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PARTIE 3 : ANALYSE DU CORPUS

C. Une incapacité

"C’est une incapacité, la surdité […] Le handicap sera autre chose, ça peut être effectivement, le résultat parce que cette personne qui est sourde, ne peut pas travailler, est dans un environnement favorable ou pas favorable." [Fabienne : 17]. Fabienne nous explique ce qu’est l’incapacité et le handicap, et les différencie. D’après Virole, "la répercussion de [la surdité]

55 sur la vie des sujets qui en sont atteints est fonction de [sa] répercussion sociale et culturelle" (Virole, 2006 : 226), c’est également ce dont Fabienne fait mention.

Enfin, un cas un peu à part : Emeline considère la surdité comme une pathologie : "on n’a aucune information avant que le patient arrive, sur sa pathologie." [Emeline : 10]. D’après Garnier, Delamare, J., Delamare, T. et Delamare, V., le terme de pathologie est parfois employé dans le sens de maladie, même si ce n’est pas son sens premier (Dictionnaire illustré des termes de médecine, 2009). Ici, notre locutrice considère la surdité comme une maladie de l’oreille, elle ne nous dit cependant pas si cette dernière présente un handicap.

3.2.Une source de difficulté de communication, donc d’isolement

Dans son travail de recherche, Mugnier évoquait le caractère redondant de l’isolement induit par la surdité (Mugnier, 2001), il en est de même dans notre corpus. En effet, de nombreux entendants considèrent que les sourds sont isolés ou repliés, même si c’est loin d’être le cas (Pelletier & Delaporte, 2002).

"Le premier terme qui viendrai, c’est / l’isolement" [Emeline : 21], elle nous explique ensuite : "enfin, ce serait mon cas, j’essaierai de ne pas m’isoler, parce que ce terme-là me fait peur, enfin, ça me touche." [Emeline : 32]. Ici, Emeline évoque même la peur, terme très fort. Afin de répondre à la question, elle se projette comme sourde, on sait cependant qu’il est presque impossible pour un entendant de s’imaginer sourd (Bertin, 2010).

Cette idée que les sourds sont des personnes isolées, qui ne communiquent pas, vient certainement du fait que la plupart des entendants n’ont jamais vu un grand nombre de sourds regroupés. De même, ils ignorent certainement l’existence des nombreuses associations sourdes et des rencontres sportives, culturelles ou commémoratives.

Carine considère que la personne sourde est isolée, mais qu’il existe une sorte de remède : l’appareillage : "c’est un grand isolement tant que la personne n’est pas appareillée" [Carine : 17]. Cette locutrice pense que l’appareillage seul est la solution à la sociabilisation, à l’intégration, ce n’est pas si simple. Tout d’abord, celui-ci doit être accompagné d’un intensif travail orthophonique, et il n’est pas prouvé que l’appareillage permette une meilleure intégration. Cette pensée est cohérente avec ce qu’a souvent annoncé la presse : les sourds vont entendre, plus de sourd, … (Dagron, 1994).

Valérie pense également que les enfants sourds souffrent d’isolement : "c’est souvent des enfants très très malheureux, qui sont marginalisés ou alors qui sont très brillants, intellectuellement, et qui réussissent au niveau scolaire, mais au prix d’un effort à faire. Qui sont des enfants fatigués, marginalisés, parce qu’ils sont en retrait, quoi." [Valérie : 10]. Cette assertion est à analyser en deux parties distinctes. Tout d’abord, les enfants malheureux et

56 marginalisés, Valérie fait surement référence aux enfants qui sont en intégration, tous ceux qui ne sont pas si bien intégrés. De même, l’utilisation du terme "très très malheureux" montre bien que l’infirmière a été en contact avec des enfants sourds et qu’ils dégageaient un mal- être. L’investissement est colossal et avant que l’enfant sourd ne sache oraliser, il est dans l’incapacité de s’exprimer et de communiquer de façon convenable. C’est de cet isolement et de ce malheur là dont parle certainement Valérie. Ensuite, elle évoque la réussite qui demande tant d’investissement, d’efforts et de sacrifices, ce que constate également le docteur Dagron (Dagron, 2008).

Elle déclare que les adultes "sont des gens, qui effectivement, se désociabilisent, qui ne vont plus aux réunions, aux trucs de famille" [Valérie : 11]. Cette assertion n’est pas fausse, les sourds entretiennent souvent des relations difficiles avec leur famille, qui est la plupart du temps entendante. Cela est d’autant plus vrai que les repas de famille sont très difficiles à suivre, tant il y a de locuteurs, que les discours se mélangent… En revanche, ce que semble ignorer Valérie, c’est que, si le sourd est parfois quelque peu à l’écart dans sa famille, il n’est pas pour autant isolé ou seul. Un Sourd est intégré au sein de la communauté sourde, il a de nombreux contacts avec d’autres Sourds, notamment par le biais des associations. Dalle- Nazébi compare d’ailleurs la famille entendante aux sphères scolaire et associative des Sourds (Dalle-Nazébi, 2004 : 2). La méconnaissance de la communauté sourde et de son fonctionnement laisse à penser aux entendants que les sourds sont isolés et désociabilisés.

Ludivine considère que "le fait de ne pas entendre, de ne pas pouvoir communiquer est vraiment un frein." [Ludivine : 16]. Lorsqu’elle dit que les sourds ne peuvent pas communiquer, il est sous-entendu que c’est avec des entendants, qui constituent presque l’ensemble de la population, ce qui complexifie les situations de communication, et donc la socialisation.

Valérie considère que :

- "Les enfants sourds, par exemple, sont des enfants violents, souvent, ce sont des enfants qui tapent. [Valérie : 10]

- Et à votre avis, pourquoi ? [Enq : 11]

- Et parce que, justement, ils ne sont pas dans la communication, il faut qu’ils s’expriment autrement. [Valérie : 11]

Valérie justifie ce comportement par la difficulté de communication, ce qui nous parait pertinent puisque tout être humain privé de langue (qu’elle soit vocale ou gestuelle), et donc privé de communication, ne peut se développer normalement. Nous relevons cependant une possible confusion entre la faculté d’oralisation et la faculté générale du langage, ce qu’observe fréquemment Virole (Virole, 2006). La réponse apportée par l’infirmière à cette difficulté communicationnelle n’est pas la langue des signes, mais la prothèse auditive. Nous aborderons ce sujet plus tard dans notre analyse.

57 Il est vrai que beaucoup d’enfants sourds ont été privés de langue pendant leur enfance. En effet, en attendant que l’enfant ne sache oraliser, il est dépourvu de moyen de communication, seul le toucher, le mime et les images peuvent aider, mais cela reste très rudimentaire. La langue des signes est malheureusement encore trop utilisée en dernier recours, lorsque l’oralisation n’a pas "réussi". Pourtant, elle permet aux enfants sourds le même développement que ceux entendants (Dagron, 1994).

Emmy considère que leur langue, qui n’est pas majoritaire, est une source d’isolement. "Je pense que du coup, le fait d’avoir un langage différent doit quand même les isoler en partie […] je pense. " [Emmy : 23]. Elle évoque plus une difficulté de communication, mais qui engendre tout de même des difficultés de socialisation, car les deux sont très fortement liées.

Emeline nous explique que "face à ces personnes-là […] moi je suis isolée dans mon coin, lui, il est isolé dans le sien. Il y a cette barrière-là." [Emeline : 21]. Tout comme Emmy, elle considère que l’absence de moyen de communication efficace est un obstacle. Cette "barrière", il est possible de la contourner en utilisant les outils adéquats, en faisant appel aux bonnes personnes, mais sans connaissances et moyens spécifiques, ceci reste impossible.

Ludivine expose très bien la singularité de la surdité en déclarant : "La surdité [c’est] dans les deux sens" [Ludivine : 6]" C’est également le point de vue que défend Bernard Mottez, il parle de "handicap partagé" (Mottez, cité par Dagron, 2008). De même, Dagron déclare que "la surdité est un rapport entre un entendant et un sourd" (Dagron, 2008 : 198), car les deux personnes en présence n’ont pas de langue commune pour échanger.

Ludivine définira d’ailleurs la surdité comme l’absence de moyen de communication : "c’est quand il n’y a pas de moyen de communication." [Ludivine : 7]. C’est certainement ce manque de mode de communication commun entre un sourd et un entendant, que les autres infirmières ont interprété comme un isolement.

L’infirmière nous explique comment elle en est arrivée à cette prise de conscience, car la surdité remet en cause des valeurs fondamentales, des représentations sociales ancrées, ce qui n’est pas évident (Dagron, 2008). Voici son premier contact avec le personnel du pôle accueil des sourds : "le médecin : docteur M., m’a fait rentrer dans son cabinet et il a commencé ses consultations en langue des signes. […] je me suis retrouvée, je ne comprenais rien. Et là, c’est moi qui étais sourde" [Ludivine : 6]. Cette anecdote prouve bien la réciprocité du handicap que peut être la surdité, dont Ludivine est la seule à avoir réellement conscience. Bertin disait la même chose que Ludivine : "la surdité est un rapport, il n’y a de sourds que parce qu’il y a des entendants" (Bertin, 2010 : 20).

Au travers des différents exposés sur la surdité, on se rend compte qu’il est possible d’en avoir des notions partielles, axées sur un seul domaine, sans pour autant en avoir une

58 connaissance totale. Ainsi, Carine a de nombreuses connaissances audiométriques et relatives à la prise en charge des enfants sourds ; Ludivine connait davantage les aspects communicationnels…

II.

EXPERIENCE AVEC UN SOURD ETCOMMUNICATION

DANS LE CADRE PROFESSIONNEL

1. Récits des rencontres

Nous allons rapidement présenter les expériences professionnelles de chacune des infirmières ont eu avec des personnes sourdes. Ces situations ont certainement permis aux infirmières d’alimenter leurs connaissances à ce sujet, de se remettre en question, de tenter de s’adapter au mieux…

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