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Retour sur les objectifs de la thèse et rappel des principaux résultats

Chapitre 4 : Discussion générale

4.1 Retour sur les objectifs de la thèse et rappel des principaux résultats

La présente thèse propose un examen systématique de la réponse pupillaire à titre d’indice psychophysiologique de la capture attentionnelle auditive, c.-à-d. d’une réorientation de l’attention vers un stimulus déviant qui se distingue de l’environnement acoustique selon les prévisions d’un modèle neuronal (voir, p. ex., Hughes et coll., 2005, 2007). Tel qu’indiqué précédemment, la présente thèse avait pour objectifs d’évaluer : (a) la

validité; (b) l’utilisabilité; et (c) l’utilité de la réponse pupillaire en tant qu’indice

psychophysiologique de la capture attentionnelle auditive. Bien que certaines études aient déjà effectué partiellement cet examen (cf. Maher et Furedy, 1979; Steiner & Barry, 2011; Stelmack & Siddle, 1982; Wetzel et coll., 2016), aucune analyse systématique de la validité, de l’utilisabilité, ni de l’utilité de la réponse pupillaire comme proxy de la réponse d’orientation auditive n’a été proposée jusqu’ici. Effectivement, les quelques études recensées parmi les écrits possédaient certaines limites qui devaient être surmontées en vue de fournir une évaluation plus rigoureuse de cette question.

4.1.1 Objectif 1 : Validité de la réponse pupillaire. Les études visant à évaluer la

validité de la réponse pupillaire en vérifiant si elle respecte les critères établis par Sokolov (1963a, 1963b) sont d’abord limitées en ce qu’elles possèdent un devis ne permettant pas nécessairement d’isoler chaque critère et de l’étudier indépendamment des autres. Par exemple, l’étude proposée par Steiner et Barry (2011) vise à mesurer la déshabituation, mais re-présente toutefois le son initial directement après la présentation du déviant auditif. Un tel devis soulève des questions quant à la validité de cette mesure. En effet, il est parfois considéré que la déshabituation représente en fait une activité résiduelle de l’activation produite par le son déviant (p. ex., Groves & Thompson, 1970; Thompson et coll., 1973). Ainsi, pour vérifier si la réponse pupillaire se déshabitue réellement au son initial, il est nécessaire de s’assurer que l’impact unique de ce son sur le tracé pupillométrique soit isolé et qu’il ne soit pas affecté par la présentation antérieure d’un déviant auditif. Aucune étude n’a par ailleurs tenté d’évaluer si l’amplitude de la réponse pupillaire pouvait correspondre à celle de la déviation auditive (voir cependant Liao, Yoneya et coll., 2016, et Wetzel et coll., 2016, pour un examen de l’amplitude de la réponse pupillaire selon la nature des déviants

employés). L’étude de Steiner et Barry n’était par ailleurs composée que de 24 sujets qui n’effectuaient qu’un seul essai pour chaque condition et les sons utilisés ne pouvaient être que de deux fréquences différentes. Un tel devis peut potentiellement diminuer la validité des résultats observés puisque les réponses pupillaires mesurées dans les deux seuls essais effectués pourraient avoir été largement affectées par les caractéristiques des sons choisis.

Le devis expérimental privilégié dans le Chapitre 1 permet cependant de tester les critères principaux d’un index de la capture attentionnelle auditive, et ce, de façon à pallier les limites méthodologiques des études qui se sont précédemment intéressées à ce sujet. Les séquences auditives utilisées dans les 32 essais effectués par les sujets étaient composées de 8, 10 ou 12 présentations d’un son standard puis d’un autre ensemble de 8, 10 ou 12 sons qui pouvaient être d’une hauteur tonale différente, suivis de deux présentations du stimulus initial (voir la Figure 1.1). Les répétitions du son déviant avant la re-présentation du son initial ont d’abord permis d’isoler l’impact de la déshabituation et de confirmer que cette réponse ne découlait pas d’une sensibilité accrue ou d’un effet résiduel suivant le déviant. Contrairement à Steiner et Barry (2011), le fait que la réponse attentionnelle ait pu s’habituer aux présentations répétées du déviant a permis de montrer que la déshabituation correspondait à une réaction produite par la présentation d’un son qui diffère du nouveau contexte auditif. Par ailleurs, les sons déviants présentés à répétition étaient d’une fréquence rapprochée ou éloignée du son standard qui, lui aussi, variait d’un essai à l’autre. Cette manipulation rendait la présentation du premier déviant et la re-présentation du son initial imprévisibles, augmentant ainsi les chances que cette déviation acoustique produise une capture attentionnelle (p. ex., Hughes et coll., 2013; Sussman et coll., 2003). De manière plus critique et contrairement aux études précédemment réalisées, cette manipulation a également offert la possibilité de contrôler l’amplitude de la déviation sonore afin d’évaluer si cette dernière pouvait, tel que prédit par Sokolov (1963b), être d’une magnitude plus élevée en présence d’une déviation plus grande et vice versa.

Les résultats de cette expérience montrent que la réponse pupillaire respecte les principaux critères d’un index valide de la réponse d’orientation (cf. Sokolov, 1963a, 1963b), soit : (a) qu’elle est sensible à l’occurrence d’un changement sonore dans l’environnement; (b) qu’elle respecte les critères de l’habituation, c.-à-d. que son amplitude diminue au fil de

la présentation répétée d’un même stimulus, qu’elle se rétablit lorsqu’une déviation acoustique est présentée, et qu’elle se rétablit à nouveau lors de la re-présentation du son initial sur laquelle elle s’était préalablement habituée; et (c) que son amplitude est reliée à celle de la déviation acoustique. Une telle démonstration permet d’ajouter la réponse pupillaire à la liste des indices psychophysiologiques valides de la capture attentionnelle auditive tels que la réponse électrodermale (p. ex., Barry, 1990; Steiner & Barry, 2011, 2014) et le potentiel P3 (p. ex., Escera et coll., 1998; Nieuwenhuis et coll., 2011; Schöger & Wolf, 1998; Steiner & Barry, 2011). Cette démonstration de la validité de ce proxy représente un premier pas vers l’exploitation de la réponse pupillaire pour étudier la réponse d’orientation auditive. Effectivement, les résultats de cette expérience appuient l’idée que la réponse pupillaire semble réellement refléter la réponse attentionnelle déclenchée face à une irrégularité acoustique imprévisible puisqu’elle se comporte de façon similaire aux autres indices psychophysiologiques valides de la capture attentionnelle auditive (p. ex., Siddle & Heron, 1977; Steiner & Barry, 2011, 2014). Les résultats présentés au Chapitre 1 permettent ainsi de remplir le premier objectif de la thèse.

4.1.2 Objectif 2 : Utilisabilité de la réponse pupillaire. La validité de la réponse

pupillaire à refléter la capture attentionnelle auditive ayant été démontrée, il semblait cependant nécessaire de vérifier si cet indice valide pouvait réellement être utilisé dans un contexte classique où ce phénomène est étudié. Les expériences publiées jusqu’ici sur l’utilisation de la réponse pupillaire comme indice de la capture attentionnelle auditive n’ont que très peu évalué si cet indice pouvait être utilisé dans un contexte où une tâche visuelle était réalisée simultanément à l’écoute des sons (cf. Liao, Yoneya et coll., 2016; Wetzel et coll., 2016). Or, une telle évaluation s’avère primordiale puisque la capture attentionnelle auditive est généralement étudiée dans un contexte de paradigme des sons non pertinents (ou

irrelevant sound paradigm) où les sons présentés doivent être ignorés au profit d’une tâche

visuelle pour laquelle la performance est mesurée. Cet examen est d’autant plus important considérant les nombreux facteurs visuels externes et les facteurs cognitifs qui sont reconnus pour affecter la taille de la pupille (voir, p. ex., Tryon, 1975; voir également le Tableau 1). Ces différents éléments pourraient mitiger l’utilisation de la réponse pupillaire pour indexer la réorientation de l’attention vers un déviant auditif en modulant le signal pupillométrique. Une telle situation produirait par exemple des variations indésirables dans le diamètre

pupillaire qui ne seraient pas exclusivement liées à la présentation du déviant sonore; nécessairement, il deviendrait difficile d’indexer exclusivement la réponse attentionnelle à l’aide de la réponse pupillaire. Un examen de la robustesse de la réponse pupillaire face au bruit visuel produit par les tâches visuelles réalisées dans les paradigmes de distraction auditive s’avère ainsi pertinent.

L’étude présentée dans le Chapitre 2 permet d’évaluer cette robustesse tout en privilégiant des tâches qui produisent des influences externes systématiques sur la pupille. Dans l’Expérience 1, les sujets effectuent une tâche de rappel sériel visuel de chiffres dont la présentation est synchronisée avec celle des stimuli auditifs. Ainsi, l’apparition et la disparition de ces stimuli visuels pertinents provoquent systématiquement un réflexe photomoteur, augmentant et diminuant le diamètre de la pupille par la diminution et l’augmentation de la luminosité sur l’écran, respectivement (p. ex., Mathôt et coll., 2014; Peysakhovich et coll., 2015; Tryon, 1975; Winn et coll., 1994). Dans l’Expérience 2, les sujets effectuent plutôt une tâche de compréhension de lecture dans laquelle, à chaque essai, un texte doit être lu et une réponse doit être fournie à une question portant sur ce texte. Nécessairement, la lecture des textes requiert que les yeux des participantes et participants soient en mouvement, biaisant ainsi les mesures du diamètre pupillaire (voir, p. ex., Brisson et coll., 2013; Jainta et coll., 2011; Nyström et coll., 2016).

Les résultats montrent que la réponse pupillaire peut être utilisée pour indexer la réponse attentionnelle causée par la présentation d’un déviant sonore, et ce, malgré les changements systématiques de luminosité et les mouvements oculaires engendrés par les tâches de rappel sériel visuel et de compréhension de lecture (p. ex., Brisson et coll., 2013; Jainta et coll., 2011; Nyström et coll., 2016; Tryon, 1975). Par ailleurs, les résultats suggèrent que le niveau de distraction comportementale causée par la présentation d’un déviant auditif peut être associé à l’amplitude de la réponse attentionnelle telle qu’indexée par la réponse pupillaire (Expérience 1). Les résultats de cette étude montrent également que la réponse pupillaire est davantage sensible que les mesures comportementales classiques de performance alors que, contrairement à la réponse pupillaire, aucun effet de déviation n’est observé dans la tâche de compréhension de lecture (Expérience 2). Une telle démonstration appuie l’idée que la réponse d’orientation auditive peut être indexée par la réponse pupillaire

dans des contextes typiques d’étude de la distraction auditive. Effectivement, malgré le bruit qu’exercent les tâches visuelles sur le signal pupillométrique, la réponse attentionnelle déclenchée par le déviant auditif est tout de même identifiable grâce aux variations dans le diamètre pupillaire. Cet indice est donc utilisable dans un contexte où la capture attentionnelle auditive est habituellement étudiée, ce qui permet de remplir le second objectif de la thèse.

4.1.3 Objectif 3 : Utilité de la réponse pupillaire. La validité et l’utilisabilité de la

réponse pupillaire comme proxy de la réponse d’orientation auditive ayant été établies, il appert toutefois de se questionner sur l’utilité de cet indice. Aucune étude n’a réellement vérifié en quoi l’utilisation de cet indice pouvait représenter un avantage ou si celle-ci permettait de répondre à une question théorique concernant la réponse d’orientation ou, de façon plus générale, la distraction auditive. L’étude présentée dans le Chapitre 3 permet cependant de montrer que d’utiliser la réponse pupillaire comme indice de la réponse d’orientation permet de fournir des arguments supplémentaires à un débat théorique dans le domaine de la distraction auditive. Ce débat oppose les tenants de l’approche unitaire de la distraction auditive (p. ex., Bell et coll., 2010; Cowan, 1995, 1999; Elliot, 2002) et ceux de l’approche binaire de la distraction auditive (p. ex., Hughes, 2014; Hughes et coll., 2005, 2007; Sörqvist, 2010) qui ne s'entendent pas quant à l’idée que l’effet d’état changeant découle, ou non, de mécanismes similaires à l’effet de déviation.

L’expérience montre que la réponse pupillaire peut effectivement contribuer à faire cheminer ce débat théorique qui concerne les deux principales formes de distraction auditive et départager si elles sont toutes deux sous-tendues par la capture attentionnelle. Comme il peut être observé dans cette étude, seul l’effet de déviation est déclenché par la réponse attentionnelle; l’effet d’état changeant, qui est causé par l’exposition à des stimuli auditifs changeants, ne semble pas provenir de la réorientation de l’attention. Effectivement, alors que la présentation d’un déviant auditif déclenche une réponse pupillaire phasique, la présentation des sons changeants n’entraîne aucune variation rapide dans la taille de la pupille. Ainsi, il semble que seuls les changements acoustiques qui constituent un bris dans la régularité acoustique de l’environnement sonore ont le potentiel de déclencher une réponse attentionnelle et, conséquemment, une réponse pupillaire. L’expérience permet ainsi de

montrer que la réponse pupillaire peut être utile pour les études qui s’intéressent plus globalement aux mécanismes desquels la distraction auditive découle, ce qui permet de remplir le troisième objectif de la thèse. Par ailleurs, le fait que la pupille de l’œil soit à la fois sensible à la réponse d’orientation et affectée par la charge cognitive (p. ex., Beatty, 1982a; Kahneman, 1973; Unsworth & Robison, 2017) a également permis d’appuyer l’idée que l’effet d’état changeant découle d’une hausse de la charge mentale produite par l’inhibition des processus de sériation automatiques des sons à ignorer (cf. Hughes & Jones, 2003, 2005; Hughes et coll., 2007). Dans l’ensemble, il semble donc que l’examen systématique de la pupillométrie à titre d’index de la capture attentionnelle auditive proposé par la présente thèse permet de remplir les trois objectifs fixés et suggère que la réponse pupillaire peut être exploitée pour étudier ce phénomène.

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