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La sécurisation intensifie les sentiments d’insécurité et justifie le besoin de se protéger

Chapitre I : L’appareil conceptuel

Chapitre 5 : L’ampleur des enjeux de sécurité contemporains

5.1 La sécurisation intensifie les sentiments d’insécurité et justifie le besoin de se protéger

Dans « Arctic Meltdown : A Changing World », un documentaire diffusé sur les ondes de Radio-Canada et de CBC, David Suzuki soutient en introduction qu’une nouvelle Guerre froide serait en train de se préparer. Cette perception d’un retour aux divisions historiques est alimentée d’une part, par les actions et les paroles des gouvernements. D’ailleurs, dans leur discours, surtout au Canada, les acteurs étatiques utilisent des mots qui soulèvent le caractère « urgent » et « existentiel » des enjeux dans l’Arctique contemporain. D’autre part, cette perception est également alimentée par les médias qui, gourmands de nouvelles sensationnalistes, parlent souvent d’une course effrénée vers le « Far Nord » où les États sont engagés dans une lutte sans merci pour obtenir la plus grande part des ressources inexploitées dans la région. Les médias sont en fait des acteurs importants au niveau de la construction intersubjective des menaces dans l’Arctique. Ils contribuent significativement à définir les situations en termes d’altérité, du « nous » versus les « autres ». C’est alors que la population en générale se nourrit de cette information gouvernementale et médiatique et entre aussi à son tour dans le bal de l’incertitude en percevant les enjeux et la situation contemporaine dans la région en termes alarmistes.

L’incertitude engendrée par la définition de la situation contemporaine dans l’Arctique alimente aussi les sentiments d’insécurités dans les sociétés. D’ailleurs, le fait de caractériser les enjeux comme des menaces à la souveraineté ou à l’identité commune

(comme c’est le cas dans les discours officiels canadiens), ou comme des menaces à la souveraineté d’action (comme c’est le cas dans les discours officiels norvégiens), tend à augmenter le sentiment d’insécurité et à perpétuer la démarche sécuritaire. D’autant plus que ces paradoxes liés au secteur politique et au secteur identitaire (ie. Politique - Il y a problème que si l’on dit qu’il y a un défi; Identitaire - toute politique sécuritaire ayant pour objet l’identité tend à augmenter le sentiment d’insécurité et à perpétuer la démarche sécuritaire) sont aussi alimentés par des vulnérabilités étatiques ressenties dans la population. Dans le cas du Canada et de la Norvège, c’est une relation inégale qui alimente une peur perpétuelle de perdre leur souveraineté ou leur indépendance politique face à des géants. Ainsi, face à cette peur perpétuelle, il ne fait aucun doute que lorsque les sentiments d’insécurités augmentent par le biais des sécurisations, il y a un accroissement d’un sentiment généralisé qu’aucune contremesure adéquate n’est possible pour faire face aux enjeux caractérisés comme étant urgents et existentiels. Il devient alors presque inévitable de justifier la planification des moyens de défense pour assurer sa propre survie, soit par l’acquisition importante de matériels militaires ou par le jeu des alliances. L’autre option est de provoquer une désécurisation des enjeux de souveraineté et d’identité, et donc, par le fait même, faire diminuer les sentiments d’incertitudes et d’insécurités.

La nature même des menaces de sécurité perçues dans l’Arctique justifie donc l’utilisation de mesures extraordinaires pour s’en occuper. Ainsi, en prononçant le mot « sécurité », un représentant de l’État engendre une condition d’urgence qui lui donne le droit d’utiliser tous les moyens nécessaires pour bloquer les développements menaçants. Cela n’est pas obligatoirement le résultat direct d’un acte intentionnel posé par l’élite étatique puisque les perceptions de sécurité sont souvent le fruit d’une construction intersubjective largement partagée par la population. D’ailleurs, la façon de gérer les menaces de sécurité fait elle aussi souvent l’objet d’une construction intersubjective.

En ce qui a trait au Canada et à la Norvège, avant d’entamer le renouvellement de leurs instruments militaires dans l’Arctique pour gérer les nouveaux enjeux de sécurité, il y avait déjà un désir grandissant dans la population de renouveler les capacités militaires de leur État, qu’ils percevaient comme inadaptées ou plutôt insuffisantes. Cela

s’explique par le fait que pendant la Guerre froide, la défense de leur territoire était assurée en grande partie par leurs alliés — les États-Unis et l’OTAN pour les deux, et également la Suède pour la Norvège. En raison de cette protection assurée, les dépenses militaires pouvaient être moins importantes et cela a eu des répercussions sur les perceptions populaires à l’égard de l’état des forces armées norvégiennes et canadiennes au début des années 2000. Mais plus encore, au cours des années 1990, les deux États ont procédé à de nombreuses compressions budgétaires au niveau de leurs forces armées respectives parce qu’il y avait un désir d’assainir les dépenses publiques, mais aussi parce que les menaces du passé n’étaient plus les mêmes.

À la fin des années 1990 et au début des années 2000, un important débat au sein de la société canadienne et norvégienne a eu lieu. Selon plusieurs, les capacités militaires devaient s’accroître pour correspondre, entre autres, aux nouvelles missions otaniennes et onusiennes. Mais il y avait aussi une perception largement partagée qu’il fallait améliorer les capacités, ne serait-ce que pour arrêter de dépendre des capacités des autres. À titre d’exemple, selon la ministre de la Défense norvégienne, Anne-Grete Strøm-Erichsen, « such thoughts are further nourished when one sees a cheerful newspaper front page – it does happen, if not very often – that says “Sweden will defend Norway” (NORVÈGE : Discours analysés - Strøm-Erichsen, 7 janvier 2008).»

Nous croyons donc que ce qui a permis de justifier l’acquisition d’importants instruments militaires pour faire face aux scénarios les plus menaçants dans l’Arctique relève d’une part de l’insécurité engendrée par la définition de la situation dans la région - par la sécurisation - mais d’autre part, la justification relève aussi du désir grandissant dans la population de renouveler les capacités militaires de leur État.

5.2 La sécurisation, les sentiments d’insécurité et la planification des