages en matière de soins, de sante et d'hygiène » (FAO et al. 2017 : 10).

Aussi, nous pourrons constater dans le paragraphe 6.8 ci-après que les conditions de vie, d’hygiène et de santé contribuent à un état nutritionnel insatisfaisant.

En effet, les principales raisons de l’insuffisance de la ration alimentaire peuvent être attribuées à la mauvaise répartition des denrées alimentaires, les circuits de commercialisation défectueux, la variabilité des habitudes usages et alimentaires en fonction des régions et des ethnies, etc. (Pierme, 1983, cité par Tsamoye, 2013 : 42). Dans la littérature l’accent est davantage posé sur la combinaison de ces divers facteurs, souvent associés à des phénomènes chroniques généralisés (Tsamoye, 2013 : 61).

La sécurité alimentaire dans les régions cacaoyères

Les disponibilités alimentaires et accès économique et matériel aux aliments

L’accès économique et matériel aux aliments se fait généralement à travers la production agricole et le commerce du cacao. Dans certaines zones cacaoyères, notamment celles du Sud, l’apport alimentaire protéiniques vient de la chasse et de la pêche, dès lors que l’accès aux forêts reste possible (hors aires protégées, hors Unités forestières d’aménagement, hors zones dégradées) et dans les limites des droits de chasse. La cueillette des produits forestiers non ligneux tels chenilles, champignons et baies viennent compléter les provisions alimentaires. La pratique agroforestière favorise le maintien d’un minimum de vivrier dans les zones cacaoyères. Toutefois, les calendriers de culture se superposent, pour le cacao (juin- décembre) avec le travail agricole nécessaire au vivrier (mars –juin), notamment pour la production de maïs ou d’arachide (récoltes juin- septembre). Les femmes se trouvent alors sollicitées à la fois pour la récolte de cacao et pour celle du vivrier. Les besoins en vivrier renvoient aux questions foncières et à la disponibilité des parcelles agricoles. Les productions restent dans la majorité des cas dans le cadre de l’autosuffisance alimentaire. Les productions de maïs, arachide, manioc, igname, plantain, sont les bases alimentaires en zones cacaoyères. Elles permettent une alimentation quotidienne mais n’évitent pas les périodes de soudure où les denrées manquent et où « l’argent du cacao est fini », soit dès février jusqu’en juin.

Du côté des jeunes ouvriers agricoles employés dans les plantations de tailles moyennes de la région centre et des fronts pionniers du département du Mbam, notamment à Talba, la situation ne présente pas toutes les conditions de sécurité alimentaire ni d’autonomie. Ces jeunes ouvriers, souvent venus d’ailleurs (région de l’Ouest) distinguent leurs pratiques en trois stratégies afin de subvenir à leurs besoins alimentaires : « faire des champs de maïs dès leur arrivée dans la zone, acheter et stocker les sacs de riz et faire des travaux à la tâche pour gagner un peu d’argent avant la récolte du maïs » et s’approvisionner une fois par mois sur les marchés pour les protéines, le riz, les condiments (Nso Ngang, 2015). Cette étude réalisée en 2015 donnait à voir que la sécurité alimentaire était aléatoire et dépendait largement des salaires, des conditions de travail, des prix des denrées alimentaires, de l’accès à un lopin de terre et de leur capacité à organiser leur calendrier agricole et à s’adapter vite.

Utilisation des aliments et instabilité dans le temps.

Les prix des denrées alimentaires sur les marchés fluctuent selon les distances à la ville et les saisons. Ils sont bien souvent prohibitifs pour celui qui cultive au quotidien pour sa famille et n’entrevoit l’achat que dans les périodes de soudure.

Comme dit plus haute et cette fois du point de vue climatique, il convient de rappeler que le Nord et l’Extrême Nord du pays sont les deux régions qui sont les plus vulnérables pour l’approvisionnement en eau et pour l’accès aux aliments. Aussi contribuent-elles pour une grande partie à la tendance générale des statistiques nationales qui présentent le pays dans une situation d’insuffisance alimentaire. Et il ne peut être dit ou démontré que les populations des autres régions sont mieux alimentées et celles des régions cacaoyères en particulier.

D’une manière générale, « l’ajustement structurel centré sur les grands équilibres macro-économiques et peu attentif au secteur rural a conduit à une dégradation relative de la production rurale et de la consommation alimentaire, une accentuation de la pauvreté en milieu rural et, la dégradation de l’environnement » (SDRS, 2005 :