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représentation p roposer Un ordre éphémère

1. Un retour à l’ordre précédent ?

a. Rangement et rencontre avec le public

Après le morceau final la représentation se prolonge encore un peu : les fanfarons rompent leur formation de jeu et rangent leurs instru- ments face au public. Dans le public, certains y voient le signal de la fin et se dispersent. D’autres restent spectateurs et observent avec curiosité les coulisses qui sont alors clairement visibles. Et enfin, quelques uns profitent de cette disposition singulière qu’offre l’es-

La fin de la représentation : un temps d’échange avec le public

91 pace public (le face à face, le « terrain de l’échange » qu’évoquait Patrick Bouchain) pour venir discuter directement avec les fanfarons. C’est l’occasion pour le public et les musiciens de se rencontrer au- trement et de discuter à chaud de ce moment partagé. Certains en profitent même pour nous proposer de jouer pour eux dans le futur et ces propositions se transforment parfois en véritables contrats. Peu à peu, les caisses d’instruments sont rangées, le public se dis- perse complètement et les fanfarons prennent le large. La pertur- bation de la représentation s’effiloche et l’organisation induite par la fanfare laisse place aux activités habituelles du lieu.

Ainsi, l’ordinaire reprend son cours. Mais l’état de l’espace public est-il vraiment le même que celui précédant la représentation ? La représentation a-t-elle une influence sur le lieu dans lequel elle se déroule, même après son passage ?

b. Du bouleversement éphémère à une «trace dans les mémoires». Jouer place Taksim, dans ce lieu d’expression au passé chargé de protestations contre l’autorité en place, a été perçu comme un trouble par les forces de l’ordre puisqu’on nous a formellement empêché de nous y représenter. Même une formation aussi modeste que la fan- fare a été vue comme une transgression d’un ordre qui cherche à s’établir. Notre statut d’étudiants européens ont aussi pu évoqué les manifestations de 2013 sur cette même place.

Le 28 mai 2013, un sit-in débute dans le parc de Gezi accolé à la place Taksim, à Istanbul pour protester contre le projet de piétonisation de la place en question. Face aux répressions violentes de la police, la mani- festation s’étend sur la place Taksim elle-même, puis dans de nombreux lieux à travers tout le pays et les revendications incluent alors la défense de la liberté de propos et du droit de réunion et la démission du gouver- nement en place. La moyenne d’âge des manifestants est de 28 ans (La mosaïque des manifestants du Parc Gezi d’Istanbul, Turquie News, 14 juillet 2013) et ce sont « principalement des jeunes ayant un certain niveau de culture et qui sont proche de l’Occident » (Europe et inégalités, La Tribune, 4 juin 2013).

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C’est donc parce que la représentation aurait pu causer un chan- gement dans le lieu qu’elle a été interdite. C’est la possibilité que le lieu ne soit plus le même après la représentation qui fait que nous n’avons pas pu y jouer.

Cette interdiction confirme donc que l’influence de la représentation se prolonge après le départ de la fanfare.

En interrogeant des spectateurs des arts de rue, Catherine Aventin en déduit qu’au delà des « traces »66 matérielles comme des confet- tis ou autres morceaux de décors abandonnés, les spectacles de rues laissent une « trace » dans les mémoires. Selon elle ces souve- nirs sont « associés »65 aux lieux de représentation : « A chaque fois maintenant [que je passerais ici], je vais repenser à Yvan le terrible ! » 65 déclare un spectateur en parlant en fait d’un spectacle appelé Yvan l’impossible 65. Elle observe ensuite que cette association entre le spectacle et l’espace qui le reçoit influent sur les comportements des citadins puisque certaines personnes retournent sur des lieux suite aux représentations auxquelles elles ont assisté pour « voir comment c’est en temps normal » 65 ou parfois de manière plus du- rable en l’incorporant dans leur parcours quotidien 65. Au delà d’une trace dans les mémoires, le spectacle agit alors comme un « stimu- lant [...] des lieux mais aussi des comportements » 65.

D’autre part, la perturbation de l’ordre habituel d’un espace par la re- présentation, donne à voir une autre organisation possible de ce lieu (qui est décrite dans le 2eme mouvement). Tout lieu est chargé d’une infinité de possibles mais, par la représentation, une de ces possibili- tés a dépassé le stade de l’imaginaire, elle s’est réalisée. Qu’elle soit perçue positivement ou non, cette possibilité s’est présentée devant les témoins de cet événement. Elle pourra alors donner des idées de réorganisation de cet espace si la représentation a révélé un défaut ou une qualité insoupçonnée de cet espace (comme l’exemple de la place Graslin que nous évoquerons plus tard).

Elle pourra aussi inspirer l’organisation d’autres événements dans ce lieu. Le festival de fanfare étudiante PFC a par exemple reprogram- mé ses représentations années après années dans certains lieux

66. Aventin C., Les espaces publics urbains à l’épreuve des actions artistiques, Sciences de l’ingénieur, Université de Nantes, 2005.

93 comme la place Graslin ou la place du Change, alors que d’autres sont écartés pour les années suivantes après y avoir joué comme la place du Cirque, dont les caractéristiques spatiales ne se prêtaient pas à ces événements spécifiques.

La représentation révèle ainsi une partie du potentiel du lieu dans le- quel elle se déroule. Ce potentiel une fois concrétisé peut agir comme un élan qui amènera d’autres évènements ou stimulera l’imagination pour penser le lieu autrement et ainsi amorcer une logique d’aména- gement de l’espace public.

UNE VOLONTÉ D’AMÉLIORATION