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représentation p roposer Un ordre éphémère

7. Un nouvel usage de l’espace public

La position de fanfaron-architecte devient une place de choix pour observer les transformations faites dans l’espace public. Il peut alors, d’un œil averti, devenir le spectateur des mutations urbaines et l’analyste de ses forces et faiblesses.

a. Les bouleversements de l’espace public

Lors d’une représentation de la fanfare, l’occupation habituelle du lieu est transformée pour un temps. On y observe de nouveaux usages de l’espace public. Le terme « nouveaux » n’est pas dit dans le sens d’une chose inédite, qui n’a jamais été faite auparavant puisque les spectacles de rue et la « position » de spectateur de rue existent de- puis l’antiquité et sans doute avant encore. Le sens est plutôt qu’on

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ajoute momentanément un usage à un espace. Il est nouveau par rapport aux usages ordinaires, habituels d’un lieu.

Dans le chapitre « entrer dehors » nous avons déjà évoqué que la scène, le plateau, le rideau, les coulisses n’ont plus la forme tradi- tionnelle que l’on trouve dans les salles de théâtre. En effet, lors des représentations de la fanfare en extérieur, toutes ces fonctions sont endossées par l’espace public lui-même. Un trottoir devient soudai- nement scène, le sol est à la fois le plateau et les gradins, le rideau et les coulisses sont toujours ouverts au public comme aux musiciens. Mais pendant une représentation, l’espace public ne prend pas seu- lement les attributs d’une salle de théâtre. Il devient à la fois le décor du spectacle, son plateau technique et aussi son support artistique puisque la fanfare s’inspire du lieu pour se positionner, observe les activités et les mouvements qui s’y déroulent pour adapter son spec- tacle et son discours. Le lieu donne une direction et une impulsion au spectacle. Michel Crespin déclare que « la notion de monumentalité multidirectionnelle [de l’espace public] est imposé à l’artiste »63. Phi- lippe Chaudoir ajoute que le lieu « s’impose comme un langage » et cette imposition « construit et structure, de se fait, l’ensemble des dimensions de l’acte artistique63.

Les occupants du lieu sont eux aussi touchés par la représentation, qu’ils en deviennent le public ou non. Certains ont le loisir de se po- sitionner par rapport au spectacle en choisissant de s’en approcher en devenant spectateur, en s’éloignant du bruit qui les incommode, ou encore en ne modifiant pas ou a peine leur attitude, feignant l’in- différence, en devenant des auditeurs passifs. D’autres n’ont pas le choix quand à l’attitude à adopter, contraints, le plus souvent, par leur travail. Rappelons que les représentations de la fanfare sont en grande majorité très bien accueillies par les occupants du lieu puisque le spectacle se veut pour « tout public » et que, nous l’avons déjà évoqué, les fanfarons sont attentifs aux désagréments qu’ils pourraient causer. Nous évoquerons plus précisément dans les chapitres suivants comment se forme le public autour de la fanfare.

63. Chaudoir P., La Ville en Scènes : Discours et figures de l’espace public à travers les

81 Un troisième bouleversement peut s’observer. Une fois que la per- formance est commencée et qu’elle attire déjà des spectateurs, de nouvelles activités spécifiques à cet instant et à cette formation se développent parfois. On assiste alors à l’apparition de marchands ambulants se rapprochant de la nouvelle attraction avec un certain opportunisme de la situation.

Ces activités viennent alors s’ajouter naturellement à cette disposi- tion éphémère et contribuent à la fresque de la représentation. b. Les figures du public

Le bouleversement dans l’espace public affecte également les per- sonnes, passantes ou averties qui se rassemblent pour constituer le public de spectacle. On peut alors remarquer différentes figures de spectateur. Anne Gonon64 en identifie trois : le spectateur prédéter- miné, le spectateur en puissance et le spectateur potentiel.

Le spectateur prédéterminé est un spectateur qui désire as- sister à des spectacles. Dans le cas des représentations de la fanfare, ce sont principalement les amis ou les familles respec- tives de musiciens qui constituent ce public car ces personnes ont été informées. Mais ce sont aussi des personnes qui se sont renseignées : par les affiches à l’Ile de Ré, les annonces sur les réseaux sociaux. Dans tous les cas, ces spectateurs sont marqués par une volonté d’assister à la représentation qui n’est désormais pour eux pas une surprise.

Le spectateur en puissance est quant à lui moins présent lors des concerts de la fanfare dans l’espace public. Il se retrouve davantage dans les festivals d’arts de rue comme le festival d’Aurillac. C’est le spectateur qui sait qu’il y a des spectacles mais qui se laisse porter au gré des rencontres artistiques aux coins des rues.

Le spectateur potentiel enfin, constitue la majorité du public de la fanfare, c’est le passant qui se transforme en spectateur. Il n’est pas prévenu et c’est pour lui une surprise de tomber au hasard sur un événement incongru sur son chemin.

64. Gonon A., Ethnographie du spectateur - Le théâtre de rue, un dispositif communica-

Un public bien ordonné, et un danseur expérimenté devant les Durs à Cuivre

Place Monastiraki, Athènes, Février 2015.

Un train touristique vient chambouler le public attentif

83 Il peut tout aussi bien passer son chemin après avoir constaté l’événement auquel il ne porte finalement que peu d’intérêt. Mais il peut aussi y rester pour une durée indéterminée par curiosité et intérêt.

Dans les deux cas la performance, à plus forte raison de la fanfare, ne laisse pas indifférent et est nécessairement remar- quée même si elle ne convient pas.