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Le Robert, Dictionnaire historique de la langue française, éditions Le Robert, Paris, 1994.

Dans le document Le poids de mer (Page 38-49)

15 alors qu'elle-même, les mains serrées

17 « Mais c'est en même temps, du même coup, qu'on devient

3. Le Robert, Dictionnaire historique de la langue française, éditions Le Robert, Paris, 1994.

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Heidegger explique d'abord par les termes de Platon l'idée de l'identité comme égalité.

« Dans le Sophiste Platon parle d'arrêt et de changement et fait dire à un personnage "chacun est lui-même à lui-même le même." »'

De là, il change la formule de l'identité de A = A, vers A est A, qu'il explique de cette façon :

« Tout A est lui-même le même, avec lui-même. »2

Dès lors, il donne à penser, que l'identité implique une relation (il utilise le mot, médiation).

«Le même en effet, est percevoir (penser), aussi bien qu'être. »3

Puis il se sert d'une phrase de Parménide «L'être a sa place dans une identité. », pour en arriver à cette proposition :

« La pensée et l'être ont place dans le même et se tiennent l'un l'autre à partir de ce même. »4

« Nous expliquons l'identité comme étant une appartenance mutuelle. »5

J'ai l'impression que œ que Heidegger décrit, à propos de l'identité comme relation, se retrouve aussi, malgré et avec l'altérité que ça implique, dans mon rapport à l'autre. De sorte que mon identité n'est approchable que dans ce rapport. De même, je aois que ce que je suis en moi-même, compose avec une altérité inaliénable.

1. Ibid. Heidegger, Martin, Identitéet différence, dans Question 1, Gallimard, Coll. Oassiques de la philosophie, Paris, 1982. 2. Ibid. 3. Ibid. 4. Ibid. 5. Ibid.

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...Il a fallut que quelque chose se fasse tout seul...

Quand on se donne comme but, de créer du neuf, on répugne, cela va de soi, à user de choses attendues. Mais lorsqu'ils s'imposent à nous de manière insistante et naturelle, refuser d'y entrer relève d'un durcissement intellectuel qui confine à la prétention et la bêtise.

Ce serait donc toujours sur deux plans, divisibles eux-mêmes en deux, que se fonderait l'identité.

Je vais à Montréal chez des amis qui me soutiennent dans la réalisation du film. Nous avons peu de temps pour trouver l'endroit du tournage, et cherchons sur les rives du fleuve sans trouver d'accès pour le matériel qui risque d'être lourd. Au retour, Christine traverse un grand cimetière, son trajet quotidien. Et il arrive que nous nous y perdions pendant plus d'une demi-heure. C'est un véritable labyrinthe et comme nous repassons pour la troisième fois devant la même tombe, je dis : « si nous nous retrouvons ici encore une fois, j'y lais le film. »

Et c'est ce qui est arrivé!

J'ai quand même fait en sorte que la prise de vue soit floue autour du personnage, pour minimiser l'image du cimetière.

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Je vais mourir. Je ne sais pas quand, mais j'ai la sensation de ça... et peu importe quand, je sais que tout ça va finir...

Ce qui se perd

D'emblée, l'événement se situe toujours hors de la réalité immédiate du public.

Aucun discours, ni dénonciation touchant à des contingences d'ordre social, culturel, féministe ou autre.

Mon travail s'intéresse à la fois à cet état de dereliction dans lequel nous nous trouvons tous, à la sensation de perte (Heidegger dirait l'être pour la mort), à ce qui est tellement près de nous, que nous ne le voyons plus. Ce sont les conditions toujours actuelles de chaque humanité, devant lesquelles aucune hiérarchie ne résiste.

Mais comment donner à voir des évidences, dans le lieu même de leur effectuation, sinon par une sorte de détour symbolique ?

Qu'importe l'histoire personnelle de celui-ci qui s'en va mourir ? Les détails de sa vie se sont fondus dans l'eau d'une peur sacrée. Il ne sait plus son nom, occupé qu'il est à essayer de frayer là où se tient la toute puissance. Et la mort est puissante. Il vient toujours un moment où elle reste comme dernière issue, dernier essor.

Dans l'événement, il y a une rupture avec le règne de l'objet. De la sorte nous contraignons le consommateur à éprouver maintenant, ce qui excède le présent.

Nous sommes au sein de ce qui va se perdre. Peut-être est-ce ce qui touche au plus près la condition de tous. À celui qui s'inquiétait

...Il a fallu que ce soit l'objet qui nous donne en quelque sorte rendez-vous, pour que j'aie la chance que ça m'arrive à moi aussi.

Que je ne découvre ce qui arrive, qu'au moment où j'étais déjà là, les deux pieds dans lafontaine...

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devant un art qui ne soit pas garant d'une pérennité, il a été répondu ceci : « Au lieu de demander s'il y a une vie après la mort, ne pourrions-nous demander s'il y en a une, avant la mort ? » La performance, serait l'avènement concret de cette question qui s'est fait jour.

La durée de la chute de sel variant avec le degré d'humidité, il n'a pas été possible de synchroniser le film avec elle. Si bien que je ne savais lequel des deux finirait en premier.

La matière (le sel sans l'image) ? L'image (le film) ?

«Fonction perverse détournement du désir hors de l'investissement d'objet. La performance serait désirable, non d'être un travail, mais d'être un presque spectacle: sans plénitude, sans achèvement, mais laissant voir que ça pourrait être achevé. »'

Je n 'ai jamais décidé de m'adresser à toi. Et c'est sans faire exprès que je t'ai retrouvé sur la pellicule, t'en allant encore toujours. Je fus pareille alors, au poète tenu dans la lumière sachant qu'elle va s'éteindre.

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«autre pareil» qui me fût destiné. Mais après toi, n'est resté qu'un espace étale, «un tout autre».

Comme je me suis sentie triste et heureuse, libre de tout, de tout faire, comme si j'avais en moi, la suite de ta vie en allée dans son cours.

Notre audience est emmurée dans mes gestes. Et pour toujours je vais sur la pointe des pieds de peur de la couvrir de mon pas !

Il n 'existe plus mon «autre pareil». Je suis seule pour tout, pour toujours !

Maintenant je ne veux pas te parler, ni me rappeler de toi. Tu es « tous » mort. Je veux que toi tu me parles, que tu m'aimes, et me consoles de ne plus pouvoir te parler qu'à travers le silence et l'impossible.

C'est la matière qui s'épuise en premier. Je deviens le seul support de l'image. Je m'avance hors de l'espace de la boîte, et je ramasse dans mon kimono, une part du sel accumulé au sol. Puis j'en fais glisser devant mes pas comme on se fait un chemin. Je marche sur la matière de l'image en allée...

L'état de dereliction, le sentiment de toutes les pertes, nous occupent. Mon travail est une tendresse qui veut s'en occuper.

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Mes événements sont très courts. Quelques minutes à peine.

Dans le poisson je pense que la force magique qui s'en dégage tient en partie à cela.

« [...] le peintre ne dispose que d'un instant : celui qu'il va immobiliser sur la toile ; cet instant, il doit donc bien le choisir, lui assurant à l'avance le plus grand rendement de sens et de plaisir : Nécessairement total, cet instant sera artificiel irréel : ( cet art n'est pas réaliste), ce sera un hiéroglyphe où se liront d'un seul regard (d'une seule saisie, si nous passons au théâtre au cinéma) le présent, le passé et l'avenir, c'est-à-dire le sens historique du geste représenté. Cet instant crucial, totalement concret et totalement abstrait, c'est ce que Lessing appellera l'instant pregnant [ . . . ] . » '

Temps réduit, comme toute éternité, pas de chronologie.

Qu'est-ce que je veux dire par-là ?

Je veux dire que l'étalon servant à mesurer le temps est aboli. On voit bien que quelque chose se passe et change, pourtant on n'a pas de repère, même avec le sablier et même si ce sont des gestes et des actions qui se font, parce que le personnage de l'événement n'apparaît pas dans les contingences du quotidien. De plus, on pourrait penser que ce qui se passe pourrait se répéter à l'infini ; nous sommes mis en présence d'une action en quelque sorte à jamais irrésolue.

Le temps est réduit à ce qui arrive. Il apparaît donc comme durée.

Bachelard, Gaston, [Intuition de l'instant, Gonthier, Paris, 1966.

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Temps : [ ] «temps, fraction de la durée », distinct de aevum (âge), qui indique plutôt le temps dans la continuité. C'est pourquoi on emploi fréquemment en latin le pluriel

tempora «portions de temps, époques », [...] moments du jour. »'

Age : [ ] «est un dérivé du mot plus ancien aevum «temps, durée » (qui s'oppose à fempus, dont le sens premier est «instant»). Ces mots continuent le nom indo-européen de la durée, de la force vitale, ai-w, radical dont les descendants sont attestés en persan, grec [aiôn), dans les langues germaniques, etc., et que l'on retrouve dans le latin juvenis (jeune). »2

En choisissant de faire des événements très courts, quelques minutes tout au plus, un deuxième phénomène arrive : l'événement devient si fugace, que ça donne un effet magique. Un peu comme on peut le ressentir pour un feu de Bengale.

Il est certain que tout son effet se perdrait, s'il durait ne serait-ce que quelques minutes. Je crois que ça se perdrait dès lors que notre attention se fatiguerait et se tournerait vers autre chose. Le feu de Bengale demande et capte notre attention pour toute la durée de sa vie.

Je crois qu'une très petite portion de quelque chose est plus à même de contenir un tout, qu'une grande portion de cette même chose. Est- ce que ça n'est pas là qu'apparaît la justesse du recours aux symboles, les figures emblématiques ou allégoriques ? Ces espèces de raccourcis qui au lieu de réduire, ramassent, condensent ce qui autrement ne saurait être montré, même de manière exhaustive sans être exsangue ?

1. Le Robert, Dictionnaire historique de la langue française, éditions Le Robert, Paris, 1994.

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Dans l a logique du sens, Deleuze expliquant les paradoxes qui fondent le sens, met l'idée de l'événement en rapport avec le temps.

Il divise les corps,

« [ . . . ] avec leurs tensions, leurs qualités physiques, leurs relations, leurs actions et passions, et les états de choses correspondants. [...]Le seul temps des corps et états de choses, c'est le présent. »

et les effets.

« [ . . . ] des «incorporels». Ce ne sont ni des qualités, et propriétés physiques, mais des attributs logiques ou dialectiques. [...] Ce ne sont pas des choses ou des états de choses, mais des événements. On ne peut pas dire qu'ils existent, mais plutôt qu'ils subsistent, ou insistent, ayant ce minimum d'être qui convient à ce qui n'est pas une chose, entité non existante. Ce ne sont pas des substantifs ou des adjectifs, mais des verbes. Ce ne sont pas des agents ni des patients, mais des résultats d'actions et de passion, des «impassibles » - impassibles résultats. Ce ne sont pas des présents vivants, mais des infinitifs : Aiôn illimité, devenir qui se divise à l'infini en passé et en futur, toujours esquivant le présent. Si bien que le temps doit être saisi deux fois, de deux façons complémentaires, exclusives l'une de l'autre : tout entier comme présent vivant dans les corps vivants qui agissent et pâtissent, mais tout entier aussi comme instance infiniment divisible en passé-futur, dans les effets incorporels qui résultent des corps, de leurs actions, et de leurs passions. Seul le présent existe dans le temps, et rassemble, résorbe le passé et le futur ; mais le passé et le futur seuls insistent dans le temps, et divisent à l'infini chaque présent. Non pas trois dimensions successives, mais deux lectures simultanées du temps. »'

1. Deleuze, Gilles, deuxième série de paradoxes des effets de surfaces, la logique du sens, Les éditions de minuit, coll. «critiques», Paris, 1969.

Souvent, je pense avoir perdu beaucoup de temps à hésiter,

à retenir,

ce qui ne demandait qu'à être. Mais, lorsque je m'arrête sur ce qu 'insensiblement le doute, la peur,

et tous les chemins de traverse ont permis,

Je me dis : «ce temps-là, je l'ai pris ! »

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J'aime ce temps qui divise et rassemble. En cela, il voisine l'inquiétante étrangeté, le symbole, le rapport à l'autre, ce toujours prochain...

Dans le document Le poids de mer (Page 38-49)

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