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4.4 Modes de résonance de la cavité

5.1.3 Retournement temporel en milieu désordonné

La première démonstration expérimentale de la réversibilité des ondes acoustiques en milieu multiplement diffuseur désordonné a été menée par A. Derode en 1995 [73].

Dans l’expérience initiale, le milieu de propagation est constitué d’un échantillon de 2000 tiges réparties aléatoirement, d’épaisseur 75 mm. Une source ponctuelle émet un signal bref (de l’ordre de la microseconde) autour de 3,5 MHz. Les signaux transmis présentent alors une forte contribution incohérente, de très longue durée (250 µs), qui résulte de la diffusion multiple sur les tiges. Après repropagation des signaux retournés temporellement, non seulement la com- pression temporelle s’est révélée excellente, mais la focalisation spatiale était également bien meilleure que celle obtenue en l’absence de l’échantillon multiplement diffuseur. Une résolution apparente de l’ordre d’un sixième de la limite de diffraction a pu être constatée.

Nous présentons les principales explications de ces résultats a priori surprenants, qui nous serviront également à comprendre et interpréter les résultats du retournement temporel à travers les cristaux phononiques.

Compression temporelle

On caractérise classiquement la qualité de la compression temporelle par le facteur de contrasteΘ, que l’on définit comme le rapport de l’amplitude du pic sur la racine de la puissance moyenne du bruit environnant, soit :

Θ = maxt(Sii(t)) q 1 b−a Rb a S 2 ii(t)dt (5.9)

où [a,b] est une fenêtre temporelle prise dans le bruit, en dehors du pic.

Il a été montré que le facteur de contraste était proportionnel à la racine carrée du nombre

N de grains d’informations, celui-ci étant défini comme le rapport∆T/τ, où ∆T est la longueur

du signal diffusé et τ la durée caractéristique de l’impulsion initiale [74].

Alternativement, on retrouve également une expression du nombre de grains d’informations dans le domaine de Fourier, puisque τ ≈ 1/∆ω où ∆ω est la largeur de bande passante, et ∆T ≈ 1/δω où δω est la largeur caractéristique de la fonction d’autocorrélation fréquentielle. D’où l’on tire N = ∆T/τ ≈ ∆ω/δω [78].

A. Derode a étudié l’évolution du facteur de contraste de la compression temporelle en fonc- tion de l’épaisseur de l’échantillon multidiffuseur dans la référence [78]. Cette première étude a montré une dégradation progressive du facteur de contraste pour des épaisseurs croissantes d’échantillons, du fait de l’apparition de lobes secondaires persistants dans la compression tem- porelle. La thèse de Victor Mamou confirme et précise cette étude, en démontrant que la qualité de la compression temporelle à travers des échantillons multiplement diffuseurs résulte de la compétition entre deux effets.

Dans un premier temps, on constate expérimentalement que l’augmentation de l’épaisseur de l’échantillon entraîne une diminution de la longueur caractéristique de corrélation fréquen- tielle δω. Cela traduit une décorrélation plus rapide du speckleen transmission.

En contrepartie, l’augmentation de l’épaisseur d’un échantillon de tiges a lieu au détriment de la largeur de bande passante. En effet, le spectre moyen de l’onde transmise s’appauvrit du fait des contributions résonantes des diffuseurs individuels [79], notamment autour de 2,7 MHz pour les tiges que nous utilisons.

Pour des échantillons de plus en plus épais, l’appauvrissement de la bande passante du signal transmis est un effet plus important que la diminution de la longueur de corrélation fré- quentielle. De fait, le nombre de fréquences indépendantes dans la bande passante (ou grains d’information) tend à diminuer, ce qui entraîne une chute du rapport signal sur bruit de la com- pression temporelle.

Cette étude a donc mis en évidence l’intérêt d’avoir un grand nombre de fréquences décor- rélées dans la bande passante pour obtenir une compression temporelle la plus proche possible de l’impulsion initiale.

5.1. Présentation du retournement temporel 81

Focalisation spatiale

Hyperfocalisation est le terme retenu pour qualifier l’amélioration de la résolution (c’est-à- dire la largeur à mi-hauteur de la focalisation spatiale) en présence d’un milieu multiplement diffuseur quelle que soit l’ouverture du miroir à retournement temporel.

Nous reproduisons ici la figure originale de la référence [73] qui illustre cette amélioration de la résolution de focalisation en milieu désordonné par rapport à la focalisation en milieu homogène de référence (figure 5.2).

F. 5.2 – Tâches focales mesurées à 3,5 MHz dans l’eau (trait fin) et à travers un échantillon multiplement diffuseur (trait gras) – figure issue de la référence [73].

Comment expliquer la dimension caractéristique de cette tache focale, qui semble inférieure à la limite de diffraction ?

En première approche, on peut considérer qu’un échantillon multiplement diffuseur suffi- samment large est capable d’intercepter une plus grande partie du spectre angulaire de la source que la barrette de récepteurs en milieu homogène. Les hautes fréquences spatiales de la source (représentées par un trait rouge sur la figure 5.3) –qui auraient été perdues en l’absence de l’échantillon– sont alors susceptibles d’être redirigées vers l’ouverture limitée de la barrette de transducteurs. De fait, un milieu multiplement diffuseur désordonné reporte dans le domaine temporel une information spatiale et joue le rôle d’une lentille acoustique lors de la phase de repropagation. L’expérience n’est donc pas en contradiction avec la limite de résolution prévue par les lois de la diffraction, puisque l’ouverture angulaire du milieu vu depuis la source initiale est supérieure à celle de la barrette.

Une autre explication, fondée sur la réciprocité de la propagation, nous permet de mettre en relation la largeur de la tache focale avec la longueur de cohérence spatiale des signaux transmis à travers l’échantillon.

Dans ce raisonnement, que nous empruntons à A. Derode [78], nous utilisons uniquement 3 transducteurs, notés i, j et l, tels que positionnés sur la figure 5.1. Le transducteur i émet un signal bref : le transducteur j enregistre hi j(t), qui est retourné temporellement puis ré-émis.

F. 5.3 – En milieu homogène, la tache focale après retournement temporel dépend de l’ouver- ture de la barrette (matérialisée par les traits bleus). Quand l’échantillon multiplement diffuseur est présent, les fréquences angulaires plus élevées de la source peuvent être redirigées vers l’ou- verture du réseau de transducteurs (traits rouges). Dans la phase de ré-émission, le retournement temporel crée alors une source de plus grande ouverture angulaire.

nous omettons volontairement le temps T pour alléger l’écriture. Au point l, le signal recréé par retournement temporel vaut pareillement hi j(−t) ⊗ hjl(t).

La focalisation spatiale Fi(l) peut alors être évaluée en fonction de la distance dil entre les

points i et l en prenant la valeur au temps zéro de hi j(−t) ⊗ hjl(t), c’est-à-dire

Fi(l)=

Z

hi j(t)hjl(t)dt=

Z

hji(t)hjl(t)dt par réciprocité (5.10)

La réciprocité permet ici de faire apparaître les réponses impulsionnelles hji et hjl des signaux

transmis en réponse à une excitation virtuelle depuis le point source j.

Il faut ensuite remarquer que la focalisation s’écrit aussi bien dans le domaine de Fourier :

Fi(l)=

Z

hji(ω)hjl(ω)dω (5.11)

Cette expression peut s’interpréter comme une moyenne sur les fréquences de hji(ω)hjl(ω),

c’est-à-dire comme l’estimateurDhji(ω)hjl(ω)

E

de la fonction de corrélation spatiale des signaux transmis.

En cela, la résolution spatiale en milieu multiplement diffuseur (i.e. la largeur à -6 dB de la tache focale) est simplement reliée à la longueur de cohérence spatiale du champ transmis à travers l’échantillon multidiffuseur, et non à l’ouverture angulaire du miroir à retournement temporel comme c’est le cas en milieu homogène. Cette interprétation permet d’expliquer une caractéristique de l’hyperfocalisation, qui est son indépendance en fonction du nombre de tran- ducteurs participant au retournement temporel.