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3.1. Recherche-action et réflexivité des services

La recherche-action vise à produire des connaissances scientifiques sur des problématiques d’action dans lesquelles le partenaire est impliqué, et contribue à éclairer celles-ci lors de leur pilotage. Ces deux objectifs, posés d’emblée en parallèle, sont en fait étroitement corrélés entre eux, l’un permettant de contributer à l’atteinte de l’autre. En d’autres termes, ce sont des « objectifs réciproquement transitifs » (Palmade).

Tout d’abord, la production de connaissances est utile aux actions à conduire. Il est bien souvent difficile de mettre des mots sur les relations entre soignants et malades, et de formaliser les actions à envisager. Le fait de produire des connaissances sur ces relations et le système complexe au sein duquel elles s’expriment contribue à ce travail d’élaboration mentale partagé dans l’équipe. Elles permettent de donner du sens à l’action collective ou de la renforcer.

Réciproquement, les connaissances sur les démarches engagées dans le service ne sauraient exister indépendamment de toute action. Dit autrement, pour qu’il y ait création de connaissances sur les processus de transformation, il faut nécessairement que ces processus existent en tant que tels.

En résumé, il y a une forte utilité à coupler les démarches de transformation des pratiques des services avec un recul réflexif, et la recherche-action peut contribuer à jouer ce rôle.

3.2. A propos du chercheur-malade

Une question majeure de cette étude consiste à comprendre les représentations et attitudes du point de vue des personnes dans les différentes positions, soignants et malades. Cette compréhension inclut nécessairement pour chacun d’eux leur subjectivité, en fonction à la fois de leur vécu des situations et, plus profondément, de leur rapport existentiel au monde, ainsi que de leur(s) rôle(s). C’est un enjeu de recherche important, qui ne saurait se contenter d’observations extérieures aux sujets. L’approche compréhensive, centrée sur les dimensions

en intériorité8 des sujets, nécessite la participation active des personnes concernées par la

recherche. Au niveau de l’attitude des chercheurs, les qualités d’écoute et d’empathie sont donc essentielles. Toutefois, comprendre ce que peut vivre un malade dont l’intégrité physique, voire le pronostic vital, sont engagés, est d’une grande complexité. Il en est de même pour les personnels soignants qui sont en relation avec les malades. Ce questionnement a infléchi radicalement les choix méthodologiques.

La présente recherche-action possède une spécificité majeure, celle d’avoir sélectionné des profils de certains chercheurs dont pour partie les caractéristiques relèvent des populations associées à la recherche :

                                                                                                                         

- Une infirmière en exercice dans un service hospitalier ; certains autres chercheurs ont aussi un passé d’infirmier avant de devenir enseignant-chercheur.

- Mais surtout, un chercheur lui-même atteint d’une maladie grave. Ce chercheur a été

pressenti selon cette double caractéristique de malade et de spécialiste en pédagogie et psychosociologie des organisations.

- Dans la composition de l’équipe, il convient également de mentionner le fait qu’une

chercheure est formatrice en ETP et enseignante dans un corpus universitaire dédié à l’ETP. Elle est donc une interlocutrice privilégiée des référents ETP des différents sites. Cette diversité et ces expériences contribuent à la connaissance, « de l’intérieur », des problématiques en jeu et ce, sous des angles multiples.

Mettons tout particulièrement la focale sur la participation du chercheur malade. Celle-ci a été essentielle. Son rôle a évolué entre le tout début de la recherche et son déroulement ultérieur. Dans un premier temps, il a été pressenti par le responsable de la recherche pour donner son avis sur les questionnements qui allaient être effectués auprès des malades. Cette demande a été guidée par un souci de justesse des propos et par la volonté de ne pas engendrer des anxiétés inutiles, et de leur permettre de contribuer le plus librement possible à cette recherche. Sa sensibilité de malade a ainsi aidé à ce travail. Après une première réunion de ce malade avec le groupe de chercheurs, l’utilité de sa participation à la recherche est rapidement apparue évidente à tous, tant pour les réflexions sur l’organisation des recueils de données que, par la suite, pour les analyses de celles-ci. Ce chercheur, avec une intelligence sensible aux données recueillies, a permis à plusieurs reprises d’aller à l’essentiel des problématiques en jeu.

Associer un chercheur malade n’allait pas de soi d’emblée. Une question importante, d’ordre éthique, se posait à propos de sentiments de souffrance dans lesquels pouvait se trouver ce « grand témoin » à évoquer des situations douloureuses qui le concernent d’aussi près.

Plusieurs éléments ont décidé de cette collaboration étroite jsuqu’au terme de la recherche. Le premier est la prise de conscience que ce type de démarche est possible, qui nous est apparue en apprenant qu’un Master en ETP sous la responsabilité de Catherine Tourette-

Turgis, professeur à l'Université Pierre et Marie Curie, accueille des malades parmi ses

étudiants.

Le second élément est la règle de fonctionnement établie entre le chercheur malade et le responsable de la recherche, selon laquelle il revenait à ce chercheur de décider à tout moment s’il souhaitait continuer à s’impliquer ou non. Mais, comme il le dit lui-même : « C’est un choix fait entre adultes consentants, chacun gardant sa liberté à tout instant ». La confiance entre ces chercheurs, préalable à cette recherche, était aussi une garantie pour chacun de l’attention de la part de l’autre.

Enfin, le chercheur n’est pas intervenu dans les services, directement en contact avec les malades.

Pour résumer, le choix d’intégrer un expert-malade dans l’équipe de chercheurs a permis

d’être dans une écoute fine des relations soignants-malades. Bien plus, en agissant sur la dynamique interne des chercheurs, ce dispositif a en quelque sorte autorisé les services à se questionner sur la place des malades dans le service, même si la présence d’un malade dans l’équipe de chercheurs n’a été rendue publique que vers la fin de la recherche.

La recherche-action a eu pour effet principal de permettre aux services mais aussi à l’équipe de chercheurs de travailler sur leurs représentations, que ce soit sur le rôle du malade, la relation soignant-malade, les questions relatives à la prise de risque et la place de la confiance dans les relations. Elle a aussi été l’occasion d’une réflexion sur la maladie chronique et sa place dans la société.