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La sécurisation, les sentiments d’insécurité et la planification des moyens de défense engendrent

Chapitre I : L’appareil conceptuel

Chapitre 5 : L’ampleur des enjeux de sécurité contemporains

5.2 La sécurisation, les sentiments d’insécurité et la planification des moyens de défense engendrent

entre les acteurs étatiques

Lorsqu’un enjeu est sécurisé, l’acteur de sécurisation va changer sa façon de faire ou d’agir. Ainsi, au Canada, à la suite de la sécurisation des enjeux dans l’Arctique, la coopération circumpolaire a été négligée et au lieu de miser sur les instruments diplomatiques traditionnels, les instruments militaires et la projection de la force sont

devenus les moyens privilégiés pour gérer les incertitudes et les insécurités. En Norvège, pour donner suite à la décision gouvernementale d’accorder une priorité stratégique à l’Arctique, les acteurs politiques norvégiens ont décidé, entre autres, de sécuriser leur relation bilatérale et d’accroître leurs capacités militaires dans la région pour faire face aux incertitudes et pour enrayer les sentiments d’insécurités.

Les changements stratégiques, rhétoriques et matériels, ont toutefois d’importants impacts sur les relations interétatiques dans l’Arctique. Tout d’abord, même la relation entre le Canada et la Norvège pourrait être affectée par le nouveau comportement à Ottawa. Malgré le fait qu’ils sont des alliés importants, l’ambassadeur norvégien au Canada, Tor Berntin Naess, qui a terminé son terme au mois d’août 2009, croit qu’il sera beaucoup plus difficile de travailler ensemble sur des enjeux bilatéraux. Selon lui, « le Canada a changé et la Norvège a le sentiment que les deux États ne sont plus aussi proches politiquement parlant (Article de journaux - Embassy, 19 août 2009) ». Il faut dire que la sécurisation dans le secteur militaire au Canada nuit potentiellement à la sécurisation dans le secteur politique en Norvège. En entamant une sécurisation des forces armées de la Russie, les acteurs politiques canadiens font renaître la menace de la Guerre froide.

Mais pour l’ensemble des relations interétatiques dans la région, à partir de la deuxième moitié de la décennie, les actions unilatéralistes, les discours nationalistes et l’absence de contacts de haut niveau au sein du Conseil de l’Arctique semblent désormais avoir caractérisé les développements dans le Nord. Ainsi, préoccupé par les récentes sécurisations et la perception de plus en plus généralisée que les acteurs étatiques agissent davantage en privilégiant les actions unilatéralistes, le Danemark a décidé de convoquer une réunion d’« urgence » à Ilulissat au Groenland au mois de mai 2008. Celle-ci avait pour buts de rassurer l’opinion publique mondiale sur les relations et volontés pacifiques des États régionaux, de réaffirmer l’engagement de tous les États riverains (Canada, Danemark, États-Unis, Norvège et Russie) envers la Convention des Nations Unies sur les droits de la mer, et de créer de nouvelles ententes de gouvernance régionale. La « Déclaration d’Ilulissat » a alors été signée par les cinq États en question.

Cependant, malgré cet exploit de coopération régionale, les liens qui ont été rapidement faits à la fin de l’été 2008 entre les enjeux de sécurité dans la région et la crise russo-norvégienne semblent démontrer que la « Déclaration » ne compte pas pour beaucoup dans la balance régionale. Au contraire, elle démontre peut-être plutôt que la région est de plus en plus divisée politiquement, parce qu’elle a exclu les trois autres États membres du Conseil de l’Arctique - l’Islande, la Finlande et la Suède (Griffith, 2009 : 9).

La crise russo-géorgienne et l’accroissement de la méfiance dans l’Arctique

L’invasion de la Géorgie par la Russie au mois d’août 2008 a d’ailleurs eu des effets important dans la région. Selon Griffiths, « les processus d’action et de réaction entre la Russie et les États occidentaux qui ont suivi la crise russo-géorgienne ne peuvent pas être oubliés. Il y a désormais de la méfiance qui règne des deux côtés (…) (Griffiths, 2009 :8). »

Tout d’abord, en réponse aux critiques formulées par les États occidentaux, la Russie a décidé de couper ses liens militaires avec tous les membres de l’OTAN (il y a eu une reprise des pourparlers depuis 2009) et elle n’a pas hésité à augmenter ses vols stratégiques dans l’Arctique. Les acteurs politiques russes ont d’ailleurs de nombreuses incertitudes au niveau de leurs possessions futures, de leur statut régional, ainsi qu’au niveau de l’OTAN qu’ils perçoivent comme étant en train d’empiéter sur leur région stratégique. Cela fait en sorte qu’ils ont commencé à percevoir l’Arctique comme une source de puissance géopolitique (Griffiths, 2009 : 14).

Le Canada a de son côté entamé une resécurisation de la menace militaire russe, ce qui est une preuve discursive que les acteurs politiques canadiens ne perçoivent pas les acteurs politiques russes comme étant dignes de confiance. De plus, le degré de fréquentation entre les deux États a sensiblement diminué depuis 2007 (Article de journaux - Embassy, 29 avril 2009). Mais plus encore, la présence militaire russe dans la région, jumelée au fait que le Canada a multiplié ses discours de resécurisation sur le sol américain, pourrait aussi signifier un retour probable des États-Unis dans l’Arctique. En réponse aux insécurités canadiennes, le secrétaire à la Défense aux États-Unis, Robert

Gates, a décidé de s’exprimer sur la relation bilatérale canado-américaine dans la région. Le 20 novembre 2009, au Halifax International Security Forum, il a souligné que :

le Canada et les États-Unis sont tous les deux des États arctiques, un enjeu qui fait aujourd’hui partie de notre ordre du jour bilatéral. Nous partageons des intérêts pour développer plus de brise-glaces. Et même si les États-Unis ont relancé leur relation avec la Russie, nous allons travailler avec le Canada pour nous assurer que l’accroissement des activités russes dans l’Arctique ne mène pas à de mauvais calculs stratégiques ou à des frictions inutiles (Discours du secrétaire à la Défense des États-Unis - Gates, 20 novembre 2009 – traduction libre).

La Norvège a, quant à elle, tenté de sécuriser davantage sa relation bilatérale en demandant à sa population de ne pas tomber dans la « russophobie ». Elle a aussi demandé aux États sur la scène internationale de ne pas caractériser la situation comme un retour à la Guerre froide. Malgré ces demandes, le ministre des Affaires étrangères norvégien, Jonas Gahr Støre, avait toutefois expliqué à son homologue russe, Sergei Lavrov, en novembre 2007, qu’« il est facile de justifier le besoin de se procurer de nouveaux avions de guerre maintenant que la Russie est en train de simuler des attaques sur Bodo (NORVÈGE : Discours analysés - Støre, 18 juin 2008) ». Cette citation démontre très bien les effets que peuvent avoir les nouveaux comportements stratégiques dans la région.

D’ailleurs deux ans plus tard, face aux incertitudes à l’endroit de sa relation bilatérale, la Norvège a commencé de faire appel à l’OTAN pour qu’elle s’investisse stratégiquement dans l’Arctique. Cela pourrait cependant avoir pour résultats un accroissement des activités militaires russes dans la région et une augmentation de la fragmentation politique. Ainsi, en réponse aux demandes norvégiennes, l’OTAN semble désormais vouloir accroître son rôle dans la région (Griffiths, 2009 : 22), mais selon Dimitri Rogozin, le représentant de la Russie à l’OTAN, son État ne souhaite pas coopérer avec l’alliance militaire dans l’Arctique.

S’il y a quelqu’un qui croit que nous serons capables de respirer plus facilement dans l’Arctique advenant la présence d’États extrarégionaux, il se trompe. (…) l’enjeu ne sera pas inclus à l’ordre du jour de la coopération entre la Russie et l’OTAN (…) Il n’y a pas de place pour l’alliance dans la région (Article de journaux - The Times, 28 mars 2009 – traduction libre).

Assistons-nous à la naissance d’un dilemme de sécurité régionale?

D’un point de vue théorique, lorsque des élites et des populations commencent à percevoir les forces armées d’un autre État comme étant menaçantes (comme c’est maintenant le cas dans l’Arctique), les relations interétatiques génèrent habituellement le dilemme de sécurité militaire classique. Désormais, les États arctiques, surtout le Canada, la Norvège et la Russie, procèdent à d’importantes acquisitions militaires destinées à protéger leurs intérêts dans la région. Cet état de fait semble être perçu par l’un et l’autre comme une atteinte à leur sécurité et cela engendre une sorte de course aux armements ou un accroissement de la présence militaire dans la région. De plus, les États-Unis et l’OTAN semblent aujourd’hui avoir décidé de s’investir davantage dans l’Arctique. Cela engendra sûrement d’autres développements régionaux, possiblement un accroissement encore plus accrue de la présence militaire et des acquisitions en matière de défense. (Article de journaux - Barentsobserver.com, 6 janvier 2009; 21 août 2009; 18 septembre 2009; 29 septembre 2009; 6 octobre 2009; 16 novembre 2009; 8 décembre 2009; 18 décembre 2009; The Times, 28 mars 2009; Rianovosti, 28 septembre 2009)

5.3 Une région divisée politiquement : entre coopération et stratégie