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PARTIE 3 : ANALYSE DU CORPUS

B. L’oralisation

IV. RETOUR SUR LA LANGUE DES SIGNES

1. Noms donnés à la langue des signes 1.1.Langage des signes

Lors de nos entretiens, trois locutrices utilisent le nom de "langage des signes" pour désigner la langue des signes. Ce sont Sabine [Sabine : 3 ; 7 ; 13], Carine [Carine : 32] et Emmy [Emmy : 13 ; 15]. L’utilisation d’un nom aussi approximatif que "langage des signes" est la preuve d’une connaissance de la langue des signes très partielle, puisque son véritable nom est inconnu. Elles semblent cependant savoir ce qu’est la langue des signes, puisque d’après les entretiens, aucune de ces locutrices ne confond la langue des signes avec le mime, par exemple.

L’extrait suivant montre bien que Carine a une relative connaissance du vocabulaire qui a trait à la langue des signes puisqu’elle ne connaissait pas le verbe "signer", que nous avons dû définir.

- D’accord. Alors, est-ce que vous avez déjà vu des personnes signer ? [Enq : 27] - Est-ce que j’ai déjà vu des personnes… ? (froncement de sourcils) [Carine : 27] - Signer. / Parler avec les mains. [Enq : 28]

Rappelons seulement que la langue des signes n’a été reconnue comme langue à part entière que dans les années 60 par Stokoe, mais qu’elle ne l’a été par l’état français qu’en 2005. Les mentalités et représentations sociales étant ancrées, leur changement est long, ce qui expliquerait le nom de "langage" au lieu de celui de langue.

72 1.2.Langue des signes

Trois autres infirmières connaissent également la langue des signes, mais aussi son nom correct, ce sont Valérie [Valérie : 6 ; 20], Fabienne [Fabienne : 8 ; 9 ; 10 ; 15] et Ludivine [Ludivine : 4 ; 6 ; 7 ; 10 ; 20 ; 24 ; 29 ; 31 ; 41 ; 45]. Chaque occurrence de ce mot a été relevée pour toutes les infirmières, nous remarquerons qu’il apparait de très nombreuses fois pour Ludivine, ce qui laisse supposer avant même analyse que c’est un sujet qu’elle maîtrise, ou au moins sur lequel elle a de nombreuses informations.

Fabienne utilise un vocabulaire très précis dans le domaine de la surdité, elle connait donc le nom de "langue des signes", mais aussi celui de "LSF" (langue des signes française). Elle précise d’ailleurs : "la langue des signes française, française ou étrangère d’ailleurs" [Fabienne : 8]. Ainsi, nous savons que Fabienne sait qu’il existe différentes langues des signes, dont celle française, ce dont Ludivine a également connaissance (nous reviendrons dessus plus tard).

Les trois enquêtées qui nomment correctement la langue des signes sont des personnes qui ont de bonnes connaissances de la langue des signes, des sourds et de la surdité, ceci sera vérifié pus tard, au cours des analyses. En effet, Valérie et Ludivine été amenées à rencontrer de nombreuses personnes sourdes dans leur cadre professionnel, et à côtoyer des personnes signantes. Pour rappel, Véronique travaille en service ORL et Ludivine a effectué un stage d’un mois au pôle accueil sourd de l’hôpital et a réalisé son travail de fin d’étude sur la communication sourds/soignants. Enfin, Fabienne a assisté plusieurs fois à l’intervention du pôle accueil sourds, et étant une proche parente de Ludivine, il est probable qu’elle ait lu le travail de cette dernière, mais aussi qu’elle ait eu part de son stage et de son déroulement.

Nous supposions que toutes les personnes interrogées connaitraient la langue des signes, ceci a été infirmé par le cas d’Emeline, qui ne la connaissait pas. En revanche, il est vrai que les autres infirmières connaissent la langue des signes sans pour autant la nommer correctement. Le nom de langue des signes ne semble pas si connu, il faut dire que la médiatisation de la langue des signes et des sourds ces dernières années l’ont fait connaitre sans pour autant apporter des connaissances précises.

2. La langue des signes, qu’est-ce que c’est ? 2.1.De nombreux critères, notamment linguistiques

Ludivine ne se sent pas capable de décrire la langue des signes : "je ne peux pas la décrire" [Ludivine : 29], et pourtant, c’est elle qui nous donnera la définition la plus détaillée, la plus proche.

Ludivine précise que la langue des signes est "reconnue comme langue à part entière que depuis quelques années. Je crois que c’est 2005" [Ludivine : 24]. Elle nous explique que la langue des signes possède sa propre syntaxe, les sourds n’utilisent "pas la même syntaxe que nous dans les phrases" [Ludivine : 23]. En effet, de nombreuses personnes pensent que la

73 langue des signes est une traduction de la langue française, alors que c’est une langue qui a une syntaxe très différente, mais aussi un vocabulaire bien spécifique. Plus tard, elle donnera un bon exemple des différences linguistiques : "à l’oral on va avoir des adverbes : grandement, fortement… et eux, ils vont amplifier le geste". Elle explique également que le mime "peut être de la langue des signes sans s’en rendre compte" [Ludivine : 24]. Elle fait ici référence à l’iconicité de la langue des signes, qui est plus marquée que pour les langues vocales. Elle présente également les variations lexicales de la langue des signes française : "il y a différents types de langue des signes dans chaque pays, même dans chaque coin en France" [Ludivine : 31].

Nous pouvons aisément déclarer que Ludivine a une très bonne connaissance de la langue des signes : de son fonctionnement syntaxique, de son statut officiel, de son iconicité, de ses variations…

2.2.Un moyen de communication particulier et intrigant

Lorsque nous demandons à Sabine de décrire la langue des signes, elle utilise des critères esthétiques : "je trouve que c’est artistique parce que/ c’est beau de voir ces doigts qui bougent dans tous les sens" [Sabine : 10]. "C’est de l’éblouissement comme quand on rencontre des gens qui sont / beaux / qui bougent bien, quand ils dansent, on les regarde." [Sabine : 10]. L’infirmière établit même un parallèle entre la danse et la langue des signes, comme si les deux étaient de l’art, elle l’évoque d’ailleurs : "pour moi, c’est ce côté très artistique." [Sabine : 10]. Cette vision est assez rependue, Pontier remarquait d’ailleurs dans son analyse, que de nombreuses locutrices trouvaient la communication gestuelle belle (Pontier, 1999).

Les sentiments des personnes face à la langue des signes et à la surdité sont répartis sur un continuum qui va de la fascination à la répulsion. Les deux extrêmes sont dans l’émotivité, dans la subjectivité face à de telles singularités. Sabine est dans la fascination, elle perçoit la seule dimension esthétique. Il est fréquent que face à une langue minoritaire, ce soit les dimensions esthétiques et affectives qui soient mises en avant. Ici, la description ne fait pas mention des dimensions communicationnelles, linguistiques ou autres.

La langue des signes est une langue qui intrigue, elle peut tour à tour fasciner ou rebuter. Elle est si différente de toutes les langues que l’on connait, et pour cause, c’est la seule langue humaine qui utilise le canal visuo-gestuel (Bertin, 2010). Lorsqu’il est question de décrire la langue des signes, ce n’est pas évident, et cette curiosité ressort.

Cette difficulté, Ludivine l’a très bien exprimée : "c’est un peu dur, c’est très abstrait pour quelqu’un qui parle le français et qui oralise, de comprendre ça" [Fabienne : 14]. Elle avoue

74 que "ça semble un peu bizarre pour les personnes qui ne connaissent pas la langue des signes…" [Ludivine : 29]. Son analyse est très pertinente, peu d’entendants comprennent réellement ce qu’est la langue des signes, même après de longues explications.

Les témoignages qui suivent illustrent justement cette curiosité. Carine explique : "je trouve ça fantastique de pouvoir communiquer comme ça" [Carine : 43]. De même, pour Sabine : "je trouve ça formidable qu’on puisse communiquer par autre chose que des mots / qui sont / que je maitrise" [Sabine : 10]. Elle explicite clairement un des éléments qui l’intrigue, après la dimension esthétique. Elle ajoute ensuite : "c’est époustouflant à voir" [Sabine : 7].

Fabienne aussi, se pose les mêmes questions que Carine : "je suis toujours assez impressionnée de voir des personnes signer parce que je me demande, rien qu’avec les gestes, comment on peut… on peut dire autant de choses qu’avec des mots. " [Fabienne : 13], elle ajoute qu’elle y trouve " un côté un peu mystérieux" [Fabienne : 13]. Fabienne possède quelques connaissances de la langue des signes, ce qui ne l’empêche pas de s’interroger quant à cette langue et à ses procédés.

La langue des signes ne semble pas laisser les infirmières interrogées sans réactions. Il nous semble que ce sont des observations positives, même si elles occultent beaucoup l’aspect linguistique. On remarque beaucoup d’étonnement, de surprise et d’admiration.

2.3.L’avis de Valérie : une langue vouée à disparaitre

Valérie a un discours quelque peu radical, elle considère que "les sourds signants, il y en aura de moins en moins en France" [Valérie : 7]. La langue des signes serait donc vouée à disparaitre grâce aux dépistages et des implantations. Le point de vue de Valérie est très fort, et quelque peu simpliste, car même si les appareillages et les implantations augmentent, cela n’empêche pas d’apprendre et d’utiliser les langues des signes. Dagron reconnait cependant que c’est un risque (Dagron, 2008). On suppose une forte influence du corps médical, avec qui elle est très en contact dans son cadre professionnel. En effet, la vision réparatrice de la surdité étant très majoritaire dans le domaine médical, la langue des signes demeure peu considérée au moment des choix éducatifs, par opposition à l’oralisme.

3. Une vraie langue ?

Nous l’avons suffisamment évoqué tout au long de ce travail : les langues des signes sont des langues : "ni suppléance, ni code pour contourner un manque d’audition, il s’agit d’une langue" (Dagron, 2008 : 14). Qu’en disent, mais aussi qu’en pensent les infirmières interrogées ?

75 3.1.Oui, d’après quels critères ?

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