• Aucun résultat trouvé

SECONDE PARTIE

3/ ROSHD DJIGOUADI

a)Brève présentation de l’auteur :

Pour donner quelques aperçus sur la vie de ce romancier nous nous référons à un courriel envoyé par l’auteur lui-même que nous avions contacté fin 2015. Ce document est donné dans son intégralité en annexes. Roshd Djigouadi4, né en Algérie 1967, est d’abord connu comme réalisateur algérien. Entre 1989-1992 il suit une formation au « Conservateur Libre du Cinéma Français » Il obtient un diplôme option montage et réalisation. Il est par ailleurs journaliste, il a, par le passé, collaboré à différents journaux essentiellement de la presse indépendante. Il a par ailleurs été reporter et assistant réalisateur pour l’émission « tranches de vie » de Rachid Benallal

1 Ibid. p218 2 Ibid. p.177 3 Ibid. p.194 4

82

et ce entre 1993-1994. Cette émission était une production de l’ENTV. Dans le domaine de la publicité il fut concepteur et réalisateur de plusieurs projets entre 1996 et 2003. Son premier film documentaire s’intitule Billal pour lequel il eut le prix « Direction Award » en 2000 au FICTS de Milan. Il entre dans le monde de la littérature avec le roman retenu par notre corpus : Il aura pitié de nous aux éditions Chihab en 2004. Le second roman intitulé Nuit blanche parut en 2007 éditions Apic Un autre film est à son actif Ailes brisées sorti en 2008 il en est le co-auteur et réalisateur. Un film dans le genre sociodramatique. Il fut diffusé en Algérie par diverses chaînes satellitaires et publiques. En 2013 il s’oriente vers le théâtre en jouant dazns la pièce Pauvre fou adaptation de Don Quichotte par Chantal Morel. Cette pièce fut jouée par la troupe Théâtre du Soleil sur invitation d’Ariane Mnouchkine. Cette expérience théâtrale fera l’objet d’un documentaire intitulé « Don Quichotte habite la Villeneuve » .

b)Il aura pitié de nous ou le roman des échecs

Pour son premier roman, publié en 2004, Roshd Djigouadi, s’est intéressé au phénomène des harraga, en narrant l’histoire d’un jeune Algérien conduit à errer dans son pays natal et cherchant constamment à recommencer une nouvelle vie.

Même s’il n’est pas promis à un bel avenir, Adel, personnage principal, voit sa vie basculer du jour au lendemain, vie où s’entremêlent drame passionnel, délire, vengeance et meurtre.

La priorité d’Adel, personnage malheureux du récit, est de rompre avec sa vie de

hittiste et d’envisager un nouveau départ afin de pouvoir changer sa destinée. Sa

rencontre, anodine au début du récit, avec Omarou au square Port-Saïd à Alger, sera le point de départ de sa nouvelle quête : découvrir un autre monde quelque part en Europe. En effet, ce Malien qui a fui son pays, s’est installé provisoirement à Alger, le temps de gagner suffisamment d’argent et réaliser son rêve : migrer vers le vieux contient. Il réussira à convaincre Adel de le suivre à ses risques et ses périls,

c'est-à-83

dire en faisant comme les autres : traverser la Méditerranée à bord d’une embarcation:

«Mieux veut que ton rêve te tue, plutôt que de tuer ton rêve»1 lui lance Omarou. Ce

dernier qui a laissé toute sa famille au Mali, est déterminé plus que jamais à prendre une telle décision tout en prétendant vouloir écrire un livre sur l’histoire et les conditions de migrants clandestins originaires de son village, surtout après la disparition en mer de plusieurs d’entres-eux :

«je suis un homme libre et ce n’est ni une mer de sable ni un océan de

haine et encore moins ce lac qui va m’empêcher de témoigner de la souffrance et de la rage qu’on a à vouloir aller de l’autre côté. Beaucoup y sont restées. Certains étaient des amis, des frères.» 2

Pour sa part, Adel incarne le jeune Algérien ayant un rapport problématique avec la société, les traditions et la famille. En effet, ce jeune si fragile, ne cesse de se lamenter sur son sort, furieux contre l’injustice sociale et dénonçant sa relation tendue avec sa propre famille, en particulier avec le père. Sans diplôme et officiellement au chômage, il passe ces journées à ne rien faire, sinon à trainer la nuit devant l’un des bâtiments les mieux gardés de la ville : l’ambassade de France. Ce lieu exerce une influence prépondérante sur tout le pays, devenant depuis le début des années 1990 et la multiplication des attentats terroristes, une sorte de forteresse imprenable (depuis le durcissement des conditions d’octroi des visas et les risques d’attentats). Ce lieu abrite ce que le narrateur appelle le «guichet de la liberté»3, c’est-à-dire le bureau par lequel doit transiter chaque Algérien qui espère pouvoir quitter le pays et voyager ou partir s’installer en France. Même s’il fréquente les environs de ce lieu pratiquement tous les jours, Adel ne parviendra jamais à pénétrer à l’intérieur de ce bâtiment ultra sécurisé ; d’ailleurs, il ne possède même pas de passeport, et comme beaucoup de jeunes Algériens de son époque, il ne tente même pas sa chance pour faire la demande d’obtention d’un visa. Une démarche compliquée :

1

Il aura pitié de Nous, p.18

2

Ibid, p.22

3

84

«Je m’étais pris à rêver qu’un jour par quelque tour de passe-passe, je rejoindrai la longue file de mes compatriotes et attendrai le fameux visa Schengen, sésame pour une vie moins plate. Mais pour l’instant j’en faisais mon commerce» 1.

Adel se distingue assez des autres personnages du roman. Ses parents auraient souhaité qu’il se conduise autrement. Au lieu de suivre leurs conseils, il se rend tous les jours à ce qu’il appelle ce «mur-frontière de l’ambassade de France» là où il travaille officieusement en faisant la queue durant toute la nuit pour marchander sa place avec les demandeurs de visas, puis rentre se coucher à 11h du matin. Il ne communique donc que très rarement avec les membres de sa famille. A 25 ans, il dépend encore de ses parents et est incapable de trouver un emploi stable. Au lieu de mener la vie facile à ses proches, d’imiter le parcours du grand frère, Mehdi, décédé un certain octobre 1988 et qui devait entamer ses études en médecine, Adel se rebelle et ne trouve pas sa place parmi les siens. Il se considère comme un intrus :

«aurait souhaité voir pousser dans son ombre une sorte de surhomme : beau,

travailleur, prospère, doué pour la vie. Tout ce que je n’étais pas !» 2.

Une humiliation pour ce père, alcoolique et ancien Moudjahid, qui voit son honneur souillé par ce fils qui exerce une activité illicite et indigne:

«Je veux qu’il ne me fasse pas honte ! Je n’ai pas combattu la France pour voir mon fils collé la nuit à ses murs pour se faire payer par des renégats qui partent»3.

En effet, pour le père, Adel fréquente un endroit à Alger qui est, à ses yeux, honni : l’ambassade représente l’ancien ennemi et les traitres de la révolution, un territoire interdit à un moudjahid qui a combattu la France du temps de la colonisation. le fils ainé, Mehdi, ayant obtenu son bac et qui préparait ces études de médecine, est décédé un certain octobre 1988. Il est donc le «martyr» de la famille aux yeux du père, lui qui a survécu à la guerre de libération et qui aurait pu tomber au champ d’honneur et être un chahid. La disparition tragique de ce frère si brillant et promu à un bel avenir : «a

1 Ibid, p.30 2 Ibid, p.58 3 Ibid, p.55

85

plongé des années la maisonnette dans une tristesse morbide»1. Il revenait donc à Adel la lourde charge de remplacer ce frère disparu tragiquement et d’apaiser les parents de cet immense chagrin. Mais au contraire, le lieu de travail d’Adel est source de problème et renforce encore plus la complexité de la relation entre le père et le fils. D’un côté un ancien Moudjahid qui croit à un certain idéal, de l’autre un jeune désœuvré, ne vivant aucun idéal et davantage préoccupé par sa situation précaire. La relation père/fils est extrêmement tendue, Adel est fréquemment puni ou violemment frappé :

«mon père commençait à prendre de l’âge, et avait probablement comme préoccupation l’héritage que je serai. Il emmènerait dans sa tombe ses bonne actions, mais laisserai derrière lui cette malédiction que j’incarnais à ses yeux et qui errerait en attendant de le rejoindre»2

Sa désobéissance et son obstination à vouloir trainer devant l’ambassade, malgré les mises en garde du père, traduisent une volonté de couper avec le passé et surtout avec ce père alcoolique qui a tout raté dans sa vie. Charles Bonn nous dit à ce propos :

«L'ouverture de l'espace paternel n'est qu'illusion. De l'espace maternel clos on est retourné à la sombre caverne de l'ancêtre». 3

Le seul moment où les deux hommes se réconcilient, c’est vers la fin du récit, lorsqu’Adel est à l’hôpital et que le père découvre impuissant, un enfant profondément fragile, vulnérable et en détresse :

«lorsque Omarou nous quitta, le paternel braqua son regard vers moi.

Contrairement à l’accoutumée, il n’y avait pas d’inimitié dans sa façon de me fixer. Je décelai même de la pitié dans ses yeux, comme si en rencontrant Omarou, il avait soudain pensé à l’exil qui m’attendait si je

1 Ibid, p.63 2 Ibid, p.170 3

(Charles Bonn. La littérature de langue française et ses lecteurs. Imaginaire et discours d’idées. Chapitre V la trahison des pères, in http://www.limag.refer.org/Textes/Bonn/LaLitt/LaLitt1.htm#_Toc528170171)

86

voulais vivre autre chose que la vie de rebut que menais dans ses parages» 1

Une réconciliation qui intervient au moment où Adel songeait à partir à l’étranger, un acte approuvé apparemment par le père qui sait désormais que son fils n’a rien à faire dans ce pays. Cette soudaine prise de conscience du père ne renvoie-t-elle pas également au titre du roman (Il aura pitié de Nous) puisque même cet ancien Moudjahid présenté comme sévère, voire tyrannique et qui incarne la discipline, le passé, l’autorité et le pouvoir, va finalement pardonner à cet enfant et lui accorder sa bénédiction pour partir? Le rétablissement de la relation entre un fils malade devenu mélancolique et un père au tempérament difficile, se produit durant l’une de leur dernière rencontre, comme pour se séparer sur un éternel adieu.

En effet, c’est à partir de cette rencontre, que commence une sorte de reconstruction de soi pour Adel : en sortant de l’hôpital il part régler ses comptes puis au péril de sa vie, tenter l’aventure vers l’Espagne.

1

87

Documents relatifs